Depuis quelques années, dans la région du Salento, à l’extrême sud-est de l’Italie, des habitant·es luttent contre le dernier maillon d’un projet de chaînes de gazoduc intercontinental reliant l’Azerbaïdjan au nord de l’Italie en passant par la Géorgie, la Turquie, la Grèce et l’Albanie.
Ce projet pharaonique, dénommé TAP : Trans Adriatic Pipeline, acheminerait 10 milliards de m³ de gaz et coûterait 45 milliards d’euros.
Une lutte populaire et festive contre l’arrachage des oliviers
En octobre 2018, je me suis rendue dans le petit village de Melendugno, foyer de la résistance de la lutte NO TAP depuis un an et demi. C’est dans ce village cerné d’oliviers centenaires que la population a construit un presidio (1) sur un morceau de terrain du futur site pour empêcher le début des travaux.
Les habitant·es se relayent pour y dormir la nuit, apporter de la nourriture, et bricolent pour rendre l’endroit agréable et autonome en énergie. A la suite des actions, pour informer sur le TAP ou bloquer les travaux, de nombreuses fêtes s’y improvisent, où l’on danse la tarentella et la pizzica. (2)
C’est au sein de cette « lotta popolare » (lutte populaire) que des femmes ont créé un mouvement dans le mouvement : celui des mamme NO TAP (les « mamans NO TAP »).
Les femmes s’organisent
Pour endormir ses enfants, Serena a commencé à improviser des histoires sur le TAP et la lutte. Ces histoires sont devenues un conte qui a été imprimé et a voyagé dans toute l’Italie. Cette tournée l’a emmenée jusqu’à Rome où elle a obtenu un prix.
Lorsqu’elle est rentrée à Melendugno, tout s’est enchaîné : une marche des femmes allant jusqu’au chantier le 8 mars 2018, la création d’une page Facebook et d’un groupe Whatsapp, où une quarantaine de femmes sont actives. Ces mères, jeunes femmes ou féministes ont créé des groupes de cuisine, comme le collectif Stanati Resistanti pour les événements, de vente d’objets à l’effigie de la lutte, et un canal pour s’informer sur la lutte en cours via les réseaux sociaux.
Bloquer les machines
Porte-paroles informelles de la lutte, les mamme jouent aussi un rôle fondamental : celui d’apaiser les tensions et les peurs liées à la répression qui s’abat sur les militant·es depuis un an (interdiction de territoire, lourdes amendes) en organisant des fêtes avec de la musique, des danses et de délicieux mets. Pour elles, ces moments de partage ont permis au mouvement de lutte de renforcer les relations entre les opposant·es alors que certain·es commençaient à s’éloigner à cause des convocations et du harcèlement policier quotidien.
Cette inventivité et cette force de vie portées par les mamme luttant « pour les enfants » se sont également manifestées pendant une action contre la destruction des oliviers. Pour arrêter les machines et les carabinieri qui étaient extrêmement violents à leur égard, elles sont allées chercher leurs enfants à l’école pour les mettre devant les machines et les affrontements avec la police ont immédiatement cessé.
Aujourd’hui, les mamme continuent le combat. Selon elles, la lutte NO TAP n’est pas une lutte de militant·es mais de gens ordinaires, leur groupe n’est ni un groupe politique ni un groupe féministe. Serena et sa mère Anna Maria expliquent qu’ « ici on n’a pas de grandes villes, ici on vit de la terre. Le lien est très fort. Si on touche à notre terre on touche à tout le monde. On a un ‘rapporto molto stretto’ à la nature, à la mer, à la campagne. Le NO TAP est devenu une lutte pour la Terre-Mère, pour l’environnement ».
Coline Guerin
(1) Nom pour les lieux de rencontre et d’organisation des luttes territoriales en Italie.
(2) Les deux principales danses locales.