La non-violence est le socle du prendre soin, en commençant par les plus démuni·es : les enfants, les personnes les plus âgées ou en difficulté. C’est une manière de vivre, au quotidien.
La non-violence enracine notre vision du bien-être et du bien commun. Les Amis de la Terre (Belgique) ont entrepris une réflexion en profondeur, en animant des ateliers au cours desquels la parole de chacun·e enrichit pas à pas la vision élaborée ensemble : chacun·e est indispensable pour constituer la trame de notre regard sur le bien-vivre et le comment agir ensemble.
Les 9 dimensions du bien-être au quotidien
Riches de toutes nos expériences de la vie, en s’appuyant sur des méthodes issues de Ekta Parishad, du Buen vivir, et de références proposées par Gandhi, Vandana Shiva, Arne Naess, Patrick Viveret, Susan Georges, Kate Raworth, Thich Nhat Hanh, Satish Kumar, etc. (1), ces échanges nous ont projeté·es dans les 9 dimensions « qui font le bien-être au quotidien » : des valeurs à partager, des principes à élaborer, des activités à déployer, des actions concrètes à mener (voir le schéma).
Le sujet est important : il constitue une trame d’articulation entre notre lien tangible à la nature, notre manière de vivre simplement et nos savoirs, afin de mettre en œuvre des dispositifs d’échange démonétisés. Plus largement, cela nous conduit à formuler des balises pour une économie non-violente, localement et globalement, et à les partager en une commune humanité.
Notre condition d’être vivant est évidemment fondamentale : nous sommes dépendant·es et connecté·es à toute la nature (spiritualité réelle et écologie profonde). La notion de suffisance est essentielle, dans chacune de ces 9 dimensions. Le « vivre en simplicité », le « j’ai assez » à l’inverse du « toujours plus », est une clé du bonheur individuel et du vivre ensemble (« Vivons simplement pour que tous simplement puissent vivre », Gandhi). Il s’agit de vivre notre profonde sororité et fraternité : agir en égalité est aussi un levier d’auto guérison, pour prendre soin de soi et de l’autre (à l’exemple des coopératives sociales).
Enchâsser le bien-être dans le bien commun
Notre bien-être dépend en partie du niveau individuel, de notre état d’esprit. L’interdépendance humaine se déploie au sein de communautés auxquelles nous consacrons du temps et de la compétence. Ces dernières peuvent alors être les garantes de nombreux autres leviers du bien-être individuel et collectif. Enfin, le regard sur « la politique du bien-commun », au travers d’une communauté et / ou d’une société, nous amène à parler structure, fonctionnement, actions, équilibre, développement interne ou externe, rapports internes et rapports à d’autres ensembles.
Ralentir et épouser les rythmes du vivant
Vaste chantier, mais bien inscrit dans nos quotidiens. Réinventer, apprendre à renouer notre lien au temps. Penser et agir pour bâtir des sociétés lentes, ralentir la société jusqu’à épouser le rythme du vivant poursuit un double objectif : contenir la grande accélération et déployer des dispositifs collaboratifs pour forger le bien commun, rendre la vie meilleure pour chacun·e, retrouver la mémoire…
Cette recherche du bien-être et du bien commun permet de nouer des espaces de dialogue : en premier, il s’agit de comprendre l’autre, l’écouter, aller vers le dialogue… avec les jeunes et les plus âgé·es, les migrant·es, les Roms, etc. « J’ai toute confiance en toi », mes peurs s’estompent. Considérer que nous sommes tou·tes migrant·es et que nous avons un besoin d’accès semblable à des biens communs (eau, terre, semences, air…). Développer un espace de sérénité, se considérer comme une petite goutte dans la mer.
Plus globalement, les regards sur « l’état du monde d’Oxfam de 2014 à 2018 », par exemple le constat que « Les 1 % les plus riches empochent 82 % des richesses créées, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’en voit pas une miette » (2) nous invitent à repenser nombre des mécanismes de partage, de solidarité concrète. Le bilan de « la grande accélération » (3) nous incite à formuler avec Bruno Latour la nécessité d’un « attracteur terrestre » qui oriente l’ensemble de nos politiques (4).
Enrayer les mécanismes violents de l’économie
Les débats et actions menés partout dans le monde par les citoyen·nes engagé·es en une commune humanité – les Dialogues en Humanité (5), les agoras des habitant·es de la terre (6), le mouvement Jai Jagat, etc. nous amènent à penser et agir « du bas vers tout le monde » (‘bottom-to-all’) : le ‘top down’ (de haut en bas) a montré toutes ses lacunes et ses violences directes voire sa cruauté lorsque les 1% les plus riches’- agissant « hors-sol » se montrent « hors humanité ».
À l’arrivée de la marche Jai Jagat à Genève en septembre 2020, nous porterons la voix des plus pauvres auprès des Nations-Unies pour régénérer l’agenda des 17 Objectifs du développement durable : y intégrer le « halte à la logique de croissance économique », l’indispensable équité (la pauvreté n’a pas à exister : il n’est question que de juste répartition), la reformulation de ce qu’est le progrès et le développement, le désarmement du système financier, etc. Il nous appartient d’enrayer localement et globalement les mécanismes de violence structurelle de l’économie.
Alain Dangoisse
Silence est partenaire de Jai Jagat, la marche mondiale pour la justice et la paix qui partira de New Delhi en octobre 2019 et arrivera à Genève en septembre 2020. Littéralement « la victoire du monde », ce mouvement d’ampleur est impulsé par le mouvement gandhien Ekta Parishad, qui lutte pour les droits et la dignité des paysan·nes, des sans-terre et des sans-voix en Inde. En Europe, de nombreuses marches convergeront vers Genève à cette même date, dont une marche Lyon-Genève. Pour en savoir plus, on peut aller sur https://jaijagat2020.eu, écrire à lyongeneve2020@nonviolence.fr ou prendre contact avec Silence.
(1) Sur Gandhi, voir « Libres leçons de Gandhi sur l’autonomie », Silence n°333, mars 2006. Vandana Shiva est une écologiste et féministe indienne qui lutte pour la défense de l’agriculture paysanne et biologique face aux OGM. Arne Naess, philosophe norvégien, est un des fondateurs de l’écologie profonde. Patrick Viveret est philosophe et essayiste altermondialiste, ancien conseiller référendaire à la Cour des Comptes. Susan George est une écrivaine franco-américaine, militante altermondialiste et présidente d’honneur de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC). Kate Raworth est une économiste anglaise, auteure du livre La théorie du donut, qui défend une prospérité sans croissance. Thích Nhất Hạnh est un moine bouddhiste vietnamien militant pour la paix. Satish Kumar est un activiste indien promoteur de la simplicité volontaire.
(2) Voir www.oxfam.org, février 2018.
(3) Qui se caractérise par la diminution de la couche d’ozone, l’effondrement de la biodiversité, les pollutions chimiques, le changement climatique, l’acidification des océans, la perturbation des cycles de l’eau, l’artificialisation des terres, les rejets d’azote et de phosphore et ceux des aérosols atmosphériques, en particulier. Cf le Programme international de la biosphère-géosphère (IGPB) et le Stockholm resilience center, www.stockholmresilience.org.
(4) Voir Bruno Latour, Où atterrir ?, éd. La Découverte, 2017.
(5) http://dialoguesenhumanite.org
(6) http://audacia-umanita.blogspot.com/