Nous sommes certainement nombreu·ses à posséder un livret A, peut-être même un livret LDDS. Rappelons la signification de ce sigle : Livret de Développement Durable et Solidaire. C’est un livret d’épargne réglementé et défiscalisé. À fin de l’année 2018, l’épargne totale placée par les Français·es sur leurs LDDS atteignait 107,6 milliards d’euros.
Un geste citoyen ?
Même si la rentabilité, vu l’inflation, est nulle, on aurait presque envie d’y placer ses économies pour faire un geste citoyen. Cependant, c’est le ministre des Finances en personne qui tout récemment (1) nous mettait en garde : le nom-même de ce livret n’est que « tromperie sur la marchandise » (sic), et il souhaitait que les fonds des livrets réglementés centralisés à la Caisse des Dépôts et Consignations soient bien utilisés exclusivement à un développement durable de l’économie. Concrètement, ce compte d’épargne collecte des fonds pour le financement de travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens, mais aussi pour le financement des petites et moyennes entreprises (PME) (2).
Un livret qui finance les énergies fossiles
Peut-être certain·es député·es avaient ces paroles fortes à l’esprit lorsqu’ils ou elles ont proposé une loi en janvier 2019 « En faveur de la transparence sur l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique » pour veiller à ce que l’épargne populaire des livrets réglementés contrôlés par l’État (donc, essentiellement ceux gérés par la CDC) ne puisse pas servir au développement des énergies fossiles (3). Le texte proposait que les investissements dans les secteurs énergétiques utilisant les fonds des particuliers dans les livrets réglementés soient transparents, et privilégient les énergies renouvelables. Il ne s’agissait donc que d’une mesure très limitée, presque symbolique au regard des sommes en jeu. Un député a aussi mentionné au passage une perspective : puisque c’est le gouvernement qui décide de la rémunération des dépôts sur les livrets réglementés, on pourrait imaginer que les taux d’intérêt soient fixés en fonction de l’utilité écologique et sociale des placements.
Ce texte a été présenté et débattu à la Commission des Finances le 20 février 2019. Et que croyez-vous qu’il arriva ? On entendit les députés LR, CDI et LREM dénoncer une vision « dirigiste » et « punitive » de l’économie, une « écologie forcée », un inadmissible « fléchage des flux financiers », « un encadrement contraignant des banques par la puissance publique » qui « pourrait mettre en difficulté les banques françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères ». Il importait, au lieu d’imposer, d’attendre, et de faire confiance au sens des responsabilités des banques. Tout était dit, la proposition de loi a été repoussée. (4)
Les lecteurs et lectrices de Silence qui auraient, oubliés au fond d’un tiroir, un livret A ou un livret LDDS, s’empresseront de transférer cet argent, même si les sommes sont symboliques, sur des supports qui garantissent la transparence et le bon usage des fonds : Energie Partagée, Enercoop, La NEF, ou une coopérative locale pour l’énergie verte.
Mais surtout, au-delà de ce geste modeste, ces personnes interpelleront leurs député·es : il et elles ont pour mission de prendre l’initiative de lois pour le bien de la société, et là nous demandent expressément de nous plier aux lois du marché.
Jean-Pierre Cattelain, membre de la Plateforme des Finances Solidaires de Franche-Comté
(1) C’était le 26 novembre 2018 lors du « Climate Finance Day ». Les 5 « sponsors » de premier rang de cette manifestation étaient : BNP Paribas, Société Générale, AXA, Crédit Agricole et la Caisse des Dépôts et Consignations. Extrait de la présentation officielle : « Le Climate Finance Day se donne cette année encore pour objectif d’accélérer les engagements du secteur financier et de faire le bilan des engagements déjà pris ».
(2) Aux termes de la loi Sapin 2, les établissements distribuant le LDDS doivent proposer aux détent·rices, tous les ans, d’affecter une partie des sommes qui y sont déposées sous forme de don à une entreprise de l’économie sociale et solidaire (ou entreprise solidaire d’utilité sociale agréée). Cependant, aucun gouvernement depuis décembre 2016 n’a pris le décret nécessaire pour appliquer cette disposition, qui reste donc lettre morte.
(3) Deux rapports d’Oxfam France et des Amis de la Terre, publiés au mois de novembre 2018, montrent que, depuis la COP21, sur 10€ de financements accordés par les banques au secteur des énergies, 7€ vont aux énergies fossiles, contre 2€ aux énergies renouvelables.
(4) Voir sur www.assemblee-nationale.fr, « Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, mercredi 20 février 2019, séance de 9 heures 30, compte rendu n°54 ».