Pour nombre de journalistes, de politiques et finalement de citoyen·es-téléspectat·rices, le simple fait de s’appuyer sur un avis d’expert·es est suffisant ; il fait autorité et finalement le contester place le militant·e lanceur ou lanceuse d’alerte dans le camp des paranoïaques adeptes de la théorie du complot. Pourtant, à bien y regarder, l’avis de l’ANSES est tout sauf rigoureux.
Le pire étant que l’ANSES met noir sur blanc les éléments permettant de discréditer immédiatement l’avis qu’elle publie. C’est la nouvelle façon d’éviter d’être accusé de cacher des choses. En page 5 de son avis, l’Agence affirme en toute transparence et indolence que « l’évaluation de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques des résident·es repose sur des données limitées issues d’études effectuées dans les années 1980. […] À ce titre, l’EFSA [agence européenne] recommande la réalisation de nouvelles études pour affiner l’évaluation proposée. » Comment peut-on publier un avis d’expert·es, censé éclairer la décision publique, à partir d’informations scientifiques datant d’il y a plus de 30 ans ?! Depuis cette époque, plus de 10 000 nouveaux pesticides ont été mis sur le marché européen, des organismes génétiquement modifiés aux pesticides systémiques dont les fameux insecticides néonicotinoïdes.
L’ANSES indique de surcroît qu’« actuellement la méthodologie présentée dans le document guide de l’EFSA permet une estimation de l’exposition des résident·es uniquement à des distances de 2-3, 5 et 10 m ». Au-delà de cette distance, on sait qu’on ne sait rien. Ceci n’empêchant nullement l’agence gouvernementale de préconiser un périmètre de 3 à 10 mètres ; bien vite repris par le gouvernement qui n’en demandait pas tant pour justifier son soutien à l’industrie de l’agrochimie !
Manipulation de la population
Avec une facilité déconcertante, l’ANSES a pris part à un savant travail de manipulation de la population, en éditant un avis qui aurait pu faire date lorsque François Mitterrand était président. Depuis, de l’eau contaminée a coulé sous les ponts. De fait, cette agence permet de décentrer le débat. D’un débat politique (donc éminemment subjectif), la notion de périmètre de protection des riverain·es devient un débat scientifique, donc prétendument objectif et surtout exclusif. Seuls les expert·es sont autorisé·es à commenter l’avis des expert·es.
Selon la formule consacrée, la forme est toujours du fond qui remonte à la surface. Avec l’ANSES, l’expertise, c’est du politique qui bouillonne, fermente et remonte à la surface. L’heure est désormais venue d’assumer le fait que ces « expert·es » sont illégitimes pour prendre une décision politique. Le partage des rôles entre expert·es et politiques est illusion. Ce sont les deux « farces » d’une même pièce, au service des lobbies. Les un·es revêtent les habits bien propres des savant·es fous en blouse blanche ; les second·es simulent le sérieux d’irresponsables cyniques agissant pour le compte des lobbies qui nous tuent à petit feu. Expert·es et politiques sont ici les porte-paroles officieux de l’industrie des pesticides. À la lecture de l’avis de l’ANSES, les choses sont désormais claires.
Stéphen Kerckhove