« Dans les contextes où l’accès à la contraception est suffisant et où l’assurance vieillesse repose sur des mécanismes collectifs de redistribution, je doute que faire un enfant puisse être défendu comme une pratique écolo-compatible, prévient Charlotte, 30 ans. Partant de là, ayant malgré tout fait ce choix, nous sommes dans une optique de ‘réduction des dommages’. Dès le départ, nous nous situons dans une idée de compromis. Une posture puriste est impossible. »
En dessous de la ceinture…
L’un des premiers défis qui s’imposent aux parents, dès la naissance, est celui de l’urine et des selles rejetées par bébé. Plusieurs options sont alors envisageables.
Aline et Florian ont opté pour les couches lavables. « Les couches lavables résistent à plusieurs bébés sans souci, et il vaut même mieux les acheter d’occasion (les neuves nécessitent plusieurs lavages pour être bien absorbantes). Ça fait une sacrée économie par rapport à des couches jetables. On en est très content·es, mais il faut accepter que cela nécessite un peu plus de temps : c’est moins absorbant, le change se fait donc un peu plus fréquemment, et tous les deux jours, on lance une machine à laver de couches. » (1) Cependant, des concessions sont parfois nécessaires pour le bien-être de tout le monde : « Pour le deuxième, on met une couche jetable biodégradable la nuit. » Par ailleurs, « on utilise des lingettes lavables en tissu pour lui nettoyer les fesses. On n’utilise pas de liniment, mais de l’eau ». (Voir aussi l’article sur les couches lavables).
Lucie et Albert ont opté pour l’hygiène naturelle infantile (HNI pour les intimes). Cette pratique consiste à observer les réactions du bébé afin de détecter les signes indiquant qu’il a envie de faire ses besoins, puis de lui permettre de se soulager immédiatement dans des lieux adaptés. L’un des effets de ce choix est l’absence de couches pour l’enfant… et une présence adulte très attentive. « Notre fils n’a jamais porté une seule couche. Nous étions en communication avec lui pour tous ses besoins, y compris ceux du bas, et il faisait dans un petit pot, dans les toilettes ou dans l’herbe. » (2)
Quand vient l’heure du biberon
Comment bébé s’alimente-t-il ? « Le premier a été allaité jusqu’à un an environ, après il n’a plus voulu », poursuivent Aline et Florian. Émeline a pratiqué un « allaitement complet exclusif long, même avec la crèche, la reprise du travail, etc. ».
Au moment de la diversification alimentaire, Aline et Florian ont « évité au maximum les pots achetés » et privilégié « du fait-maison avec les légumes de l’Amap ».
Lucie et Albert, de leur côté, ont pratiqué la diversification alimentaire menée par l’enfant (DME). Cette pratique consiste à laisser bébé apprendre à manger de façon indépendante, à prendre, mâcher et digérer la nouvelle nourriture solide. Ceci se fait en combinaison avec l’allaitement, dans une optique de respect de son rythme et d’autonomisation de l’enfant. « Nous n’achetions pas de petit pot ni ne faisions de purée ; il a mangé des morceaux dès qu’il a pu s’asseoir par lui même, découvrant les goût et textures et exerçant sa motricité fine. »
« Nous sommes parti·es de la maternité à vélo ! »
Comment se déplacer avec bébé ? La réponse différera sans doute selon que l’on vit à la ville où à la campagne, en banlieue ou dans l’hypercentre, etc. Ainsi Émeline, mère d’Azalaïs, qui vit en centre-ville de Lyon, utilise le portage « même tardif, sans poussette ni cosy ou autre engin, même à vélo ».
Lucie et Albert se sont toujours déplacés à vélo. Avant la naissance de son enfant, le couple s’est installé « non loin d’une petite ville (20 à 30 minutes de vélo) et d’une gare afin de pouvoir aller travailler, voyager et voir la famille et les ami·es en train. » Il continue à utiliser prioritairement le vélo pour les trajets du quotidien et le train pour les trajets plus lointains, même si, depuis son installation à la campagne, « on prend un peu plus la voiture car on en a parfois besoin pour du gros matériel (récupération de palettes par exemple). »
« Nous avons investi dans un tandem spécial (Hase Pino) où la personne de devant est dans la position vélo couché, poursuivent Lucie et Albert. Nous sommes ainsi parti·es de la maternité à vélo ! Lucie, à l’avant, portant le bébé sur son ventre dans une écharpe de portage (on précise qu’il est très dangereux de faire la même chose sur un vélo en position classique). Aujourd’hui, Lucie a adapté une carriole de vélo à l’avant, dans laquelle notre fils s’assoit, il peut y jouer, lire etc. Quand on prend le train, on utilise plutôt un siège vélo classique sur un porte bagage de vélo classique. »
Réutiliser plutôt que consommer
Au niveau de l’équipement du quotidien, il y a un consensus chez nos parents écolos : mieux vaut réutiliser que consommer inutilement des produits neufs. « Tous les vêtements et accessoires sont d’occasion (venant soit d’Emmaüs, soit de parents qui nous ont donné les vêtements de leurs enfants devenus grands) », expliquent par exemple Aline et Florian.
Lucie et Albert utilisent également des « vêtements évolutifs », c’est à dire utilisables à différents stades de la croissance grâce à des astuces de boutonnage, à l’élasticité des tissus et à des coupes spécifiques. Lorsqu’il est nécessaire d’acheter du neuf, ces néoruraux privilégient « les vêtements produits de manière écologique ou faits maison par Lucie ».
Le diable se cache parfois dans les détails : « En cette période de rhume, on utilise beaucoup de sérum physiologique pour le nez de notre enfant : plutôt que d’utiliser les dosettes à l’unité, on a une pipette que l’on remplit à l’aide d’une bouteille de 25 cl », précisent Aline et Florian (3). De même, « on n’a pas donné de tétine au grand, on a préféré qu’il prenne son pouce pour éviter, entre autres, l’utilisation d’un objet en plastique jetable. »
La lutte contre la consommation outrancière passe également par les cadeaux. C’est « notre combat en ce moment », témoignent Aline et Florian, qui tentent de convaincre l’entourage familial de leur acheter des objets d’occasion si nécessaire. À la naissance de leur enfant, Lucie et Albert ont créé une cagnotte pour acheter des vêtements éthiques (la plupart d’occasion). Cela a « limité les dégâts », selon eux.
D’autres choix liés au féminisme
Très sensibilisé·es aux enjeux écologiques, Charlotte et Laurent ont voulu d’emblée questionner leurs pratiques également sous l’angle des rapports sociaux de sexe, de la domination liée au genre.
Des études telles que « Devenir parents, devenir inégaux », publiée en Suisse en 2016, montrent à quel point des couples hétérosexuels épris d’égalité voient systématiquement les inégalités de genre se renforcer en leur sein avec l’arrivée d’un enfant. Conscient·es de ces risques, Charlotte et Laurent se lancent dans l’aventure parentale. Les risques d’inégalité sont d’autant plus importants que Laurent est dans une situation sociale plus avantageuse que Charlotte : homme plus âgé, il dispose d’un statut professionnel et de revenus plus enviables qu’elle. C’est pourquoi le couple a voulu « anticiper les effets de domination pouvant résulter de cette asymétrie par des mesures compensatoires ».
Pour commencer, ils ont décidé que la mère ne serait pas en première position dans les soins à apporter à l’enfant. Laurent a diminué son temps de travail, pour laisser aussi à Charlotte l’opportunité d’œuvrer à sa formation professionnelle et à son insertion dans le monde du travail.
La seconde mesure a été de ne pas suivre « une position écolo idéale, qui aurait été d’allaiter si je le pouvais, notamment pour échapper au lait industriel ». Malgré une forte pression sociale et médicale, Charlotte ne fait pas ce choix « qui m’aurait mise en première ligne pour les soins à l’enfant, nécessitant une présence quasi-constante de ma part ». Elle opte, avec Laurent, pour les biberons au lait maternisé. « Cela m’a permis de dormir mieux juste après l’accouchement, de réaliser des activités professionnelles et militantes durant cette période, etc. » (4).
Passer de l’individuel au collectif
De la même manière, Charlotte et Laurent ont fait le choix des couches jetables. « Les couches lavables sont une excellente solution pour diminuer les déchets », reconnaît Charlotte. Mais pour que, dans les faits, ce choix ne soit pas synonyme d’exploitation domestique féminine, « une politique écologique convaincante articulerait la promotion des couches lavables et la mise en place de services collectifs de blanchisserie accessibles (et non réservés aux classes aisées) ». Elle rappelle que cela « faisait partie des revendications des mouvements féministes des années 1960-1970, avec des services de crèche et de garderie en nombre suffisant et accessibles également ». « Il s’agit d’exiger un investissement fort des pouvoirs publics, des collectivités. On culpabilise les parents qui ne sont pas de parfaits écolos, mais il faudrait d’abord que les collectivités mettent en place des infrastructures qui permettent une réelle égalité de genre, en les combinant avec l’écologie (pour les repas donnés aux enfants par exemple). »
Pas d’écologie sur le dos des dominé·es !
Pour Charlotte, il importe de penser la parentalité en rapport avec l’exigence écologique mais aussi avec les autres rapports de domination. Si l’on ne prend pas en compte les inégalités sociales, raciales, de genre, etc., on risque fort de « faire de l’écologie sur le dos des dominé·es, femmes ou encore travailleuses exploitées ».
En ce sens, la question de la garde des enfants est emblématique. Charlotte et Laurent ont eu la chance d’obtenir une place dans une crèche 31 heures par semaine. Pour des raisons sociales, ils espéraient ne pas avoir à se tourner vers une garde individuelle. Les assistantes maternelles travaillent généralement chez elles, n’ayant pas de lieu à disposition hors de leur domicile pour exercer leur activité. Elles n’ont pas d’espace pour se réunir et échanger sur les enjeux liés à leurs conditions de travail (5). Selon Charlotte, il faut faire un effort collectif pour revaloriser les métiers de la petite enfance au niveau du salaire, de la formation et de l’évolution de carrière, mettre des locaux à disposition, promouvoir la mixité. « Les exigences écologiques demandent à être combinées avec des exigences anti-oppression », conclut-elle.
Ce tour d’horizon des pratiques écologiques liées aux bébés n’est pas exhaustif. Il nous resterait à explorer avec Émeline comment « faire vivre plein d’expériences à ma fille sans voiture ni écran ». À mesurer l’impact de la présence d’un entourage familial sur ces pratiques et sur ces choix. À explorer la manière dont un bébé peut grandir avec d’autres référent·es qu’un seul couple parental, ou encore à approfondir comment les parents se démènent tant bien que mal avec l’obligation vaccinale et autres injonctions médicales.
Nous laisserons Émeline conclure : « Ce n’est pas l’enfant à venir ou né qui est écolo, c’est la démarche des parents, de l’entourage et de la famille qui doit et peut s’inscrire dans la non-violence, le réemploi, l’expérientiel. C’est contraignant, c’est fatigant mais c’est ce que je veux lui transmettre afin qu’il soit capable de faire face aux évolutions civilisationnelles à venir. »
Guillaume Gamblin
(1) Par ailleurs, « il faut également les décrasser de temps en temps (une nuit de trempage dans de l’eau avec du liquide vaisselle puis lavage et rinçage en machine pour enlever les résidus de lessive et rendre ainsi aux couches leur absorption optimale) », complètent Aline et Florian, qui précisent encore : « On a testé plusieurs types de couches lavables, avec plus ou moins de succès (fuites), cela dépend beaucoup de la morphologie de l’enfant. Il n’y a pas de marques parfaites, il faut en tester plusieurs. »
(2) « Notre bébé ne mettant pas de pantalon du fait de l’hygiène naturelle infantile, nous avons découvert la laine et acheté d’occasion des jambière en laine puis d’autres vêtements. Cela permet de ne pas laver à chaque ‘pipi raté’, il suffit de laisser sécher avec la laine, cela permet d’économiser les lessives. Par rapport aux garde-robes classiques, nous avons beaucoup moins de vêtements, sans faire forcément plus de lessives puisqu’on lave les vêtements en laine à la main et seulement une à deux fois par mois. »
(3) « Ce n’est pas stérile... mais nous sommes convaincu·es que ce n’est pas nécessaire pour cet usage et que cette injonction de stérilité est une dérive hygiéniste », précisent ces parents.
(4) Lucie et Albert choisissent d’habiller leur fils de manière non genrée, lui permettant s’il le souhaite de mettre des robes, des jupes, du rose… Ils le laissent également décider de se couper les cheveux s’il le veut, quand il le veut.
(5) Le syndicat national des auxiliaires parentales a été créé en 2012 notamment grâce aux combats de Sylvie Fofana, relatés dans Silence no 428 (« Révoltée, Sylvie la nounou a créé un syndicat »). UNSA/SNAP, 3 rue du Château-d’Eau (Bourse du travail, 5e étage), 75010 Paris, tél. : 01 44 78 54 06, http://unsa-snap.org.
La médicalisation de la naissance et de la petite enfance
« Quand notre fille s’est annoncée, notre premier choix ‘low tech’ a été de me tourner vers un accouchement à la maison », témoignent Émeline et Bruno, qui vivent à Lyon. « Nous souhaitions accoucher à domicile de manière naturelle mais ça ne s’est pas passé comme prévu et notre petit bout a fini par sortir en césarienne dans une clinique », témoignent Lucie et Albert, qui vivent dans la campagne normande.
Le couple a apprécié d’être accompagné par un Groupe naissance, collectif de professionnel·les (sages-femmes, obstétricien·nes, gynécologues, psychologues) accompagnant les futurs parents vers un déroulement naturel de la grossesse et de l’accouchement (1). Toutefoiq, « les trois jours suivants, à la clinique, ont été éprouvants pour faire comprendre nos démarches peu communes (hygiène naturelle infantile, peau à peau…). »
"Il existe des entre-deux intéressants entre accouchement à la maison et accouchement médicalisé classique à l’hôpital, complète Charlotte. Par exemple, on peut accoucher dans un hôpital tout en bénéficiant d’un accompagnement de sages-femmes libérales, qui apportent un accompagnement global sur toute la période de la grossesse, et disposent du plateau technique à l’hôpital. (Voir aussi l’article sur les maisons de naissance page ....)
Groupe naissance, clinique Jeanne-d’Arc (6e étage), 11 Rue Ponscarme, 75013 Paris, http://groupenaissances.org.
