Le rapport du groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) est sans appel : l’activité humaine serait la cause principale du réchauffement climatique observé depuis le milieu de 20e siècle (1). Et ce n’est pas avec les 86 millions de naissances dans le monde en 2018 que l’on va réduire l’activité, à moins de changer drastiquement nos habitudes. En écologie, la question démographique est souvent considérée comme polémique (2). Et s’il était temps de donner un grand coup de frein ?
Contrer la surpopullulation
Établir un lien entre la détérioration de la planète et l’arrivée au monde de petits êtres de 45 cm en moyenne ne va pas de soi. Pourtant, dans sa Lettre ouverte à celles qui n’ont pas (encore) d’enfant, la journaliste Laure Noualhat détaille de manière chiffrée le poids de l’empreinte carbone de nos bambins : « Un enfant, dans les six premiers mois de sa vie, va consommer 30 m3 de couches jetables. Il y a 820 000 enfants qui naissent chaque année en France. Multiplié par 30 m3, on atteint à peu près les volumes de 10 000 piscines olympiques. Juste sur les six premiers mois de sa vie, et juste sur la question des couches ! »Laure Noualhat s’appuie notamment sur le graphique publié par The Environnemental Research Letter pour justifier l’idée selon laquelle faire un enfant en moins serait le premier acte pour réduire considérablement son empreinte carbone : « Quand on adresse la question de la surpopullulation humaine, on veut surtout adresser la question du poids écologique de l’humain. (...) Ne pas avoir de voitures, c’est 2, 8 tonnes de CO2 qui sont évitées. Arrêter de manger de la viande, c’est 800 kilos de CO2 qui sont évités. Ne pas faire d’enfants, ce serait 58 tonnes de CO2 évitées. Personnellement, je me dis que si je ne fais pas d’enfants, ce n’est pas 58 tonnes de CO2 que j’évite, mais une infinité de tonnes de CO2. Parce que cet enfant voudra faire un enfant, lequel aura un enfant, etc. » Des chiffres à observer depuis le prisme de notre mode de consommation occidental.
Pour beaucoup, c’est à la surconsommation qu’il faut s’attaquer au plus vite, plutôt qu’à un problème démographique. L’ancien ministre de l’écologie Yves Cochet le relevait déjà en 2014 dans sa préface au livre Moins nombreux, plus heureux – l’urgence écologique de repenser la démographie : « Si nous souhaitons que la population mondiale bénéficie d’un style de vie comparable à celui d’un Européen moyen, il faudrait que nous soyons seulement un milliard ! ». Le néo-malthusien assumé avait d’ailleurs défrayé la chronique, il y a dix ans, en proposant une « grève du troisième ventre », afin d’inverser l’échelle des allocations familiales et ainsi dissuader les familles de concevoir des enfants à partir de la deuxième progéniture. « Le troisième enfant a un statut assez particulier dans une famille : c’est l’enfant du changement d’échelle. C’est à cause de lui, ou grâce à lui, ça dépend où l’on se place, qu’on change de voiture, de maison, d’appartement, qu’on va changer de mode de vie et entrer dans la gamme des familles nombreuses », complète Laure Noualhat.
Partant de cette analyse, plusieurs mouvements constitués de femmes et d’hommes ont vu le jour pour revendiquer le droit de ne pas faire d’enfant.
« On ne peut pas se reproduire à l’infini dans un espace fini »
En Grande-Bretagne, ils s’appellent Population Matters ; aux Pays-Bas, De Club Van Tien Miljoen (« club des dix millions ») ; en Belgique, One Baby. Un nombre croissant de groupes de militant·e·s dénatalistes a vu le jour en Europe et en Amérique du Nord. Ils agissent à différentes échelles au nom du « childfree » (sans enfant par choix). Leurs motivations sont diverses, le respect du corps des femmes et du sort de la planète arrivant en premier dans l’argumentation.
C’est par exemple le cas du groupe Ginks (Green inclination, no kids, soit « engagement vert, pas d’enfants »). À l’origine de ce mouvement international exclusivement féminin, on retrouve Lisa Hymas, journaliste américaine du site d’information écopolitique grist.org, qui déclare « aimer les enfants, et c’est bien pour ça qu’[elle] ne veut pas en faire ». Elle encourage fortement de faciliter les démarches d’adoption pour tou·tes. Le profil des Ginks est par ailleurs assez varié : de la jeune diplômée à la militante convaincue, elles partagent des opinions tranchées et citent la conviction écologique pour justifier leur renoncement à la maternité.
Émancipation féminine et écologie
Silence a consacré le dossier de son no 393 (septembre 2011) aux contraceptions qui concilient à la fois un impact écologique moindre, un usage autonome et une fiabilité acceptable (3). La Gink Stefanie Iris Weiss explore des sentiers similaires à travers son livre Eco-sex (non traduit), dont le sous-titre annonce : « Devenez écolo sous les draps et optez pour une vie amoureuse durable. » Selon elle, « 86 millions de naissances par an, cela représente beaucoup de sexe. C’est tant mieux qu’autant de personnes en profitent, mais celles qui prennent en considération la fonte des glaces avant de concevoir une famille sont d’une grande sagesse. » Renoncer à enfanter est un « sacrifice » qu’elle est prête à faire, quitte à adopter à l’avenir. D’autres femmes ne considèrent pas cette prise de position comme un sacrifice, au contraire. La québécoise Magenta Baribeau porte ce message politique à travers son documentaire Maman ? Non merci !. prix du meilleur long métrage au festival de film féministe de Londres en 2016. Le film donne la parole à des femmes de France, de Belgique ou du Canada qui ont fait une croix sur la maternité et s’interrogent sur leur place « dans une société qui exerce des pressions sociales en catimini ». Car il ne faut pas oublier que la question d’enfanter ou pas relève de la sphère individuelle et privée, comme le souligne Pablo Servigne (4) : « Le sujet de la natalité est gênant car il remet en question les piliers de la modernité que sont l’individu et la liberté individuelle. »
Julie Gaubert
(1) Le 5e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié en octobre 2018 une étude sur les effets d’un réchauffement de 1,5 °C des températures mondiales.
(2) En 1798, l’économiste anglais Thomas Malthus expliquait que l’espoir humain d’un bonheur social infini était vain car la croissance démographique dépasserait toujours la hausse de la production. Son Essai sur le principe de population reste aujourd’hui controversé.
(3) Dossier « Contraception et autonomie », Silence no 393, septembre 2011
(4) Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible, Seuil (collection Anthropocène), 2018
Pour aller plus loin :
N’hésitez pas à relire le dossier « Décroissance et démographie » du n° 389 de Silence.
Contacts :
Population Matters, 135-137 Station Road, London E4 6AG, Grande-Bretagne. Tél. : +44 (0)20 81 23 91 16
De Club Van Tien Miljoen, PO Box 267, 5550 AG Valkenswaard, Pays-Bas. info@overpopulationawareness.org
One Baby ! 27, rue du Berceau, 1000 Bruxelles, Belgique. Tél : 00 32 22 30 11 91
Bibliographie :
Lettre ouverte à celles qui n’ont pas (encore) d’enfant, Laure Noualhat. Plon, 2018, 304 pp
Moins nombreux, plus heureux — l’urgence écologique de repenser la démographie, coordonné par Michel Sourrouille, Sang de la Terre, 2014, 176 pp. (avec Yves Cochet, Théophile de Giraud, Michel Tarrier, etc.)
Une autre fin du monde est possible —. vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gautier ChapelleI, Seuil, 2018, 336 pp.
Eco-Sex : Go Green Between the Sheets and Make Your Love Life Sustainable, Stefanie Iris Weiss, ed. Ten Speed Press, 2010, 216 pp.
No Kid : Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant, Corinne Maier, Michalon, 2007, 170 pp.
Films :
Maman ? Non merci !, Magenta Baribeau, 2017, 74 min
Anthropocène : l’époque humaine, Jennifer Baichwal, Nicholas De Pencier, Edward Burtynsky, 2018, 87 min