Malgré la volonté d’éradiquer ces pratiques, elles n’ont pas disparu. En 1970, un collectif de femmes vivant à Boston a diffusé une brochure intitulée Our bodies, Ourselves. "Il s’agit alors de s’approprier leur corps pour mieux le connaître, dans toutes les étapes de la vie, de ne plus abandonner cette connaissance au seul monde médical", commente le collectif français créé récemment afin d’éditer une version actualisée du texte. Le format de la brochure permet une édition à moindres frais et une diffusion de grande ampleur, accessible à toutes et tous. Sur le même modèle, d’autres fanzines circulent et se retrouvent sur les tables de nombreux événements militants, tel que celui intitulé "S’armer jusqu’aux lèvres", qui propose des "outils d’auto-défense gynécologique à l’usage de toutes les femmes et à toute personne qui a un vagin et qui a besoin de s’adresser parfois à un(e) gynécologue".
En affirmant le pouvoir de chacun·e sur son propre corps, l’auto-gynécologie vise à lutter contre l’appropriation patriarcale et coloniale des corps non catégorisés comme "masculins", qui passe par les stérilisations forcées de femmes non blanches, les mutilations génitales des personnes intersexes, les violences sexuelles, la stigmatisation du corps des femmes et minorités de genre.
Se réapproprier son corps
En juin 2016, j’ai moi-même participé à plusieurs ateliers d’auto-gynécologie dans la région toulousaine, ouverts à toute personne ayant un vagin, et animés par une personne exerçant la profession de sage-femme. Un long temps a été consacré à la (re)découverte de l’emplacement des organes génitaux et à l’anatomie du clitoris, à l’aide de reconstitutions plastiques grandeur nature. Puis, à l’aide d’un miroir, d’une lampe de poche et d’un spéculum réutilisable que nous avons pu ensuite ramener chez nous, chacune, dissimulée par un tissu pour plus d’intimité, a exploré sa vulve, son vagin, jusqu’à apercevoir, pour certaines, le col de l’utérus. Très vite, les rideaux sont tombés, et plusieurs ont voulu partager ce qu’elles voyaient, invitant les autres à regarder dans leur miroir.
Cette réappropriation de son corps permet de renverser le double stigmate attribué par la construction patriarcale de la société à la "nature" et aux personnes assignées femmes : celui par qui la nature, féminisée, et les femmes, identifiées à la nature, sont ensemble rejetées et opposées à la sphère masculine de la culture. L’auto-gynécologie s’inscrit ainsi dans une lutte à la fois écologique et féministe, en renouant les personnes se définissant comme femmes à leur corps, qui n’est plus rejeté mais revendiqué comme vivant. Dès lors, il importe, à l’instar du monde naturel, d’en prendre soin.
Quelques références pour aller plus loin :
Federici Silvia, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Paris, Entremonde, 2014
Ehrenreich Barbara et English Deirdre, Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes et de la médecine, Paris, Cambourakis, 2016
Nissim Rina, Une sorcière des temps modernes, Le self-help et le mouvement femmes et santé, Mamamélis, 2014
Le documentaire de Pauline Pénichout, Mat et les gravitantes, à propos d’une expérience collective d’auto-gynécologie, La Fémis, 2019
Le podcast « Self help et gynéco autonome » par Superlatives delices, 2018 à propos des ateliers d’auto-gynécologie toulousains
Le collectif espagnol d’altergynécologie Gynépunk : https://gynepunk.tumblr.com/
Le documentaire de Léa-Nunzia Corrieras, Tout va très bien, 2020 (en cours de montage) à propos de la réappropriation de son corps par le soin et l’accouchement