Vous lisez cet article après la COP24 qui s’est tenue à Katovice en Pologne en décembre 2018. Ce texte a été rédigé en novembre dernier après le succès des marches pour le climat. C’est un appel à la convergence des luttes climatiques et décoloniales.
La marche pour le climat du 8 septembre 2018 a mobilisé des centaines de milliers de marcheurs et marcheuses dans le monde, dont 100 000 en France. Celle du 13 octobre 2018 a connu le même succès, avec de nouveau 100 000 personnes en France. Cette journée du 13 octobre fut une réponse à l’appel lancé par Alternatiba (1) lors du manifeste "Le temps de l’espoir et de l’action".
Une mobilisation pour une solidarité mondiale
La journée pour le climat du 13 octobre 2018, sous la bannière "Il est encore temps", s’est déroulée dans le cadre d’une journée mondiale contre le gaz et la fracturation hydraulique, et, surtout, dans le cadre d’une journée de solidarité avec les peuples autochtones d’Amérique, avec le concours, notamment, d’associations militantes impliquées dans les luttes anticoloniales. (2)
Il est en effet urgent, pour les peuples les plus favorisés sur le plan des ressources vitales, de réorienter leur niveau de vie sur des modes beaucoup plus partageux, dans des relations d’égal à égal avec les différents peuples de notre monde, quelques soient leurs coutumes, croyances, régimes politiques, etc. Il s’agit de tourner les nombreuses pages du colonialisme, passé et présent.
Ce ne sont pas les migrant·es qui sont responsables des problèmes d’exclusion dans les pays industrialisés, mais les milliardaires qui pilotent les places boursières, les firmes transnationales, les grands groupes médiatiques, à l’instar de Bernard Arnaud. Mis à part dans les médias indépendants des puissances d’argent, le traitement médiatique des migrant·es instille trop souvent, dans l’opinion publique, que "tout est de la faute des migrants".
Faire converger mobilisation pour le climat et décolonisation
Il est encore temps… pour les peuples des pays riches, de faire converger les actions pour le climat, et celles pour la décolonisation. Une telle démarche est envisageable et serait davantage favorisée si on multipliait les actions symboliques comme celle réalisée au Larzac, où une portion de terre a été accordée aux Kanak pour qu’ils puissent y vivre selon leurs coutumes. Les mouvements pour la justice climatique, en plein essor dans les pays du Nord, doivent s’en inspirer pour que leurs actions s’inscrivent dans la lignée de celles du Sommet mondial des peuples pour le climat qui s’est tenu à Cochabamba en Amérique du Sud en 2010.
Le succès de ce rassemblement populaire s’appuyait au moins en partie sur les philosophies amérindiennes basées sur la notion de la "terre-mère", qui est difficile à appréhender pour les peuples des pays du Nord. Non, il ne s’agit pas de "singer les peuples d’Amérique du sud", mais d’inventer un "bien vivre" (comme un "buen vivir"), à l’européenne, par exemple.
Le défi à relever pour les peuples occidentaux passe par cette conversion, anticolonialiste ou post colonialiste. Pour cela, certaines expérimentations semblent intéressantes, comme dans les ZAD.
L’importance d’expérimenter : l’exemple de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
À la ZAD a été expérimenté l’accueil des migrant·es de Calais, même si peu de personnes racisées (4) fréquentent la Zad de Notre Dame des Landes, comme l’écrit Amandine Gay, une militante féministe contre le racisme. (5) Lors de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, au printemps 2017, parmi les nombreux messages de soutien, l’un d’eux est venu de paysans et paysannes palestiniennes, qui savent, comme les zadistes, ce qui signifie être chassés militairement de leurs terres, par les… colons israéliens. Les ZAD ont tout intérêt à réfléchir à ces questions coloniales, ce qu’elles font déjà en partie, afin de favoriser la convergence des luttes.
La permaculture : regarder la nature comme une aide
Les ZAD donnent à voir de très intéressantes expérimentations de vie alternative, par exemple en permaculture. Ce mode de jardinage et d’agriculture ne saurait être réduit à des techniques, aussi efficaces soient-elles (comme les buttes). Il s’agit de regarder la nature comme une aide, voire un être vivant dont nous, humains, faisons partie, pas comme un objet à exploiter. En Algérie, dans certaines fermes, on plante les laitues à l’ombre des tomates, elles-mêmes à l’ombre des palmiers, sous un soleil de plomb. Il y a aussi des fermes en Afrique de l’Ouest, où des paysan·nes creusent des trous juste avant la saison des pluies, les remplissent de déjections animales, avant que des termites n’agrandissent ces trous appelés "zai". Nous aurions à apprendre de ces pratiques, pour adapter notre jardinage et notre agriculture des pays du Nord, de plus en plus exposés aux canicules et aux sécheresses. Il faudrait aussi resituer la permaculture dans le cadre des luttes paysannes mondiales, des luttes contre les famines qui reprennent de l’ampleur dans notre monde.
La paix est un préalable
La permaculture doit être vue dans un contexte de crise climatique, qui se double, depuis quelques années, de lourdes menaces sur la paix mondiale, ce qui accélère les menaces de destruction de l’humanité et de la nature. Dans un tableau qui s’assombrit, les alternatives évoquées plus haut, auront tout à gagner en relayant, et/ou en participant aux marches mondiales "Jai Jagat 2020". Ces marches, prévues dans différents continents, pendant une quinzaine de mois entre septembre 2019 et décembre 2020, convergeront vers Genève. Parmi les initiateurs, citons le mouvement Ekta Pahishad, en Inde, qui s’appuie sur les marches non-violentes comme la marche du sel menée par Gandhi de son vivant. "Jai Jagat" signifie "victoire du monde" : il ne s’agira pas de faire gagner des peuples contre d’autres, mais de redonner des chances à notre monde. Nous aurons à vaincre non seulement le changement climatique, mais les sirènes nationalistes, les sirènes fascistes, que le capitalisme essaie de brandir.
Montrons-nous plus forts que le flot de mauvaises nouvelles, en participant à cette résistance mondiale. Ayons l’audace de croire que cette campagne peut avoir un énorme impact sur les institutions et les politiques au "niveau mondial" comme le dit Rajagopal depuis 2014 : "Il est encore temps ...de vivre !".
Jean Dupré
(1) https://alternatiba.eu
(2)www.anticolonial.net
(4) Le terme "racisé" désigne les personnes (noires, arabes, roms, asiatiques, musulmanes, etc.) renvoyées à une appartenance (réelle ou supposée) ou à un groupe ayant subi un processus à la fois social et mental d’altérisation sur la base de la race.
(5) lire : « éloge des mauvaises herbes », ed.les liens qui libèrent.
(7) www.internationalinitiatives.org