Découvrir les béguines, ces femmes, ni épouses ni moniales, qui vivaient en communauté dans le Moyen Âge européen, c’est se reconnecter à une histoire terriblement puissante.
C’est pourtant une histoire dont nous n’héritons pas : très peu de récits de et sur ces femmes sont disponibles. Ils me sont comme tombés dessus en ce qui me concerne. De passage à Louvain, une amie me propose d’aller se balader dans le « grand béguinage » de la ville : « c’est joli ». Nous passons le mur d’enceinte et entrons dans cette cité dans la cité : maisons de briques et ruelles pavées, cours d’eau, puits et jardins, nous nous perdons dans le dédale. Le grand béguinage de Louvain, possédé aujourd’hui par l’université de la ville, est l’un des mieux conservés du continent. Je suis profondément émue de découvrir, même sans trop rien y comprendre, l’existence de cette forme de vie qui se développa aux 12e et 13e siècles. Ces femmes, nos mères, avaient déjà ouvert des brèches – comment cela aurait-il pu en être autrement ? Nous marchons dans leur pas.
Une communauté inclassable
Les béguinages se développèrent sur l’ensemble du territoire européen, de la France à la Hongrie, en passant par la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, dans le courant du Bas Moyen Âge. Composé de maisons individuelles et de lieux collectifs, d’une église, de jardins et le plus souvent d’une infirmerie, cet ensemble de bâtiments protégé d’un rempart abritait ces femmes qui se nommèrent les béguines. Refusant le mariage comme le cloître, libres de tutelle masculine, elles formèrent une communauté inclassable, mi-religieuse mi-laïque. Chaque béguinage avait sa propre organisation, et fonctionnait sous la conduite de l’une d’entre elles, élue par toutes, pour quelques années. C’est une particularité de ce mouvement, de n’avoir eu ni fondatrice ni règle commune.
Femmes libres
Les mulieres religiosae se consacraient aux soins des vieillards et des malades (que ce soit dans l’infirmerie du béguinage ou à domicile), à l’éducation des jeunes filles et des enfants pauvres, aux travaux manuels (de la dentelle au blanchissage en passant par le tissage), ainsi qu’à la prière et à la contemplation. Chacune d’entre elles devait subvenir à son entretien et était autonome économiquement. Dans le roman d’Aline Kiner intitulé La nuit des béguines (éditions Liana Lévi, 2018), la vieille Ysabel s’occupe du jardin, tant pour nourrir que pour soigner les corps et les âmes. Jeanne, elle, gère un magasin de tissus, non loin du grand béguinage qui se situe en plein cœur du Marais parisien. Femmes libres.
Femmes libres, pourchassées, brûlées, ou transférées dans des communautés cloîtrées et bien ordonnées à partir des années 1310 et de la bulle Ad nostrum du pape Clément V qui les condamne pour hérésie. « Toute femme ni épouse ni nonne est suspecte. Surtout lorsqu’elle s’acharne à prêcher, usurpant les privilèges du clergé. Et des hommes. » (La nuit des béguines, p. 79). Nous marchons dans leur pas.
Coline Guérin
Pour aller plus loin :
Silvana Panciera, Les béguines, éd. Fidélité, 2009.
Aline Kiner, La nuit des béguines, éd. Liana Lévi, 2018.