Combien sont-ils en France ? Il n’y a pas de chiffres officiels, peut-être 100 ou 200 cueilleurs et cueilleuses en activité principale. Alexandre fait partie de celles et ceux qui ont créé l’Association française des professionnels de la cueillette (AFC), qui édite un guide des bonnes pratiques et permet d’échanger sur le statut la profession.
Le métier de cueilleur
Un été, Alexandre teste pendant deux mois le métier : « J’ai commencé et je n’ai plus jamais arrêté ! » Il travaille ensuite partout en France et parfois un peu en Espagne, en Italie, à Malte… pour finir par créer le Gaec La Belle Plante, avec deux associés. Les cueilleurs ont des statuts très variés, selon leur détention de terres, la quantité qu’ils ramassent, le temps qu’ils y consacrent : « Je suis considéré comme un gros cueilleur : pendant huit mois, c’est assez intensif (7 à 10 h par jour). L’hiver, c’est plus calme. » Le métier est par ailleurs très physique : il faut se représenter une journée passée courbé, ployé sous le poids du sac…
Alexandre a passé un BTS de gestion forestière et une licence en écologie. Il avait donc des bases de botanique. Le reste, il l’a appris sur le terrain et en questionnant d’autres professionnel·les. Selon lui, il faut deux à trois ans pour commencer à maîtriser la recherche de sites, la technique de coupe (au couteau, à la serpette...) et la compréhension des plantes.
Une pratique très réglementée
« La première chose qu’on regarde, quand on a une demande d’un client, c’est si les plantes sont protégées par statut national, régional ou départemental. Si c’est le cas, je la cueille dans une région où elle n’est pas en danger. » Le métier de cueilleur nécessite un gros travail de repérage pour trouver des sites —« on est un peu comme des détectives… » — mais aussi pour demander des autorisations de cueillette : « Tout le monde ne demande pas, c’est évidemment compliqué sur certaines plantes où on doit bouger dix fois dans la journée. La règle que j’applique ? Tout ce qui peut présenter une valeur pour le propriétaire, je demande, dès que je reste plus d’une journée sur un terrain. Mais quand je vais ramasser un peu d’ortie ou de ronce ici et là, je ne demande pas. » Pour les forêts, les cueilleu·ses passent des conventions avec l’Office national des forêts et les communes. Ils et elles disposent ainsi d’une grande surface et payent une certaine somme par jour.
Le problème de la sur-cueillette
Sur environ 721 variétés de plantes cueillies, 30 à 50 sont trop sollicitées en métropole, dont l’aspérule, le génépi, le calament et, bien entendu, la gentiane et l’arnica : parmi ces plantes, deux sur cinq sont en difficulté. Pour Alexandre, c’est énorme : « Je dirais 10 ou 15, avec de la sur-cueillette reconnue pour la gentiane et l’arnica. » La cueillette fluctue selon la demande. « On peut nous demander des plantes pendant deux, trois ans et puis on ne les reverra plus pendant des années. »
En 2008 et 2009, des zones d’arrachage massif de la ressource ont été trouvées en Ariège pour la gentiane, en Ile-de-France pour le muguet et sur les bords de Loire pour le perce-neige, rappelle Bernard Pasquier, directeur du Conservatoire de Milly-la-Forêt. Les pillages sont encore courants dans les Pyrénées. On se souvient des années 1980-1990, quand les cueilleurs de Pernod-Ricard, très demandeur de gentiane pour ses apéritifs, laissaient derrière eux des terrains endommagés. Les mairies ont dû s’organiser (1).
Les conditions de la cueillette : l’envers du décor
Sur les cueillettes de valeur comme la gentiane, on fait appel à des travailleurs étrangers, payés au poids (200 à 300 kg par jour) ou au Smic. « Les collecteurs, les labos se protègent un peu derrière ça, les collecteurs leur revendent, embauchent la main-d’œuvre, font les contrats, s’occupent de tout… Si moi, je cueille de la gentiane pendant un mois, je vais gagner entre 2 000 et 3 000 euros. Eux, ils sont payés au Smic, alors que c’est un gros boulot ! Et quelle vie ils mènent ! »
Les conditions sociales de ces travailleurs se sont un peu améliorées en termes de logement depuis que la répression des fraudes y a mis le nez. Ce sont les intermédiaires, comme les collecteurs, que les cueilleurs accusent de pratiques déloyales : « Il m’est arrivé de me faire piller des sites où j’avais des autorisations, et j’ai dû appeler la gendarmerie… » Peu d’entreprises s’intéressent aux conditions de collecte. D’ailleurs, faute d’arnica en France, elles vont en chercher en Roumanie, alors qu’on pourrait la remplacer par la pâquerette.
Des plantes de moins en moins sauvages
La mise en culture des plantes sauvages est de plus en plus privilégiée, par exemple en Aubrac, de façon à moins solliciter la nature et à assurer un volume de production. C’est indispensable pour nombre de plantes rares ou protégées comme la pivoine officinale ou la bryone blanche. Mais elles sont très difficiles à cultiver, et les prix s’en ressentent. Il faut se rappeler que la gentiane met sept ans à fleurir, et sa racine n’est prête à être récoltée qu’au bout de vingt ans. « La cueillette sauvage ne pourra pas répondre à la demande des industriels », prévient Thierry Thévenin.
L’impact des pratiques agricoles
Selon Alexandre, les pratiques agricoles et forestières ont un impact énorme sur le développement des plantes sauvages : « Ce sont elles qui changent le milieu ou ne le changent pas. Par exemple, dans l’AOP du Saint-Nectaire, ils font un peu n’importe quoi, c’est un fromage qui se vend très bien, même à l’étranger. Des prairies naturelles sont retournées, du lisier est épandu en plein hiver, les rivières et les nappes sont polluées, etc. Les cueilleurs y vont de moins en moins… Par contre, dans le Mézenc, les prairies sont magnifiques, ils ont une AOC Fin Gras du Mézenc, le cahier des charges interdit l’ensilage, la transformation des prairies, les animaux sont magnifiques, tout le monde vit bien… »
Les prairies très riches en flore sont souvent pauvres en herbes et, dans les zones de montagne où les gens vivent beaucoup du fromage, des amendements calcaires ou des ammonitrates changent la flore et font disparaitre les plantes sensibles au moindre changement du sol. « Dans les années 80, un relevé botanique donnait 300 plantes dans les prairies du Jura. Aujourd’hui, si on en trouve cinquante, c’est un miracle ! Mais en général, il y en a entre 9 et 14, ce qui indique un champ toxique ; la beauté est un bon indicateur ! Mais on pourrait revenir en arrière », commente Gérard Ducerf, ancien agriculteur et éditeur de l’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices.
Le cueilleur a un impact dérisoire par rapport à l’agriculture, bien qu’il participe à maintenir des milieux ouverts dans la nature, sur les zones de thym et romarin par exemple. Ainsi, le sorbier domestique souffrait il y a quelques années de taille excessive. « On a décidé de ne plus cueillir que les bourgeons fleurs et de laisser les bourgeons feuilles, moins nombreux. Désormais, il faut monter dans l’arbre ou mettre une échelle pour récolter. On a dû dénoncer aux labos qui les employaient les mauvaises pratiques de certains, qui coupaient les branches à la tronçonneuse. Depuis, c’est réglé. »
Cueilleur ou cueilleuse ?
Alexandre voit de plus en plus de femmes cueillir. À la Sicarrapam, elles représentent déjà un tiers des coopérat·rices. Aujourd’hui, elles et ils sont 50 product·rices et cueilleu·ses et proposent 600 plantes aux laboratoires homéopathiques, herboristeries, fabricants de cosmétiques, etc… La coopérative ne sent pas trop la concurrence des plantes de Chine grâce à sa réputation de qualité et de traçabilité (elle fait des analyses sur les plantes cueillies).
Pour Alexandre, les pratiques s’améliorent, les jeunes sont de plus en plus sensibilisés à l’écologie, à l’environnement. « Ce n’est pas parce que je fais de gros volumes que je cueille mal et que j’ai un impact, c’est plutôt une histoire de personne. Moi j’ai cette sensibilité à la nature… La cueillette, ça parle à notre patrimoine génétique, on a sûrement encore des gènes de chasseurs-cueilleurs… »
Catherine Rulleau
Rapport sur la cueillette des plantes sauvages en Pyrénées, Garreta et Morisson, pour le Conservatoire botanique national
Depuis 1987, la Sicarappam, coopérative agricole de producteurs de plantes médicinales et aromatiques, œuvre pour produire des plantes de qualité, cueillies ou cultivées dans le respect de l’environnement.
Société d’intérêt collectif agricole de la région Auvergne des producteurs de plantes aromatiques et médicinales (Sicarappam), 2 place des Batailles
63260 AUBIAT
tél. : 04 73 97 28 33
contact@sicarappam.com
Le monde merveilleux des huiles essentielles
En juin 2011, dans son numéro 391, Silence a publié un article critique de la production d’huiles essentielles industrielle. On y lisait le témoignage de Jocelyne Renard à propos des conditions de travail dramatiques qu’elle a découvertes en tant qu’ouvrière dans un atelier de conditionnement d’huiles essentielles et autres produits phyto-pharmaceutiques. Nous en reproduisons ici quelques extraits. "En 35 heures par semaine, payées au Smic, j’ai pu découvrir les joies de l’aliénation du travail à la chaîne. [...] Pour le dire plus clairement : c’est une ambiance très hiérarchisée avec les chef·es qui mettent la pression sur les sous-chef·fes, mettant eux- et elles-mêmes la pression sur les subordonné·es. On se défoule sur les plus faibles que soi, en somme, vieille rengaine bien connue des univers autoritaires. [...] Pendant que je fais défiler dans mes mains endolories des milliers de boites en carton estampillées So bio étic (sic), je respire en effet des huiles essentielles à pleins poumons, mais à des doses disons supérieures à tout ce qui peut être recommandable. […] Ce secteur agricole est répertorié sous le nom de Pam : plantes aromatiques et médicinales. Les plantes qui sont distillées pour produire ces huiles sont soit cultivées, soit sauvages et cueillies là où elles poussent.
J’ai rencontré une agricultrice locale qui produit des Pam. Elle m’explique que 95 % des plantes transformées ou conditionnées en Drôme proviennent d’ailleurs. J’ai consulté la liste des pays producteurs d’huiles essentielles transitant par l’usine où j’ai travaillé : elles proviennent en effet de toute la planète. […] Alors, est-ce que je conclus de ces observations sur la distorsion entre l’image d’une industrie verte et sa réalité de terrain que ce serait bien de boycotter totalement les huiles essentielles ? Non. Mais il me semble tout de même intéressant de noter la distinction entre un usage de la phytothérapie liée à une connaissance de son environnement et l’usage massif des huiles essentielles comme remède à tout."