Dans le budget transports urbains, la part des usagers est d’environ 20 %. Les agglomérations qui ont adopté la gratuité pour tou·tes ont généralement une offre médiocre, donc peu coûteuse, et où la contribution des usagers est faible : 10 %.
La gratuité : des avantages…
Les objectifs de la gratuité sont multiples.
Puisque le réseau existe, on est obligés de le garder, on le paie : mieux vaut qu’il soit davantage utilisé. A Dunkerque, on préfère « des bus gratuits et pleins aux bus payants à moitié vides ».
La gratuité garantit le droit au transport des « captifs », et c’est bon pour les familles (une famille de 4 personnes qui veut se déplacer en bus paie 4 tickets par personne, c’est beaucoup plus cher que la voiture), et ça redonne un peu de pouvoir d’achat aux personnes modestes.
Le choc financier et psychologique est censé attirer les automobilistes, d’où une diminution des bouchons, de la pollution, du bruit, des accidents…
La gratuité facilite l’accès au centre ville et le redynamisera.
Avantages : c’est plus simple, et accessible à tout le monde. A court terme, l’usage des transports urbains et le travail des conduct·rices sont simplifiés, les montées/descentes de bus sont plus rapides, la montée par l’avant n’est plus nécessaire. Les frais de billetterie (moins de 10% des recettes commerciales) et les conflits avec les contrôleu·ses disparaissent. La gratuité provoque parfois une hausse spectaculaire de la fréquentation, mais ça ne doit pas faire illusion : par définition, puisqu’on ne pointe plus sa carte ou son ticket, il n’y a plus de comptage de fréquentation, seulement une estimation. On dit parfois que la gratuité dévalorise les transports urbains, induit une fréquentation abusive (il fait chaud dans le bus), ou du vandalisme : ces phénomènes sont marginaux. Au Luxembourg, la gratuité pour les moins de 20 ans retarde l’âge de la motorisation.
… et des inconvénients
Inconvénients : il faut bien que quelqu’un paie. Ce qui n’est pas financé par l’usager solvable doit l’être par quelqu’un : le contribuable, bien sûr ! (On ne peut pas augmenter le versement transport indéfiniment, alors que les impôts…). Il existe deux possibilités pour compenser la perte de recettes :
Le budget diminue : on peut réduire l’offre (ne garder que les lignes les plus fréquentées) et les investissements (pas de nouveau matériel, pas de nouvelles lignes…). Mais la gratuité induit un afflux de clientèle qu’il faut compenser par l’achat de nouveaux bus pour éviter la saturation et assurer un minimum de confort.
Le budget reste stable, et il faut compenser la disparition de la contribution des usag·ères. Aubagne, Niort et Dunkerque ont mis en place une hausse du versement transport (payé par les entreprises). A Dunkerque, le maire a tout de même créé des lignes rapides. A Niort, l’offre a été réduite, et le projet de BHNS (bus à haut niveau de services) abandonné. A Aubagne, l’extension de la ligne existante (2,8 km) et le projet de tram-train ont été abandonnés. De fait, la gratuité prive les collectivités de moyens pour améliorer l’offre. De grandes villes y ont renoncé : Bologne, Castellon de la Plana, Hasselt, Sheffield, Seattle, et aussi des villes plus petites.
Quel bilan pour les villes l’ayant mise en place ?
Pour quels résultats ?
La gratuité n’est pas nécessaire pour augmenter la fréquentation. Il faut améliorer l’offre et sa fiabilité. Lyon détient le record : les tarifs les plus élevés de France, et la fréquentation la plus élevée (hors Paris) : 320 voyages par an et par habitant·e. Inversement à Aubagne, malgré la gratuité : la fréquentation (55 voyages) est inférieure à la moyenne (77 voyages).
Gratuité pour tou·tes ou gratuité pour celles et ceux qui en ont besoin ? Il faut penser au coût pour les familles, Strasbourg a instauré une tarification solidaire indexée sur le quotient familial.
L’aspect financier ne suffit pas pour attirer les automobilistes. Seule l’amélioration de l’offre (vitesse, fréquence, confort), couplée avec des restrictions de circulation peuvent inciter un·e automobiliste à laisser son auto au garage. L’automobiliste veut retrouver dans le transport public les atouts de sa bagnole, le choc psychologique attendu par les promoteurs de la gratuité ne fonctionne pas.
La gratuité stimule la fréquentation des usag·ères capti·ves, et le report modal noté est « négatif » : ce sont les piéton·nes et les cyclistes qui se mettent à utiliser le bus sur de courtes distances, et la circulation auto diminue très peu. François Héran (chercheur bien connu de la FUB (1)) a calculé que la gratuité des bus a attiré 4 % des piéton·nes, 3,4 % des cyclistes, et 0,9 % des automobilistes. A Châteauroux, 3 ans après l’introduction de la gratuité, le nombre des déplacements en bus a augmenté de 100 % : le pourcentage des déplacements en bus est passé de 2 % à 4 %. La part modale de la voiture est passée de 70 % à 69 %... (alors qu’elle est à moins de 50 % à Lyon, Strasbourg et Grenoble).
Jouer sur d’autres ressorts que la gratuité
Un vrai réseau de transports urbains doit être compétitif face à la voiture, pas uniquement en termes de coût, mais d’efficacité : supprimer des voies auto pour les transformer en couloirs bus. Si les bus sont mêlés à la circulation, ils vont à la même vitesse que les autos, les arrêts en plus, ça n’attire pas les automobilistes. Le bus doit même permettre de se passer de voiture : service en soirée et jours fériés, amplitude horaire élargie, fréquences étoffées.
Conclusion c’est une idée séduisante à court terme, mais inutile, avec des effets pervers et des risques sous-estimés à long terme. Le débat sur la gratuité détournerait même l’attention d’un problème de fond : la place excessive de la voiture en ville.
Michèle Greif
(1) FUB : Fédération des usagers de la bicyclette, 12 rue des Bouchers, 67000 Strasbourg, tél. : 03 88 75 71 90, www.fub.fr.
Voir aussi « La gratuité des transports publics, ça marche ! », Silence de janvier 2019 (n° 474) p. 48.