L’histoire de la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes plonge ses racines dans les années soixante. Située à 25 km au nord de Nantes, la région risquait de voir plus de 1 600 ha de terres agricoles et de forêts disparaître sous le béton, au profit de ce qu’on appellera plus tard un grand projet inutile et imposé (GPII) (1). Mais c’était sans compter sur des décennies de luttes multiformes, et surtout, en 2008, sur un appel à venir occuper les terres, porté par le collectif « Habitant·e·s qui résistent ». Celui-ci a débouché sur l’occupation du territoire par une nébuleuse de personnes venues lutter contre l’aéroport et son monde : en construisant leurs habitats et en produisant leurs propres aliments de subsistance, en voulant fonctionner collectivement, hors des normes et logiques marchandes, tout en servant de base arrière et de soutien à d’autres luttes. L’échec de la tentative d’expulsion de 2012 ne fit que renforcer ces dynamiques, laissant ainsi le champ libre à la ZAD pour se déployer pendant près de six ans en toute liberté, sans justice et sans police.
Pour le meilleur et pour le pire : 2018, une année charnière
C’est en janvier 2018 que l’État annonce officiellement l’abandon du projet. Cette victoire inédite est le produit d’années de luttes déterminées, de démonstrations de force et d’une indispensable complémentarité des modes d’action entre les différentes composantes du mouvement (2). Dans le même temps, l’État réaffirme sa détermination à expulser la ZAD et à ramener « l’ordre ».
Conscient que le groupe perdrait de sa force une fois le projet abandonné, le gouvernement s’y est attelé progressivement, misant sur les conflits internes et les faiblesses du mouvement (3). Il a refusé toutes les propositions de gestion collective portées par le mouvement en imposant uniquement la possibilité de déclarer des installations individuelles ; une « proposition » inacceptable pour le mouvement, qui donna à l’État l’occasion de lancer, le 9 avril 2018, la plus grosse opération militaire sur le sol français depuis Mai-68, et la première utilisation des blindés en France métropolitaine.
Tout l’Est de la Zad fut détruit et des centaines de personnes furent blessées par les armes de la gendarmerie lors de cette première semaine d’expulsion. Puis une fausse « trêve » a été mise en place par la préfecture, manière de proposer un rendez-vous de la dernière chance.
Des habitants de la ZAD ont alors fait le pari de continuer le combat en conjuguant mobilisations dans Nantes et défense physique de la zone, avec une lutte sur le terrain administratif. Une majorité des lieux encore debout ont alors négocié un « paquet » de projets individuels interdépendants et indissociables (dans le but de protéger également les projets collectifs), tandis que d’autres misaient sur le seul rapport de force physique pour défendre leurs lieux de vie. Malgré des tentatives de résistance, les quelques lieux qui n’avaient pas fait le pari de la « négociation » ont été la cible d’une implacable deuxième phase de destruction et d’expulsion.
Continuer la lutte par d’autres moyens : état des lieux
Le bilan de l’année 2018 est lourd : plus de la moitié des lieux de vies détruits, des centaines de personnes blessées ou incarcérées… La ZAD a changé et le mouvement s’est recomposé (4). Malgré tout, la lutte continue pour sauver les terres, les habitats, les habitant·e·s comme leurs projets, et défendre d’autres manières de vivre, d’habiter et de se nourrir (5).
Les terres de la ZAD couvrent environ 1 600 ha. Dans les mois qui ont suivi l’abandon, une bataille s’est engagée sur la redistribution des parcelles agricoles, contre l’agrandissement de fermes conventionnelles et pour l’accès collectif à la terre. Une quinzaine de projets issus du mouvement ont donné lieu à la signature de baux ruraux stables, qui couvrent l’ensemble des terres déjà occupées avant l’abandon ainsi qu’un ensemble de parcelles supplémentaires d’environ 310 ha. Des négociations sont en cours pour le maintien de l’usage et de la gestion des haies et des forêts par le mouvement (environ 230 ha). Les paysan·nes historiques résistant·es ont récupéré leurs terres (environ 360 ha), tandis que les « cumulard·es » — les paysan·nes qui avaient accepté de collaborer avec Vinci — profitent toujours de terres qu’ils ont accepté de céder à bon prix (environ 460 ha), tout en récupérant généralement des parcelles en compensation à l’extérieur de la ZAD. Sur l’avenir d’un certain nombre de ces parcelles un nouveau bras de fer entre le mouvement et les « cumulards » est annoncé pour cet automne.
Malgré le processus de légalisation en cours, la situation reste précaire et à la merci de choix politiques — et non simplement administratifs ou juridiques — difficiles à anticiper. Cela a convaincu une partie des membres du mouvement de faire plusieurs paris : défendre des modes alternatifs d’habiter, conscients des enjeux climatiques, face au futur plan d’urbanisme intercommunal (PLUI), lutter pour obtenir des baux ruraux — dont beaucoup sont maintenant signés — ainsi que l’installation de nouveaux projets d’agroécologie sur les parcelles qui seront disponibles, et se mettre en position d’acheter les bâtis et parcelles qui seraient mises en vente.
Le nouveau pari : le fonds de dotation La Terre en commun
Depuis plusieurs années, on s’interroge sur les moyens de se projeter dans l’après-aéroport et de prendre collectivement en main les terres défendues (6), notamment pour y promouvoir des méthodes originales d’habiter le bocage. Et c’est par le biais de la création d’un fonds de dotation que le pari est lancé de racheter les terres et les bâtis de la ZAD. Il s’agit de mettre la propriété collective au service des communs du mouvement pour garantir le maintien des activités collectives nées de la lutte contre le projet d’aéroport, et pour voir fleurir des projets basés sur l’entraide, la mutualisation et le respect de la terre et de la nature.
Situé entre l’association et la fondation, le fonds de dotation présente plusieurs avantages majeurs. Tout d’abord, c’est une structure sans parts ni actions, ce qui signifie que, quel que soit le montant de son don, aucun individu n’obtient plus de poids. Cela limite les risques de prise de pouvoir ou de chantage liées aux contributions. De plus, nul ne peut reprendre ce qu’il a donné, et le fonds ne peut pas céder ses biens, qui sont donc placés en dehors de la spéculation et des recherches d’enrichissement personnel.
Ensuite, le fonds permet de séparer la propriété et les usages. Ses orientations sont données par l’Assemblée des usages, l’Assemblée générale du mouvement, et il est dirigé par un conseil d’administration constitué de personnes proches de la lutte qui ont la confiance de leurs pairs. Tout en restant propriétaire, il mettra ses possessions (terres, bâtis, etc.) à disposition des projets du mouvement, qui en deviendront usagers.
La lutte continue : les milles manières de se serrer les coudes
Même si la situation a changé, le mouvement continue de se battre pour tenter de pérenniser ce qui s’est mis en place durant cette folle décennie d’occupation et de création, contre la privatisation des terres, contre les logiques marchandes et industrielles et contre toutes les formations d’oppression et domination. De nouveaux projets apparaissent, de nouvelles personnes rejoignent la ZAD, de nouveaux liens se créent pour renforcer cette lutte. Nous continuons à défendre et à vivre une autre vision du monde, qui prend davantage soin de son territoire et de ses habitant·es, humains ou non humains.
Et il y a mille manières de participer. Que ce soit en venant sur place participer à la vie quotidienne ou pour y vivre et y porter des projets, ou en soutenant la ZAD en restant là où vous êtes, ou encore en aidant le fonds de dotation à racheter les terres. L’ensemble des contributions est précieux pour que la lutte continue, prenne de l’ampleur et que l’on continue à faire exister d’autres possibles.
Camille
(1) Pour en savoir plus sur ces soixante ans de lutte , voir la « Chronologie » ainsi que les six numéros de Lèse Béton sur zad.nadir.org, et les entretiens disponibles sur https://mauvaisetroupe.org/spip.php?rubrique70
(2) Voir la brochure « C’est quoi la ZAD ? », l’article « L’idéologie de la non-violence en question » dans Timult n°6, ou encore les écrits de Peter Gelderloos, Howard Zinn et Ward Churchill.
(3) Pour en savoir plus sur 2018, voir les brochures « Et si seulement : chroniques subjectives de la ZAD », « La fin de la ZAD, le début de quoi ? », « Lettre aux comités locaux et à toutes celles et ceux qui aimeraient comprendre où on en est sur la ZAD » et « La route des 10 cordes ».
(4) Les composantes de la lutte ne sont plus les mêmes (l’ACIPA s’est dissoute malgré des volontés internes de continuer, le CEDEPA a lâché la ZAD dès l’abandon du projet, etc.), ce qui a réuni les personnes qui croient à l’avenir de la ZAD au-delà de leur groupe d’origine, notamment avec la création de l’association NDDL Poursuivre ensemble (voir www.nddl-poursuivre-ensemble.fr/ )
(5) Pour une liste non exhaustive des projets, voir le site de La Terre en commun https://encommun.eco
(6) « Les six points pour l’avenir de la Zad : parce qu’il n’y aura pas d’aéroport », fin 2015
Pour plus d’infos et pour contribuer : https://encommun.eco et https://zad.nadir.org