Il est un métier "vieux comme le monde" qui perpétue des savoirs et traditions multiséculaires mais dont les acteurs sont en quelque sorte bâillonnés par la loi. Il leur est possible de vendre librement quelque 148 espèces médicinales, à condition de ne jamais communiquer leurs propriétés, même les indications les plus connues du grand public.
Il est difficile de savoir combien de paysan·nes herboristes sont actuellement installé·es (ou en démarche d’installation) en France. Sûrement près de mille, dans presque toutes les régions. Leur nombre augmente très significativement depuis une dizaine d’années.
Une gestion respectueuse du patrimoine naturel
Selon le Syndicat inter massif pour la production et l’économie des simples (Simples), "la terre est considérée non pas comme un outil de production mais comme un partenaire vivant" (1). Créé en 1982 sous l’impulsion d’un groupe de productrices et producteurs installés dans des secteurs de montagnes désertifiés, ce syndicat défend un cahier des charges très strict : les cueillettes doivent être réalisées dans des zones à l’écart des pollutions identifiables, selon des techniques assurant le renouvellement de la ressource prélevée. Les plantes cueillies ou cultivées sont rigoureusement identifiées botaniquement afin d’assurer la sécurité de l’utilisat·rice. La récolte manuelle, l’absence totale de tout pesticide et de toute substance de synthèse depuis la récolte jusqu’à la transformation, le séchage à basse température, la distillation lente, etc., sont autant de spécificités assurant la qualité exceptionnelle de la marque "Simples", reconnue par les amat·rices comme par les professionnel·les depuis de nombreuses années.
Un système de contrôle collaboratif
Chaque producteur et chaque productrice s’engage, au moins une fois par an, à être contrôlé par un·e product·rice agréé·e de sa région et à contrôler à son tour une autre exploitation. Ce système de garantie participative présente au moins deux avantages certains : les personnes qui contrôlent sont de fait des professionnel·les pertinent·es et sont forcément très motivé·es pour protéger la crédibilité de ce qui est leur propre marque. Cela permet de s’extraire du contrôle et de la surveillance étatique tout en garrantissant un cahier des charge strict.
Une production et une vente de proximité
Étant donné la diversité des terroirs floristiques, les Simples proposent actuellement une gamme d’environ 250 plantes aromatiques et médicinales, dont la majorité sont prélevées dans leur milieu naturel. La vente directe est privilégiée et les plantes fraîches ou les huiles essentielles sont principalement distribuées à la ferme, par correspondance, sur les marchés, dans des boutiques spécialisées ou encore lors de salons développant les thèmes de l’agriculture biologique et des produits naturels.
Malgré une large reconnaissance des consommat·rices, des collègues et des pouvoirs publics, France Agrimer (2) notamment, les Simples, comme toutes les petites productions qui pratiquent la vente directe de plantes médicinales, sont confrontés à des difficultés et menaces d’ordre législatif et administratif. Il est possible de commercialiser légalement 148 espèces médicinales (3), à condition de ne jamais inscrire d’allégations de santé sur les emballages…
Les obstacles législatifs
Des tisanes inoffensives et populaires telles que les fleurs de bleuet ou de souci, la feuille de plantain, sont encore réservées au monopole pharmaceutique. Régulièrement, les services des fraudes (DGCCRF) exigent le retrait de certains produits des gammes, ainsi que toute allégation de santé associée. En 2019 encore, des product·rices de l’Aveyron, de Bretagne ou des Alpes se sont par exemple vu contester le droit de commercialiser des fleurs de souci et de bleuet ! Faut-il rappeler que les fleurs de souci sont souvent employées en Espagne comme colorant alimentaire pour fabriquer la paella traditionnelle, et que les pétales de bleuet se trouvent couramment en grande surface dans des thés aromatisés de marques bien connues de l’industrie agroalimentaire ?
En 2005, un groupe de product·rices du syndicat Simples, la Sica Biotope des montagnes, avait dû se battre jusqu’à la Cour d’appel de Nîmes afin de se faire relaxer d’une condamnation reçue en correctionnelle pour avoir vendu des sachets de la banale prêle des champs. La victoire avait coûté quatre années d’efforts et plus de 20 000 euros de frais de justice. On comprend aisément que la plupart des petites productions préfèrent généralement céder devant les menaces, se taire malgré leur savoir et amputer leur gamme.
Mais une activité qui se développe !
En dépit de cette insécurité juridique, une prospérité relative semble se dessiner pour cette activité puisque, chaque année, de nouvelles installations voient le jour ici ou là. Par ailleurs, la quasi-totalité des projets professionnels des étudiant·es des formations agricoles spécialisées en plantes médicinales sont des projets de production-vente directe au public de tisanes et de produits dérivés transformés à la ferme.
Thierry Thevenin, producteur-herboriste, porte-parole du syndicat Simples, président de la Fédération des paysan.ne.s herboristes
• Extrait du préambule du cahier des charges du syndicat Simples, https://www.syndicat-simples.org/le-cahier-des-charges/
(2) FranceAgriMer, ou Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, est un office agricole ayant pour mission d’appliquer, en France, certaines mesures prévues par la Politique agricole commune et de réaliser des actions en faveur des filières agricoles.
(3) En vertu du décret no 841-2008 du 22 août 2008
Produits transformés : comment communiquer ?
Le casse-tête administratif !
La commercialisation des produits transformés à la ferme est souvent un véritable casse-tête administratif. La destination d’usage déclarée pour un même produit, pourtant strictement identique, peut le faire basculer dans une case réglementaire ou une autre, et les conséquences en termes de coût technique et financier pour commercialiser peuvent être très importantes. Il s’ensuit une insécurité et une complexité juridique qui deviennent peu à peu insoutenables pour des entreprises artisanales.
Ainsi, une simple huile essentielle de lavande pourra être soumise à la réglementation Reach sur les produits chimiques s’il est indiqué qu’elle sert de parfum d’ambiance. Cette directive a pourtant été pensée pour les produits chimiques industriels, mais la réglementation ne fait pas de distinguo pour l’étiquetage, en termes de risque d’impact sur l’environnement, entre une cuve de camion-citerne et un flacon de 5 ml…
La même huile de lavande qui serait proposée pour soulager une rougeur ou une piqûre de moustique relèvera de la règlementation sur les cosmétiques. Relativement légère jusqu’à présent (c’est pour cela que ce secteur a attiré tant de grands investisseurs depuis 5 ou 10 ans), elle s’est durcie très nettement à partir de 2013…
Les huiles essentielles : un produit alimentaire ?
C’est à l’heure actuelle la réglementation sur les produits alimentaires qui est le plus accessible pour un petit opérateur. De plus, c’est le seul choix qui pourra lui permettre de revendiquer le label bio sur son huile essentielle de lavande, un produit non alimentaire ne pouvant être certifié en bio (1)… Voilà la situation ahurissante dans laquelle se trouvent les petits producteurs distillateurs aujourd’hui : être peu à peu conduits contre leur gré, à cause d’un système législatif et normatif sensé assurer la sécurité du consommateur, à prétendre que leurs huiles essentielles sont alimentaires ! C’est un non-sens, une véritable impasse : une huile essentielle, quoi qu’on soit "obligé d’en dire”, n’est pas un aliment.
Thierry Thevenin
(1) Pour les produits non agricoles et non alimentaires comme les produits de beauté, d’entretien, de bricolage…, il n’existe pas de réglementation spécifique encadrée par les pouvoirs publics. Dans certains cas (comme les cosmétiques) des démarches privées et volontaires prévoient l’incorporation dans le produit d’ingrédients agricoles certifiés biologiques. Ces démarches peuvent faire l’objet d’un contrôle par un organisme indépendant.
Paysan herboriste
11, Mercin
23420 Mérinchal
Tel : 05 55 67 23 25
herbesdevie@gmail.com
http://syndicat-simples.org
Nombreux stages autour des savoirs-faire de l’herboristerie : Vieilles racines et jeunes pousses
Plaidoyer pour l’herboristerie, Actes Sud, 2013
Le Chemin des herbes, Actes Sud, 2019
Ethnologue, enseignante et chercheuse, elle a soutenu sa thèse de doctorat sur les herboristes en France de 1803 à aujourd’hui.
Les Herboristes au temps du certificat (1803-1941), L’Harmattan, 2019
Expert en ingénierie de formation et de certification, il accompagne la FFEH depuis 2019 sur son projet de création d’une certification professionnelle d’herboriste.
Responsable formations à la Fédération française des écoles d’herboristerie
Les piliers des Simples
Créé en 1982 dans les Cévennes, le syndicat regroupe aujourd’hui des producteurs et des productrices de la plupart des régions françaises. Il se mobilise pour promouvoir la production et la commercialisation de plantes aromatiques et médicinales de très grande qualité et sauvegarder et revaloriser les usages et les savoirs et savoirs-faire traditionnels relatifs aux plantes aromatiques et médicinales.
Syndicat Simples
À l’Usine Vivante
24 avenue Adrien-Fayolle
26400 Crest
Tél. : 06 71 30 58 53
contact@syndicat-simples.org
www.syndicat-simples.org
Pour aller plus loin :
Silence no 443, mars 2016, p.30 : "L’âme des simples, soin par les plantes sauvages"
Silence no 381, été 2010, p.20 : "Le conservatoire national des plantes"