Au début du 20e siècle, près de 5 000 saumons étaient capturés chaque année dans la Loire. Moins d’un siècle plus tard, le chiffre ne dépassait pas la centaine. Inauguré en 2001 pour faire face à la disparition annoncée du poisson migrateur, le Conservatoire national du saumon sauvage de Chanteuges est situé en Haute-Loire.
« Ici se trouve la dernière souche sauvage de grands migrateurs d’Europe occidentale », explique Céline Bérard. Les poissons qui naissent au creux des rivières du Massif central parcourront en effet 10 000 à 12 000 km dans leur courte existence. Cinq ans environ pour descendre les 1 000 km de rivière qui les séparent de l’estuaire de la Loire, puis nager vaillamment jusqu’au Groenland afin de s’y gaver de poissons et de krill… avant de revenir à l’endroit exact où ils sont sortis de l’œuf, pour s’y reproduire à leur tour… et y pondre quelque 10 000 œufs, avant de mourir.
« Tout ça, c’est quand ça se passe bien », tempère Céline Bérard. « Le saumon est une espèce menacée par notre civilisation, affirme Louis Sauvadet, président de l’Association protectrice du saumon. Pendant les Trente Glorieuses, on a développé l’agriculture intensive, avec des pesticides qui polluent les rivières, on a construit les grands barrages hydroélectriques, qui ont rendu les migrations beaucoup plus difficiles, on a surpêché les poissons. »
Grandes ou petites, les centrales hydroélectriques constituent autant d’obstacles difficilement franchissables par nos amis à nageoires. Et ce, malgré les échelles à poissons, censées faciliter le passage. « À la descente comme à la remontée, les barrages leur font perdre un temps précieux », explique Céline Bérard. Or, dans la vie réglée comme du papier à musique des saumons, chaque jour perdu peut se révéler fatal.
D’après Philippe Boisneau, pêcheur professionnel, « le saumon supporte au maximum dix obstacles à franchir. » Or, l’Allier compte aujourd’hui une dizaine de barrages, et la Gartempe près d’une centaine. Sans oublier que de nombreux jeunes poissons sont tout bonnement broyés par les turbines.
Désormais interdite dans le bassin de la Loire, la pêche du saumon dans l’Atlantique continue d’affaiblir les stocks. « On pêche aussi massivement des poissons dont se nourrissent les saumons sauvages pour élever leurs congénères des fermes aquacoles », observe Louis Sauvadet. Enfin, le changement climatique se fait déjà sentir : raréfaction des petits crustacés menacés par l’acidification des océans, raccourcissement de la période d’incubation des œufs, rétrécissement des époques de migration.
Pour enrayer le déclin, des programmes de repeuplement se sont développés. Au Conservatoire national de Chanteuges, des saumons adultes, pêchés dans l’Allier, coulent une retraite heureuse dans de grands bassins. Alternativement, on prélève les gamètes de ces reproducteurs, gamètes qui, une fois fécondés, donneront de précieux œufs. Ceux-ci sont ensuite gardés soigneusement dans des armoires métalliques inondées. 210 000 d’entre eux seront réintroduits avant éclosion dans le milieu naturel. Les autres, plus de 800 000 chaque année, naîtront dans le conservatoire et seront relâchés un peu plus tard. « Grâce à ce programme, nous avons atteint un taux de renouvellement de 1,34, c’est-à-dire que pour un saumon né, il y aura 1,34 saumon à la génération suivante, se réjouit Céline Bérard. Sans repeuplement, ce taux tombe à 0,4. »
Article initialement publié sur Reporterre