Article Alternatives Décroissance

Pourquoi la décroissance rencontre-t-elle si peu d’écho ?

Jean-Claude Decourt

La croissance, notion intrinsèque à la vie ? C’est l’argument principal pour critiquer la décroissance. Alors que nous sommes de plus en plus nombreu·ses à comprendre que c’est la croissance qui nous mène à l’abîme, elle est tout de même érigée en dogme. Dans le même temps, la préoccupation écologique grandit.

La croissance est inhérente au système capitaliste qui a, par nature, besoin de toujours plus et n’accepte aucune limite. Être écologiste sans être anti-capitaliste n’a pas de sens. Mais qu’est-ce que le capitalisme aujourd’hui ? Le capitalisme a fait monde, il est bien plus qu’un simple système économique, son imaginaire a envahi tous les domaines de la vie et la plupart des esprits : tout doit être quantifié, chiffré, évalué, classé, normé, la vie n’a plus sa place.
La croissance économique tue la vie. Une pulsion de mort est à l’œuvre au cœur des sociétés dites modernes.

Capitalisme et questions existentielles, quelles relations ?

Chacun·e possède au fond de soi, une part de démesure héritée de l’enfance. Pour différentes raisons, certain·es y céderont, d’autres, non. Misère et pauvreté touchent encore des êtres en France même. Cela pourrait être facilement résolu par un véritable ISF et en taxant les multinationales.
Cependant, le fait marquant depuis la dernière guerre est l’apparition de classes moyennes en occident mais également en Chine et en Inde.
L’homme ou la femme moyen·ne de ces sociétés ayant assouvi ses besoins vitaux voit alors surgir les questions existentielles. Pour l’instant, elles sont fuies dans une folle agitation mêlant sur-consommation et sur-occupation. Ceci fait les affaires de la société marchande et de la croissance exponentielle car les questions existentielles refaisant sans cesse surface elles entraînent à chaque fois le même processus. La boucle est bouclée !
De façon le plus souvent inconsciente, la personne moderne « moyennisée » des sociétés capitalistes, pétrie de peurs, pérennise un système censé lui apporter l’oubli et la paix.
Ce système lui permet de :
… ne pas penser à sa finitude.
… compenser ses carences identitaires (narcissisme, snobisme de masse, mode, pseudos-
personnalités).
… compenser son manque d’estime de soi (réussite sociale, esprit de compétition).
… se sentir puissant, voire plus puissant que les autres.
… se rassurer (assurances pour tout).
… ne pas se responsabiliser, rester un enfant.
… se sentir exister dans le regard des autres (course aux apparences, boom des
croisières et des voyages en avion,...).
… se garantir une dérisoire infinitude (les riches se bâtissant des empires comme les pharaons des pyramides).
… lutter contre son ennui et sa vacuité (la sur-occupation dans la société des loisirs et du divertissement).
… assouvir son désir mimétique.
… éviter de réfléchir à sa vie et au Monde (c’est compliqué et fatigant).
… éviter de comprendre ce qui le meut, ses zones d’ombre, sa propre altérité (ça fait peur).
… remplir son vide intérieur.
… etc...
Le problème c’est que tout ceci détruit la planète tout en étant… inefficace.

Pourquoi changer est-il si difficile ?

Peut-être parce que…
Les habitudes rassurent (mais éteignent l’imagination et la créativité). L’inconnu fait peur (l’inconnu en nous également). Se singulariser (s’autonomiser, se subjectiver) demande du travail sur soi, de l’effort (il est plus facile de faire une thérapie brève à l’américaine que d’entreprendre une psychanalyse).
Penser est fatigant et passe souvent, même dans les milieux alternatifs, pour une perte de temps par rapport au « faire ». La peur de se tromper et de se retrouver dans une situation pire est vivace. Le manque de confiance en soi, souvent présent. Il n’y a pas de mode d’emploi et montrer des alternatives ne suffit pas.
Lorsqu’on s’est construit·e autour d’une névrose qui nous tient, le changement peut sembler impossible, de plus ce qui nous soutenait a disparu ou presque : la religion, les grandes idéologies, les partis politiques etc. Avouer qu’on s’est trompé pendant de nombreuses années (voire toute sa vie) est difficile, et, changer nous fait parfois rompre avec les gens qu’on aime, notre famille, nos amis,… J’ai moi-même pu constater que le chemin était plus important que le but.

Foutu·es ?

Oui, si l’on accepte un système qui implique une perte de relation à soi (pas de rapport vivant à ce qui se passe en soi). Un système totalisant qui « soulage » les êtres d’avoir à trouver leur réponse en leur proposant des pseudos-personnalités en prêt-à-porter et prêt-à-penser.
Oui, si les êtres « vides » le restent (la mondialisation marchande n’a pas prise sur des sujets « pleins », autonomes).
Oui, si l’on considère que rejoindre ou créer une alternative sans résoudre ses problèmes est suffisant (j’ai pu le vérifier pendant mes tournages). Pour mes tournages j’ai visité beaucoup d’expériences, j’y ai souvent vu la reproduction des tares du capitalisme (besoin de domination, de « guides », névroses profondes, égoïsme, narcissisme,…).
Oui, si nous n’étudions pas ensemble les causes profondes de nos comportements.
Oui, si nous croyons que les effondrements à venir suffiront à nous faire évoluer.
Non, si nous ralentissons, y compris dans les alternatives, pour créer des lieux où penser, développer nos connaissances, nos moyens d’information.
Non, si nous acceptons d’explorer la part d’ombre en nous.
Non, si nous pouvons imaginer ensemble une bonne réponse à nos angoisses existentielles (le
capitalisme en étant une très mauvaise).
Non, si nous avons compris qu’un vrai changement s’accompagne d’un profond changement
intérieur (gratuit) et d’une re-connexion avec son être profond, ce qui est le contraire du développement personnel à la sauce libérale (en vente partout).
Non, si nous comprenons que boycotter le système (les êtres « pleins » le peuvent) et sa pacotille, le fera s’écrouler plus sûrement que toutes les manifestations et pétitions.
Non, si nous comprenons qu’après les effondrements, construire des sociétés plus justes et plus tendres, en harmonie avec la nature, ne pourra qu’être le fait de femmes et d’hommes singuliers, autonomes, justes et tendres.

Jean-Claude Decourt
Réalisateur utopimages.fr

Films de Jean-Claude Decourt :
Simplicité et décroissance (2007)
Les pas de côté (2009)
Changer et changer le monde (2015)

Une (r)évolution peut-elle « venir d’en haut » ?
Les élu·es font ce qu’ils et elles sentent que leurs élect·rices attendent. La faiblesse des mouvements écologistes (alors qu’il s’agit du fondement de toute vie) est consternante. Comment l’expliquer ?
Sans doute parce que pour beaucoup, le besoin de consolation est plus important que la nature. La finitude de la planète renvoie à la notre, à nos peurs. Aucun homme politique n’aborde les questions sous cet angle, il faudrait du courage.

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