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Pinar Selek, une résistance créative par-dessus les frontières

Guillaume Gamblin

Silence vient de coéditer le livre L’insolente. Dialogues avec Pinar Selek. Cet ouvrage retrace la vie et les combats de Pinar Selek, une personnalité hors-norme dont la richesse du parcours et des engagements gagne à être connue.

Issue d’une famille engagée à gauche en Turquie, la jeune Pinar fait la rencontre à la fin des années 1980 d’une bande d’enfants vivant dans les rues d’Istanbul. Jeunes garçons issus de familles kurdes ou roms ou enfants de prostituées en rupture familiale, leur quotidien fait de drogue et de mendicité est dur mais leur solidarité est grande. Pinar se met à les fréquenter et à vivre à leurs côtés. Elle poursuit en même temps des études de sociologie.

Un atelier de rue à Istanbul

De retour d’un voyage à Paris et à Berlin, elle est inspirée par les squats artistiques qu’elle y rencontre et propose aux enfants de créer à Istanbul un atelier de rue. En 1995 débute une aventure d’une richesse incroyable. L’atelier réunit toutes les personnes exclues qui se retrouvent dans la rue : enfants des rues, chiffonniers, prostituées, transsexuel·les, etc. Chacun·e a la possibilité d’y exprimer sa créativité à travers la confection d’objets en papier mâché, la poterie, la peinture, le théâtre de rue.

Avec les prostituées

Parallèlement, Pinar découvre dans la rue la situation des prostituées. Elle se lie d’amitié avec plusieurs d’entre elles et réalise, avec leur complicité, une étude sociologique au cœur d’une maison close.
La majorité des prostituées travaillent à même la rue, souvent de manière forcée. Pinar monte alors avec quelques ami·es un réseau pour sortir les femmes qui le désirent de la prostitution subie.

Recherche sur la résistance Kurde et emprisonnement

En 1996, Pinar entreprend en parallèle de ses activités dans les rues une recherche universitaire sur la résistance kurde. « J’ai choisi ce sujet parce qu’il y avait une guerre en Turquie, et qu’il était anormal que les sociologues ne pensent pas le pourquoi de cette guerre ». La chercheuse réalise de nombreux entretiens avec des militant·es kurdes, souvent lié·es à la guérilla.
Mais ce sujet est extrêmement sensible pour le gouvernement turc. Pinar est arrêtée le 10 juillet 1998 par des policiers en civil qui en profitent pour saccager l’atelier de rue. Elle est torturée durant des jours entiers afin de lui faire avouer les noms des personnes qu’elle a rencontré pour sa recherche, en vain, puis jetée en prison. On l’y accuse d’avoir perpétré l’explosion du marché aux épices d’Istanbul quelques jours plus tôt, dont pourtant de nombreux rapports officiels démontrent qu’il est le fruit d’un accident de bonbonne de gaz. Elle restera en prison deux ans et demi et y écrira notamment un livre sur l’antimilitarisme. Une fois relâchée, Pinar organise aussitôt une grande marche de femmes pour la paix.

Des années de création à la confluence des luttes

De 2000 à 2009, Pinar vit en Turquie. Elle y suit les multiples audiences de son procès, et est acquittée en 2006 puis une seconde fois en 2008.
Elle fonde avec d’autres, en 2001, la coopérative féministe Amargi, qui publie une revue théorique du même nom et participe à de nombreuses mobilisations. Amargi regroupe des femmes Kurdes, des personnes LGBT, des universitaires, etc.
Pinar est en même temps très investie dans le travail avec les antimilitaristes et les objecteurs de conscience. Elle crée avec d’autres une Plateforme d’écologie sociale à Istanbul qui travaille sur les mutations urbaines et la gentrification.
Mais suite à son deuxième acquittement en 2008, le Procureur fait appel et Pinar doit quitter la Turquie précipitamment face aux menaces d’emprisonnement.

En exil, continuer à créer

Depuis 2009 le parcours de Pinar se poursuit en exil, d’abord en Allemagne puis en France.
La persécution judiciaire se poursuit à distance et Pinar est de nouveau acquittée à deux reprises en 2011 puis en 2014. À l’heure qu’il est, suite à un nouvel appel, elle reste sous la menace d’une condamnation à perpétuité, 20 ans après son arrestation !
À Nice où elle enseigne à l’université, Pinar poursuit son travail d’écriture et s’engage dans un collectif féministe qui travaille en particulier sur la solidarité avec les femmes migrantes. Proche de Longo Maï et de la revue Silence, elle continue à explorer les voies vers un monde libéré de toutes les dominations patriarcales, nationalistes, capitalistes et écologiques, en faisant toujours le lien entre toutes ces luttes. Ses réflexions peuvent nous inspirer pour penser et expérimenter un engagement au croisement de toutes les luttes pour une vie plus libre et plus heureuse. Et la solidarité avec elle reste aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Guillaume Gamblin

Livres de Pinar Selek
- Loin de chez moi mais jusqu’où ?, éd. iXe, 2012.
- Devenir homme en rampant. Service militaire en Turquie et construction de la classe de sexe dominante, éd. L’Harmattan, 2014.
- La maison du Bosphore, éd. Liana Lévi, 2013.
- Parce qu’ils sont Arméniens, éd. Liana Lévi, 2015.
- Verte et les oiseaux, éd. Des Lisières, 2017.


L’insolente
Dialogues avec Pinar Selek

Pinar Selek est une femme aux mille vies.
Écrivaine, sociologue, militante… Féministe, écologiste, antimilitariste... Oui, mais bien plus que cela !
En Turquie, en France et ailleurs, elle n’a cessé de créer des ponts entre les luttes. Peu à peu, elle est devenue une figure du renouveau de la contestation.
Pinar Selek combat le sexisme, l’homophobie, le militarisme et le nationalisme, en dénonçant entre autres le génocide des Arménien-nes, le sort fait aux Kurdes, le service militaire.
Insolente, elle cherche avant tout, hier en Turquie et aujourd’hui en France, à ouvrir des voies créatives vers une autre société.
Souvent connue en France à cause de la persécution que le gouvernement turc fait peser sur elle depuis 20 ans, Pinar Selek veut continuer à construire des chemins par-dessus toutes les frontières.
Par son engagement contre l’injustice, la violence et toutes les formes de domination, par son audace et son énergie contagieuse, la vie de Pinar est un encouragement pour toutes celles et ceux qui luttent.
Pour cela, S!lence a jugé important de faire connaître son histoire, en partenariat avec la collection "Sorcières" des éditions Cambourakis.
Un récit inspirant !

L’insolente. Dialogues avec Pinar Selek, Guillaume Gamblin, éd. Cambourakis / Silence, 2019, 224 p., 20€ + frais de port.
Frais de port : 5 € de 1 à 2 ex. ; 9 € de 3 à 9 ex., offerts à partir de 10 exemplaires.
(à compléter début janvier sur la maquette au local)

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