À l’origine, l’association regroupe des astronomes mobilisés pour la préservation du ciel étoilé. Elle élargit peu à peu son champ de préoccupation à la défense globale de l’environnement nocturne. Elle se donne, en 2010, une présidente engagée dans le développement durable : Anne-Marie Ducroux.
Composée exclusivement de bénévoles, l’ANPCEN est organisée de façon classique avec un bureau, un conseil d’administration et un réseau d’une soixantaine de correspondants et correspondantes locales. Son financement est assuré par un mix comportant le montant des adhésions et des dons, subventions et partenariats, dans un souci de « diversification pour ne dépendre d’aucune source ».
Ses actions s’exercent à un double niveau. National, avec un travail constant de plaidoyer auprès des instances politiques et administratives. Local, avec des actions en direction des collectivités et du grand public : concours pour le label Villes et villages étoilés, charte proposée aux communes, plateformes de veille citoyenne, boite à outils, etc. Toutes ses actions sont gratuites. Elle œuvre en partenariat avec diverses organisations : parcs nationaux, Fédération des parcs naturels régionaux, Ligue de protection des oiseaux, Les Eco-Maires, l’Association des maires de France, le Muséum national d’histoire naturelle, l’Institut national du sommeil et de la vigilance, etc.
Silence : le combat de l’ANPCEN est sous-tendu par une approche spécifique. En quoi consiste t-elle ?
Anne-Marie Ducroux : L’éclairage du 21e siècle ne doit pas continuer à être déterminé par une approche standardisée des fabricants et installateurs, qui a conduit depuis plusieurs décennies au suréquipement et au suréclairage nocturne. Ni déterminé par une innovation conduisant à ce qu’une technologie chasse l’autre, obligeant à réinvestir. Ni anti-acteurs économiques ni anti-technologues, nous préconisons d’inverser la conception en partant des besoins réels des habitants, différents sur chaque territoire. Il s’agit aussi de bien prendre en compte tous les impacts et tous les coûts, notamment dans une perspective environnementale globale, de long terme et de sobriété énergétique. Commençons par les mesures simples, de bon sens et sans coût pour les citoyens, économes de budgets publics, et dont les résultats sont constatés immédiatement. L’achat de nouveaux équipements et de nouvelles technologies peut être utile en fin de réflexion, mais pas au début. Et il faut en mesurer les limites, les coûts réels dans la durée, la capacité d’adaptation à un climat qui évolue avec davantage d’épisodes violents, tempêtes ou orages. Or, l’offre commerciale oriente massivement les choix des communes vers des systèmes d’éclairage à LED composés d’électronique, plus sensibles aux surtensions.
« Nous alertons sur les LED »
A propos des LED, qui sont mises en place dans de très nombreuses communes, quelle est votre position ?
Nous alertons sur les LED, après avoir étudié le sujet avec soin pendant plusieurs années. Leur technologie est encore en évolution. Mais les informations sur leurs performances et avantages sont affirmées par les fabricants eux-mêmes. Toutefois, divers problèmes sont déjà connus. Notamment, du fait de leur forte composante en bleu (1), avec une toxicité accrue pour le vivant ainsi qu’une forte diffusion de leur lumière dans l’atmosphère et les milieux ambiants. Pourquoi des alertes sanitaires déjà publiées, des études scientifiques montrant leurs effets sur la biodiversité… n’empêchent-t-elles toujours pas, aujourd’hui, une prescription massive des LED auprès des collectivités locales qui ignorent ces effets ? Pour notre part, nous leur recommandons de faire preuve de prudence et de bon sens : ne les adopter qu’après toutes les autres solutions, les choisir avec soin, en limiter l’usage. Hélas, on voit les communes continuer à éclairer autant avec des LED, et même augmenter le nombre de sources lumineuses parce que celles-ci seraient peu consommatrices d’énergie. Résultat : les LED contribuent fortement à l’augmentation de la quantité de lumière émise la nuit. C’est l’effet rebond, inverse à l’objectif de réduction de la pollution lumineuse.
Nous réclamons, entre autres, une régulation de ce marché par l’État, la mise en place d’une expertise indépendante des performances des LED et de leur durée de vie réelle, d’un affichage environnemental complet pour les acheteurs, une clarification de la position de l’État, pour le moins incohérent. Nous attendons en particulier qu’il cesse de cautionner imprudemment une durée de vie théorique de 30 ans. annoncée par les fabricants. Si cette promesse n’est pas tenue, les gains économiques vantés aux collectivités ne seront pas au rendez-vous, alors qu’elles auront investi des millions d’euros. Ainsi, nous sommes opposés au soutien public des LED par un certificat d’économie d’énergie. Ce CEE émane des acteurs économiques intéressés au déploiement massif des LED dans un contexte de marché mondial en très forte expansion et sur l’ensemble du territoire : + 61% de mise sur le marché français de LED entre 2015 et 2016, soit 87 millions d’unités.
Quelles sont les avancées réalisées par 20 ans d’actions de l’ANPCEN ?
Les positions de l’association ont d’abord été jugées farfelues, puis dangereuses et aujourd’hui elles apparaissent tout simplement … évidentes. Sur fond d’une meilleure conscience écologique, la perception du sujet a donc profondément évolué à tout niveau de la société : l’État, les élus, les professionnels, les citoyens. Les collectivités locales entrent peu à peu dans les démarches que nous proposons. Elles ont compris qu’au contraire d’autres acteurs, nous sommes désintéressés, qu’elles peuvent éviter de dépenser des millions d’euros tout en minimisant des impacts écologiques ! Cette évolution s’est accompagnée de notre plaidoyer pour la mise en place progressive d’un cadre législatif et réglementaire depuis 10 ans. La pollution lumineuse et ses impacts figurent désormais dans quatre lois (2), ainsi que dans plusieurs textes réglementaires. La construction de ce cadre institutionnel a été longue et laborieuse, mais est indispensable.
« Nos attentes envers l’État »
Cela a été long, notamment pour l’entrée en vigueur du décret sur l’extinction des publicités et enseignes lumineuses. Comment expliquez-vous l’inertie de l’État ?
Ce décret de janvier 2012 sur l’extinction des publicités et enseignes lumineuses dans les villes de moins de 800 000 habitants n’est entré pleinement en vigueur qu’au premier juillet 2018, soit 6 ans plus tard ! Nous avons demandé que l’État organise immédiatement le contrôle effectif de son application, chose qu’il n’a jamais faite pour l’arrêté de 2013 relatif à l’extinction de l’éclairage pour les vitrines, façades et bureaux non occupés (3).
Alors pourquoi ? Du côté de l’État, je vois plusieurs facteurs. D’abord son fonctionnement très cloisonné, qui n’aide pas à prendre en compte un sujet global. Ensuite, la succession des ministres et secrétaires d’État de l’écologie (j’en dénombre près d’une dizaine en quelques années !), qui complique aussi beaucoup les choses. Puis le fait que les cabinets ministériels travaillent tout simplement par urgences, et l’environnement nocturne n’en fait pas partie à leurs yeux.
L’autre explication réside dans l’action de lobbies, très structurés et puissants, depuis des années, percutés par nos recommandations : fabricants, installateurs, entreprises et syndicats d’énergie, organisations professionnelles, bureaux d’étude, etc.
Que reste t-il à obtenir ? Sur quoi vous mobilisez-vous en priorité désormais ?
Outre la fin de la caution des LED de la part de l’État, il y a en a bien d’autres… Une revendication centrale actuelle vise un véritable plan d’action, avec des financements identifiés, des objectifs chiffrés et contrôlés. Dans l’immédiat, un objectif de stabilisation des quantités de lumière émises chaque nuit, puis des objectifs de diminution, avec des échéances précises, pour que tout le monde se mette en mouvement. L’État devrait en outre accompagner les bonnes pratiques : encourager financièrement les 12 000 communes qui pratiquent une extinction de leur éclairage public la nuit, soutenir activement le label français original Villes et villages étoilés qui crée une dynamique de progrès dont l’ampleur grandit à chaque édition. Nous attendons aussi désormais du gouvernement qu’il interpelle les entreprises de la filière sur leurs responsabilités sociales, les sollicite pour des engagements publics et une attitude de dialogue avec les parties prenantes.
Propos recueillis par Danièle Garet
Pour en savoir plus :
www.anpcen.fr
ANPCEN, 3 rue Beethoven, 75016 Paris
(1) La gamme des lumières émises par tout type de lampe varie, allant des lumières « chaudes », plus orangées et moins toxiques, à celles les plus « froides », blanches, avec forte composante de bleu dans leur spectre (cela correspond à une faible longueur d’ondes émise par la lumière), plus nocives. L’Agence nationale de sécurité Sanitaire (ANSES) a déjà alerté, depuis son rapport d’octobre 2010, sur les risques sanitaires que présentent les LED, du fait de leurs fortes composantes bleues et de l’intensité de leur rayonnement.
(2) Il s’agit des deux lois issues du Grenelle de l’environnement en 2009-2010 (notions de nuisances lumineuses), de la loi de transition énergétique de 2015 (exemplarité énergétique et environnementale des installations lumineuses, principe pollueur-payeur), et de la loi « Biodiversité, nature et paysages » de 2016 (paysages nocturnes comme patrimoine de la Nation, devoir pour tous de protéger l’environnement nocturne, besoin de continuités écologiques nocturnes, à l’instar des trames bleues et vertes, nuisances lumineuses en mer).
(3) Pour cet arrêté de 2013, l’ANPCEN organise, depuis 2013, une veille citoyenne via une plateforme collaborative.