Chronique Chronique : Un lieu à soi Femmes, hommes, etc.

Coudre sa yourte, construire son nid, habiter un refuge-monde

Laurence Marty

Vous parler de Sylvie Barbe, autoconstructrice de yourtes et écoféministe cévenole, n’a rien d’évident pour moi.

Fille du bitume d’une ville toute proche des Cévennes, je n’y ai pourtant jamais mis les pieds, et j’ai une méfiance assez profonde à l’égard de celles et ceux qui prônent la sobriété heureuse, plus encore quand cette position se double d’une technophobie unilatérale qui range dans le même sac guerre, cyberféminismes et GPA (un sac poubelle).
Pourtant, il y a quelque chose qui me touche profondément dans ce que tisse cette femme, quelque chose qui résonne loin. Et cela compte. Et cela suffit à faire avec et non contre.
Sylvie Barbe nous raconte comment elle devient, dans les années quatre-vingt-dix, la première femme à construire une yourte pour s’y installer sur le territoire français, en partant de seulement quelques images trouvées dans un livre sur les habitats du monde. Dans cette maison qu’elle compose elle-même, avec des matériaux simples et peu coûteux, mettant à profit son savoir de couturière qui lui vient de sa grand-mère et son bon sens, elle trouve refuge à côté du monde patriarcal et capitaliste, auprès d’elle-même, au milieu des oiseaux, des herbes folles, et autres tisserandes arachnéennes.

Esquisser un monde…

Être capable de construire et réparer soi-même l’entièreté de son habitat, pour "retrouver sa dignité, son indépendance, sa cohérence et sa liberté". Fabriquer en rond, au sol comme au ciel, tisser ensemble des vieux tissus de tous les moments de sa vie pour se réparer de trop nombreux habitats insalubres et de tous ces coins qui bouchent l’espace dedans. S’asseoir au centre d’une yourte comme en soi-même, et pleurer sans trop savoir pourquoi les trois premiers jours et les trois premières nuits. Guérir. Cueillir des plantes et recueillir de l’eau de pluie, contempler la beauté des choses, pour se réapproprier (reclaim) des gestes ancestraux d’une épaisseur infinie qui furent aussi ceux des « druidesses génocidées ». Esquisser un monde où les tâches de soin de soi et des autres, humains comme plus qu’humains, sont au centre, et construire des refuges contre l’exploitation des femmes et de la nature. Sylvie Barbe marche et contemple, mais Sylvie Barbe hurle et vrombit aussi, notamment avec les femmes gilets jaunes ces dernières lunes.
Coudre sa yourte, construire son nid, habiter un refuge dans le monde, c’est la voie qu’elle raconte et ouvre. Sans omettre certains des pièges qu’il faudra déjouer : ne pas chercher à imiter la yourte mongole ni une culture qui n’est pas la sienne, essayer de protéger les yourtes d’une captation par le marché, chercher des espaces de liberté dans la législation pour les laisser fleurir et respirer.
Une nuit ou deux, j’ai eu la chance de dormir entre terre et ciel au cœur de l’une de ces constructions rondes habitées par des ami·es. Je me souviens le poêle l’hiver. Je me souviens les sphères. Et le sens qu’il y a à chercher à (se) réparer dans les ruines, même de bitume.

Laurence Marty


Pour la lire et la découvrir :
Sylvie Barbe, Vivre en yourte : un choix de liberté. Hymne à la sobriété heureuse, éditions Yves Michel, 2013.
Sylvie Barbe, "Portrait d’une écoféministe dans les Cévennes", Multitudes, 2017/2, n° 67, pp. 46-53.
http://yurtao.canalblog.com/

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