Dossier Alternatives

Sebasol : le soleil hors marché

Danièle Garet

Derrière le choix du solaire thermique pour la chaleur domestique se cachent des enjeux bien plus considérables qu’on ne le pense souvent. Il en va de la relocalisation, de l’autonomie par la compétence, des technologies simples (low tech), de l’indépendance énergétique et plus encore. L’association Sebasol s’y consacre entièrement.

Nous avons rencontré Pascal Cretton, l’un des fondateurs de Sebasol dans les années 1990. Il nous a parlé de solaire thermique, mais pas seulement…

Ne plus confondre électricité et chaleur
En Suisse, l’abondance d’électricité (à 60 % d’origine hydroélectrique) sert un système nocif à tous les niveaux. Les fluctuations saisonnières alimentent « la passion suisse pour l’import-export » et le grand jeu des marchés mondialisés. L’électrification concerne un nombre croissant de domaines (bâtiments, transports, communications…) jusqu’à bientôt englober toute la société. Or, « derrière l’électrification, il y a la numérisation, donc le contrôle et l’espionnage ». Elle nécessite des technologies complexes consommatrices d’énergies fossiles et de ressources rares qui, en outre, favorisent la dépendance envers les experts au détriment de l’autonomie citoyenne. L’abondance conduit à la surconsommation et au gaspillage. La « Fée électricité » que peignait Dufy en 1937 s’est métamorphosée en hydre dangereuse.

Dans ce contexte, on utilise aussi l’électricité pour produire de la chaleur, au point que nous confondons les deux, avec de lourds enjeux politiques, écologiques, sociétaux. D’où l’immense intérêt du solaire thermique qui permet de produire de l’eau chaude et du chauffage avec très peu d’électricité, ce que ne fait pas le photovoltaïque (PV).

Ne plus confondre solaire et solaire !

Toutes les énergies renouvelables et toutes les énergies solaires ne se valent pas. Toutes supposent un recours à l’énergie fossile, mais dans des proportions et avec des bilans écologiques complets (construction, exploitation, entretien, recyclage) différents.

Et toutes n’ont pas été récupérées par le système dans les mêmes proportions non plus. « Au début, le solaire était aussi dans l’esprit du local et de l’autonomie politique. À présent, les Chinois, ces démocrates, font les panneaux PV pour nous. »

Récupéré par la mondialisation capitaliste, le photovoltaïque est ainsi devenu dominant au sein des renouvelables. Pourquoi ? La réponse de Pascal pour la Suisse : « Les taux d’intérêt sont bas, voire négatifs […]. Les Suisses cherchent donc des placements qui rapportent, quitte à se double-penser »alternatif« ou »coopérateur«  : le mot »actionnaire« n’apparaît plus mais c’est pareil. »

Les atouts du solaire thermique Sebasol

Pour les besoins domestiques en eau chaude et chauffage (1), le solaire thermique cumule efficacité (« son rendement est de trois à quatre fois supérieur à celui du photovoltaïque pour la production directe de chaleur »), économie, simplicité (2). Les installations ne nécessitent pas de service après-vente pour l’entretien (surtout si on les a réalisées soi-même), ni d’abonnement. Elles peuvent occasionner des réparations partielles mais durent des siècles, éliminant le problème du recyclage. Ne pouvant être transportée loin, la chaleur est produite et utilisée sur place : « Les lois de la nature sont pour nous avec le thermique. C’est local, on ne peut pas faire du business avec Ouagadougou. »

En appoint pour l’hiver, Sebasol conseille un poêle hydraulique à bois. En Suisse, cela reste possible avec du bois local pour certaines personnes et dans de bonnes conditions d’exploitation. On peut dès lors viser l’indépendance énergétique et un meilleur bilan écologique global — bien qu’il n’existe pas de combustible propre. L’ensemble comportant une installation solaire thermique plus une poêle consomme quatre fois moins de ressources épuisables que la solution PV plus réseau plus pompe à chaleur (3).

Ces avantages sont démultipliés par la démarche Sebasol, qui mise d’abord la réduction de la demande (par l’isolation et la décroissance des besoins), puis sur la formation et l’autoconstruction. Toute personne prête à y travailler peut, moyennant formation et aides, se lancer dans l’autoconstruction de son installation. Chacune est conçue pour s’adapter au mieux à ses contraintes et objectifs additionnels (maintien hors-gel, partage de chaleur avec le voisin, séchage de denrées, etc.). Les techniques sont simples mais touchent à tous les domaines : plomberie, hydraulique, électricité, chaleur, charpente, matériaux, etc. Toutes compétences que les autoconstructeurs (et autoconstructrices mais elles sont plus rares) peuvent réutiliser dans d’autres projets.

Sebasol, comment ça fonctionne ?

Sebasol est une association sans but commercial, portée par des bénévoles, souvent objecteurs et objectrices de croissance, qui ont par ailleurs un revenu. Ces derni·ères sont défrayé·es, sur demande, au tarif de 20 CHF/h et « dès qu’un mandat dépasse 5 000 CHF, on l’externalise. On a ainsi tenu, sans salaires réguliers qui bouffent la caisse. On a du fric, [400 000 CHF] mais ça fluctue car on doit acheter des quantités, financer la recherche, etc. Ce fut un long chemin, mais cela fonde à présent notre indépendance ».

Les quatre centres de Sebasol (cantons de Vaud, du Valais, du Jura et Jura français) encadrent les autoconstructeurs. La formation débute par le « cours de la reconquête » (4), qui permet de saisir la forme et les enjeux d’un projet. Celles et ceux qui décident ensuite de passer à l’action sont accompagné·es aux plans techniques et administratifs. Sebasol leur fournit le matériel à prix coûtant, et ajoute pour son service une licence. Le capteur Sebasol (5) est certifié au plan mondial et donne droit aux subventions. « Nous avons homologué au plus haut niveau d’accréditation technique un capteur réalisé in situ par des gens ordinaires. À ma connaissance, c’est unique au monde. Et une victoire sur ceux qui travaillent à l’obsolescence de l’homme. »

Sebasol a par ailleurs agréé une dizaine d’installateurs. Issus et formés via les chantiers d’autoconstruction, ils sont atypiques. Ils réalisent des installations clés en main pour les personnes qui n’ont pas le goût de le faire et dirigent les autres vers l’autoconstruction.

Derrière la technique, le politique

On l’aura compris, les caractéristiques du solaire thermique (simplicité, robustesse, non-transportabilité de la chaleur) le rendent difficile à phagocyter par le système. Une tentative d’arraisonnement a été effectuée dans les années 2000, via le « contracting » (installation clé en main et vente de la chaleur), mais sans succès : trop compliqué pour les profits espérés. Pour le moment, cette low tech reste appropriable et contrôlable localement.

Cela convient au but de Sebasol, qui est de redonner du pouvoir aux gens. Une installation est réussie lorsqu’elle satisfait les besoins en chaleur d’un foyer, avec de meilleurs coûts dans le temps et le plus faible impact écologique. Mais aussi quand elle rend des gens compétents, critiques et responsables, les sort d’un système économique « qui multiplie le DD : dépenses et dépendances ». Attention donc, une option technique peut en cacher une autre, politique et ambitieuse : en l’occurrence, émanciper la société !

Pertinence plus que jamais, malgré les limites

La démarche de Sebasol s’adresse d’abord aux propriétaires et aux personnes qui ont assez d’argent pour viser des investissements rentables sous une dizaine d’années (6). « Si, faute d’argent, vous avez des amis, ils risquent peu à vous prêter, car vous les rembourserez vite. On peut donc contourner les banques et le CO2 qu’elles génèrent. » L’association ne peut autonomiser les personnes plus précaires. Selon Pascal, elle ne réussit pas non plus avec les habitats coopératifs : « Ils veulent des logements moins chers et plus écolos mais guère se réautonomiser […] Les motivés sont minoritaires. Les autres sont colonisés par la mentalité de rentier inculquée dès l’enfance par le capitalisme. » Quant au locatif, « là, on est au cœur du système. Nous avons des solutions mais le pouvoir bloque. Je le comprends : une expertise citoyenne qui résout les problèmes atteste en grande partie de l’inutilité de ce pouvoir ».

Ce sont de vraies limites pour la démarche. Cependant, « l’objectif n’est pas d’avoir 100 % de la société en autoconstructeurs de solaire thermique. Car alors elle ne saurait rien faire d’autre. Il faudrait plutôt en avoir quelques-uns par village ou quartier, ainsi capables de conseiller les autres ». En somme, une stratégie de dissémination de capacités d’action autonome au sein de la société, pour la revivifier et l’émanciper autant que possible.

Pour l’instant, le solaire thermique ne souffre pas en Suisse de contrainte législative. Mais Pascal ne doute pas que cela sera le cas s’il sort de la marginalité, par l’instauration de normes « pour le bien, même si ces installations sont sans danger et bouffent parfois moins d’électricité qu’une ampoule basse consommation. Le but étant toujours de contrôler la société et de générer du profit ». Quoi qu’il en soit, les principes d’une démarche de souveraineté, fondée sur la relocalisation, les low tech et favorisant la résilience devraient rester plus pertinents que jamais. « Avec la 5G et le deep learning, l’esclavage définitif de l’humanité devient possible. Et l’écologie peut être le cheval de Troie pour l’imposer. Le low tech offre la liberté, en plus de l’écologie. »

(1) Soit ce qui engloutit 41 % de l’énergie consommée en Suisse.
(2) Principes de fonctionnement : sur le toit, balcon ou terrain, les capteurs piègent le rayonnement solaire, qui chauffe alors de l’eau circulant dans des tuyaux, et transportent la chaleur à un accumulateur. Pas de transformation, pas de machine intermédiaire.
(3) Selon Sebasol, on peut produire l’eau chaude et le chauffage pour une maison individuelle « avec 18 m2 de capteurs et entre 1 et 4 stères de bois par an ».
(4) Le prix des cours favorise les binômes (couples, père-fils, etc.) : 370 CHF pare personne, 540 CHF à deux. Il s’agit de faciliter la transmission des compétences et l’appropriation des projets d’autoconstruction toujours engageants.
(5) Capteur fabriqué localement. « Il rend en quelques mois l’énergie qu’il a fallu pour le produire. »
(6) Pour 18 m2, Sebasol donne un prix indicatif de 15 000 CHF en autoconstruction et de 27500 CHF clé en main, avec dans les deux cas des subventions minimales de 6 000 CHF. Après remise d’impôt et déduction des infrastructures qu’il faudra payer de toute façon, le prix final varie entre – 10 000 (oui : moins) et 10 000 CHF (du mieux en autoconstruction au pire en clé-en-main).

Sebasol, Aloys-Fauquez 6, 1018 Lausanne
www.sebasol.ch

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