L’autre jour, dans un magasin agricole au cœur de la Creuse, je me tenais à côté de l’intervenante venue présenter la permaculture à l’occasion des portes-ouvertes, et j’ai été touchée par deux femmes venant demander conseil. La première, une quadragénaire pleine d’entrain, expliquait que la terre lui exprimait sa fatigue. Cultivé avant elle par sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère, son jardin paraissait moins en forme et ne produisait plus autant que dans le passé. La seconde, octogénaire au sourire doux et au regard pétillant, déplorait de ne plus réussir à jardiner comme avant avec les divers problèmes de santé liés à l’âge. Sa belle-fille était « dans la permaculture » et avait eu l’an passé de bien belles tomates, contrairement à elle. Elle venait donc pleine d’espoir entendre le secret qui lui permettrait de continuer à savourer de bons légumes « maison » malgré ses genoux douloureux. Ce qui m’a émue, au-delà de l’attachement profond de ces femmes pour leur jardin, c’est que ces récits de lignées de femmes se succédant dans le potager et les rosiers m’ont fait penser à ma grand-mère. Ma grand-mère, qui s’occupait de ses cinq enfants – dont un lourdement handicapé – puis de sa flopée de petits-enfants, et qui trouvait le temps d’entretenir avec amour son carré de terre, son verger, dans un petit coin de Lorraine ; pour régaler son petit monde avec des laitues et des blettes fraîchement cueillies.
Le jardin, un lieu à soi
Ma grand-mère n’est plus là pour que je lui dise comment, après des années hors-sols à Paris, des recherches en sociologie rurale m’ont menée dans des écolieux où le travail de la terre a occasionné des réminiscences d’odeurs, de sons et a fait naître en moi le désir puissant de m’installer à la campagne, de construire une activité où le corps, le cœur et l’esprit sont alignés. Nous sommes aujourd’hui de plus en plus nombreu·ses à nourrir ce souhait, et certain·es à le concrétiser. Faut-il voir dans ce retour à la terre une quête de sens, une réponse au malaise croissant provoqué par la crise environnementale et sociale ? Je me demande ce que chuchotaient toutes ces générations de femmes – qui ont pu connaître des époques troubles et incertaines – aux plantes qu’elles semaient et repiquaient. Trouvaient-elles dans le jardin un lieu à soi, un espace de liberté en des temps où l’égalité des sexes était encore plus loin d’être conquise ?
On souligne parfois que l’agriculture française se féminise doucement. Au-delà de ce que les statistiques peuvent nous apprendre à ce sujet, je voulais rendre hommage ici à toutes ces femmes qui cultivent, au Nord comme au Sud, à petite échelle. Pour la sécurité qu’apporte le fait de produire de quoi se nourrir et nourrir sa famille, mais aussi pour cultiver la vie et l’abondance, la possibilité du partage : pour soi, et pour plus que soi.
Constance Rimlinger