La terre crue est un matériau de construction aux atouts grandement négligés. Les préoccupations environnementales des dernières décennies amènent à s’y intéresser. Pourtant l’intérêt reste timide. Comment ce matériau et les procédés de construction qui lui incombent peuvent-ils rester si marginaux au sein du secteur de la construction ?
Depuis quelques décennies, la construction en terre crue a été utilisée dans certains projets immobiliers souhaitant expérimenter la viabilité des procédés de construction, du matériel et du matériau. Un des projets les plus emblématiques est certainement le Domaine de la terre situé dans la ville nouvelle de l’Isle-d’Abeau. Dans les années 1980, le Plan Construction a piloté un quartier expérimental où ont été construits 65 logements sociaux s’élevant de 2 à 5 niveaux (45 % des logements ont été construits en pisé ; 45 % en brique de terre compressée et 10 % en terre-paille). Cette opération avait pour objectif d’être reproduite, de fédérer différents acteurs (administratifs, scientifiques, industriels, etc.) et de changer la représentation sociale souvent assignée à la construction en terre crue. Cette opération n’a pas eu les retombées escomptées. Durant les quatre dernières décennies, d’autres projets expérimentaux ont vu le jour. Ils s’accumulent sans que les procédés de construction et les propriétés du matériau puissent être connus et reconnus au sein du secteur de la construction et par les maîtres d’ouvrage.
Une matière vivante mais instable
En tant que matière hétérogène, il n’est pas toujours possible d’utiliser la terre crue comme matériau de construction. Lorsque les conditions sont réunies, la terre est prélevée sous la couche de terre arable car cette dernière contient des éléments instables (humus) en trop grande quantité pour être utilisée pour la construction. Il est donc nécessaire de prélever la terre où les composants stables (sables et graviers) sont plus nombreux et où l’activité biologique est moins dynamique. En France métropolitaine, la construction en terre crue représente 15 % du patrimoine architectural bâti. Des procédés de construction sont globalement spécifiques à certains territoires. Dans l’Ouest de la France, notamment en Bretagne, le procédé de construction représentatif de la région est la bauge, de la terre suffisamment plastique pour être mélangée à des fibres végétales. Dans le Nord et l’Est de l’hexagone, il s’agit du torchis-colombage. Le Sud-Ouest de la France est davantage marqué par la présence du bâti en adobe. Enfin, le pisé, de la terre compactée à l’intérieur d’un coffrage, est le procédé qui caractérise principalement le patrimoine bâti de la région Rhône-Alpes.
Un désintérêt des constructeurs, un manque de formation
Malgré des discours vantant les mérites de la construction en terre crue, ce matériau et les procédés de construction qui lui incombent restent grandement délaissés. Cela s’explique en partie par les propriétés du matériau. En raison de la faible résistance de la terre crue, il est nécessaire de bâtir des murs épais. Cela implique, d’une part, des volumes importants, des chantiers relativement longs avec beaucoup de main-d’œuvre pour la mise en œuvre auxquels s’ajoutent les contraintes de fabrication du matériau. Par exemple, les briques de terre imposent le mélange de différents composants (terre, sable, paille…), le moulage, le stockage et le séchage. La construction en terre crue implique, d’autre part, un savoir-faire particulier. L’opération de liaison permettant la cohésion du matériau ne met en place que des phénomènes physiques réversibles (et non chimiques et irréversibles lorsque sont utilisés des liants comme la chaux ou le ciment) qui dépendent de conditions particulières (proportions des composants, taux d’humidité, conditions de mise en œuvre) et qui sont très variables selon les argiles. La cohésion du matériau est donc complexe pour la fabrication et pour la mise en œuvre du matériau.
Ce procédé de construction qui mobilise un matériau gratuit, car pouvant être généralement extrait sur place ou à proximité du chantier, peut donc impliquer des coûts de construction relativement élevés, dû au besoin de compétences techniques spécifiques. Ce coût peut être amoindri lorsqu’il s’agit d’auto-construction, mais le travail de fabrication et de mise en œuvre du matériau peut être encore plus redoutable.
Cette complexité peut être illustrée par la maison auto-construite de Dorothée et Julien. Un blog a été alimenté par leur soin afin de partager leur expérience de l’auto-construction de leur maison utilisant des matériaux écologiques (bois, terre, paille, pierre, etc.) (1). Cette maison de 78 m² a été terminée en 2013 pour un coût financier de 37 460 euros. Pour ce qui relève de la construction en terre, Dorothée et Julien ont mis environ 75 jours durant l’été 2012 pour élever 22 m² de murs à 2,5 m de haut et environ 40 cm de profondeur. Pour construire en terre, ils s’étaient principalement informés par des livres traitant du sujet. Malgré les précieuses informations des livres, les propriétaires comparent l’édification des murs en bauge au travail de Sisyphe. Construire en terre n’est pas une mince affaire.
Des guides de bonnes pratiques
Le matériau et les procédés de construction restent aujourd’hui cantonnés à une niche réservée à des maîtres d’ouvrage disposant de moyens financiers suffisants ou disposant de temps pour s’investir dans cette entreprise. Cette tendance peut s’inverser par une impulsion politique importante et une mobilisation collective pour favoriser l’accessibilité de la construction en terre crue.
Ces dernières années, les professionnels de la construction en terre crue ont constitué des réseaux pour rédiger des textes de références techniques pour chacun des procédés de construction en terre (2). Ces textes, appelés « Guide de bonnes pratiques », constitueront un état de la connaissance reconnu par les professionnels du bâtiment. La diffusion de ces textes auprès des maîtres d’ouvrage, praticiens, concepteurs et formateurs permettra de faire un peu plus connaître et reconnaître la terre crue comme matériau de construction légitime et suscitera peut-être des politiques qui lui soient plus favorables qu’actuellement. Demain, la terre crue occupera-t-elle le devant de la scène ?
Victor Villain
(1) http://maison-cob-paille-bazouges.blogspot.fr
(2) ARPE (Association Régionale pour la Promotion de l’Ecoconstruction en Basse-Normandie) pour le torchis ; Collectif des Terreux Armoricains pour la bauge ; Atouterre (Collectif des professionnels de la construction en terre crue de Midi-Pyrénées) pour l’adobe et les briques crues ; AsTerre (Association nationale des professionnels de la Terre crue) pour les enduits ; TERA (Terre Crue Rhône-Alpes) pour le pisé ; ARESO (Association Régionale d’Ecoconstruction Sud-Ouest) pour les terres allégées.