« Cet endroit répare tout le monde, pas seulement les exilés », dit Charlotte, bénévole à Emmaüs Roya. De 2015 à 2017 Cédric Herrou, agriculteur à Breil-sur-Roya, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Nice, s’est rendu célèbre par son aide aux exilés. Son exploitation était devenue « le camping le plus surveillé de France », dit-il. Ce havre a accueilli jusqu’à 150 personnes. L’endroit fut cerné par des dizaines de gendarmes mobiles. Puis, « le camping Cédric Herrou, est devenu Emmaüs Roya », dit l’agriculteur. Depuis juillet 2019, il est coresponsable de cette nouvelle communauté, pensée pour enraciner l’accueil et la solidarité.
Deux années durant, la Roya était devenue une souricière pour celles et ceux qui cherchaient à contourner les contrôles du poste-frontière de Menton, sur la côte. Par l’emploi des militaires de l’opération Sentinelle et de nombreuses forces de l’ordre, la vallée a été militarisée. Au point de pousser les personnes migrantes à prendre toujours plus de risques, parfois jusqu’à la mort. La solidarité d’une bonne partie des habitant·es a permis d’éviter bien des drames.
Depuis la fin 2017, la pression a baissé à mesure que la dissuasion sur les personnes migrantes à emprunter cette route semblait fonctionner. Les contrôles de gendarmerie restent toutefois très fréquents.
« Pour des personnes qui n’ont pas de droits, c’est un tremplin »
Comme ses aînées, la dernière née du réseau Emmaüs pratique « l’accueil inconditionnel » théorisé par l’abbé Pierre. Mais contrairement à la plupart des communautés Emmaüs en France, son activité est agricole. Ses productions maraîchères, œufs et transformations bio, sont valorisées en circuit court.
Les sept compagnons d’Emmaüs Roya sont « nourris, logés, blanchis. Ils perçoivent une allocation communautaire de 355 euros par mois et cotisent à la Sécurité sociale », dit Marion Gachet, coresponsable de la communauté. « Pour des personnes qui n’ont pas de droits, c’est un tremplin. Être en activité permet d’aller mieux », ajoute-t-elle. Le statut « Oacas » (organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire) ne protège pas de l’expulsion les compagnon·nes en situation irrégulière.
Caricaturé par les autorités et une partie de la presse comme un promigrant, Cédric Herrou se définit comme « un militant pour la vie avec un grand V. On ne peut pas dissocier humanitaire et politique. C’est un combat de justice fondamentale ». Son projet lie deux priorités actuelles : « lutte écologique et respect des personnes ». Et Emmaüs Roya compte essaimer. « Une quinzaine de projets, qui vont de jardins pour l’autoconsommation des communautés à de véritables fermes sont en cours », nous dit au téléphone Michel Frédérico, vice-président de la branche communautaire et compagnon à Pamiers (Ariège).
Pierre Isnard-Dupuy et Sébastien Aublanc
Article initialement paru sur le site Reporterre