En 2007, Thierry Deiller voit des tapis de mirabelles pourrir au pied des pruniers car plus personne ne les ramasse. Choqué, il lance un appel sur internet et propose « de récolter la production d’arbres fruitiers qui ne sont plus exploités ». En un mois, il reçoit des propositions pour 180 arbres. Avec des cueilleus·es volontaires, la récolte des fruits commence : « Ce qui est consommable est donné à des associations caritatives, ce qui est abîmé est transformé en confiture. » L’association Fruimalin voit le jour.
L’inconvénient d’internet, c’est que les arbres proposés se trouvent dans un large périmètre. L’année suivante, une première opération est concentrée sur cinq communes du nord-ouest de Dijon. Rien que sur ce secteur, l’association récolte 5 tonnes de fruits.
Agir sur l’éducation des enfants
Si les arbres sont à l’abandon en si grande quantité, c’est d’abord parce qu’il n’y a plus de lien entre la personne qui plante et celle qui récolte. « Ma grand-mère savait ce que c’était que planter un arbre, attendre, récolter. Mais la génération suivante, celle de mes parents, a connu l’apparition des grandes surfaces, avec un autre regard sur la consommation. On plante alors un cerisier pour y accrocher une balançoire. »
Des arbres fruitiers utilisés comme « décoration », l’association en trouve facilement.
Il s’agit donc d’apprendre aux plus jeunes l’intérêt de ces arbres et de leur en faire découvrir le potentiel. L’association Fruimalin va organiser des interventions dans les établissements scolaires, emmener les enfants sur le terrain pour leur montrer comment à reconnaître les plantes comestibles et les arbres fruitiers, faire des ateliers où chaque enfant repart avec son pot de confiture. Au fil du temps, la question alimentaire s’est élargie : « J’avais huit enfants avec moi lors de la visite d’une ferme, aucun ne voyait le rapport entre le blé qui venait d’être récolté et la farine ! »
Thierry Deiller raconte l’histoire de cerisiers près de courts de tennis : « Des personnes ont descellé une chaise d’arbitrage pour s’en servir comme escabeau. » Le complexe sportif en question compte près de 200 cerisiers non exploités !
Au fil du temps, l’association se concentre sur les petits vergers et abandonne les arbres isolés. Elle diversifie aussi ses activités en cueillant des plantes sauvages, mais en insistant sur le risque de sur-cueillette.
Surproduction
Concrètement, les fruits sont surtout donnés à la Banque alimentaire et aux Restos du cœur.
L’un des principaux défis du projet est aujourd’hui la surproduction : ne sachant plus que faire des confitures, la production a été diversifiée : jus de fruits (1), gelées, fruits confits, sirops. La vente de ces produits sur des stands lors d’événements militants permet l’autofinancement partiel de l’association. Mais certains produits se vendent mal : il y a vraiment trop de prunes !
Les relations avec les donateurs sont le plus souvent très agréables même si les motivations sont parfois étranges : « C’est par exemple parce que les fruits qui tombent attirent les guêpes. » « Les relations avec les cueilleurs sont plus aléatoires : il faut collecter les fruits lorsqu’ils sont mûrs, ce qui peut entraîner des pics de travail importants et une fatigue des bénévoles. » Ces derniers ont des engagements très fluctuants. Les retraité.es sont les plus fidèles, jusqu’à ce que l’âge les rattrape. Les étudiant·es s’impliquent souvent intensément mais de manière inconstante (pourquoi les fruits mûrissent-ils au moment des examens ?). Les personnes actives ne sont que peu présent·es. Résultat : il peut y avoir 30 volontaires un jour pour récolter sur quelques arbres, et personne le lendemain dans un verger.
Un essaimage qui s’est écarté du modèle initial
Le travail de Fruimalin bénéficie d’une bonne couverture médiatique. Cela a pour conséquence de nombreuses visites de personnes qui veulent faire la même chose.
En 2012, pour coordonner les activités, l’association décide de salarier Thierry Deiller. Outre l’organisation des cueillettes, des transformations et des interventions en milieu scolaire, il met sur pied un cycle de formation pour ceux et celles qui veulent se lancer sur leur territoire.
La formation proposée sur deux ans, en week-end, comportait différents modules : aborder les spécificités de la cueillette (rapports avec les propriétaires, question de la propriété), savoir créer une association, maîtriser les contraintes du bénévolat, assurer la sécurité (on secoue les arbres plutôt que d’y grimper), étudier le potentiel de transformation, les réseaux de vente, le rapport avec le caritatif.
Beaucoup de personnes se sont dites intéressées. Malheureusement, personne n’a suivi la formation en entier. « Si des initiatives sont nées ensuite, la plupart avaient des visées moins désintéressées. Le côté coopératif et associatif a souvent été mis de côté, tout comme le côté éducatif . » Thierry peste contre certaines initiatives qui, sous prétexte de lutte contre le gaspillage, mettent aujourd’hui leur production sur les rayons des supermarchés : « Si tu vas le chercher au supermarché, cela change quoi ? Ce sont les grandes surfaces qui ont provoqué le plus de gaspillage. »
Questions en suspens
L’association connaît actuellement une phase d’hésitations, alors que le potentiel de ramassage est intact. Les récoltes se poursuivent mais à un rythme moins élevé, en espérant trouver un nouveau modèle économique.
Michel Bernard
(1) L’association possède une presse pour le jus de pommes installée dans une ferme à 15 km de Dijon.