À Longwy, un « Mai 68 à retardement »
Le couperet est tombé le 13 décembre 1978 : le groupe sidérurgique « Usinor frappe Longwy à mort », titrait alors Le Républicain lorrain, confirmant les milliers de suppressions d’emplois dans toute la sidérurgie lorraine. Le bassin de Longwy, à la pointe de la Meurthe-et-Moselle, qu’on appelle le « Pays-Haut », concentrait le plus d’installations sidérurgiques au monde dans les années 1950. En 1979, Longwy vivait ses « Évènements », son « Mai 68 à retardement », « la Commune ». Jean-Claude avait alors 25 ans et était déjà passé par des organisations maoïstes. Il n’avait encore rien vu. Il intégra la section CFDT de Longwy, traversée par des influences aussi bien sociales-chrétiennes que libertaires, autogestionnaires que gauchistes. Il faut imaginer six mois de grèves, d’affrontements avec les CRS, de blocage des routes, des gares, des entreprises, des grands magasins. Il faut imaginer les rouleaux de feuillards déversés sur les routes, le commissariat de police attaqué aux cocktails Molotov et au bulldozer (trois fois).
Aujourd’hui, Longwy est la cité dortoir des travailleurs frontaliers — près d’un actif sur deux travaille au Luxembourg. Son centre-ville se meurt, vidé de ses commerces qui ne peuvent faire face à la redoutable concurrence des 21.500 m² du Auchan de Mont-Saint-Martin.
De la lutte sociale au maraichage bio
C’est dans la Gaume que Jean-Claude s’est exilé pour mieux retrouver l’esprit Longwy. Il a intégré le Centre d’animation globale du Luxembourg (CAGL), une association créée en 1977 par des « gauchistes, écolos et quelques prêtres-ouvriers ». Quand il a rencontré Marianne, en 2007, ce fut à l’occasion d’une lutte — forcément — contre la fermeture d’une épicerie de village à Rossignol. Depuis, les deux anciens maoïstes ont parcouru un bout de chemin ensemble, créé un réseau de circuit court qui comprend trois salariés et vingt points de vente, participé à la création de la première monnaie locale wallonne, L’Épi lorrain, et animent depuis maintenant dix ans le marché fermier de Florenville. Les bonnes semaines, 250 personnes passent s’approvisionner ici. Sans compter les 140 commandes de paniers-légumes hebdomadaires. Et pourtant, ce boulot à temps plein ne leur rapporte qu’un salaire pour deux. Jean-Claude et Marianne souhaiteraient passer le relais à la poignée de bénévoles qui les accompagnent. Pour prendre un peu de temps pour eux. Pour la première fois. À 65 ans. « S’il n’y avait pas eu 1979, conclut Jean-Claude, je n’aurais pas fait le dixième du cheminement personnel et collectif qui m’a amené ici. Dix ans de ma vie ont déclenché tout le reste. »
Franck Depretz
Article initialement publié sur Reporterre