Les Belleville, en Savoie, font partie des Trois Vallées, immense domaine skiable composé notamment des stations de Val Thorens, des Menuires et de Saint-Martin-de-Belleville. Surexploitées pour le ski alpin, ces vallées jouxtent des domaines mieux préservés comme le vallon du Lou. C’est pour conserver une nature pas encore défrichée que l’association Demain vivre aux Belleville s’est montée. Aurélie Conte, qui en a repris les rênes en 1995 avec une équipe renouvelée, défend aujourd’hui les atouts naturels de la vallée dans une démarche collaborative entre les différents acteurs locaux.
De l’uranium au téléski
L’association est née dans les années 1980 pour s’opposer à un projet d’extraction de minerai d’uranium. Il était prévu qu’une carrière à ciel ouvert voie le jour sur la montagne du Cochet, défigurant le territoire de façon définitive. Dès ces années-là, ce qui se joue, c’est redonner du pouvoir à la population locale pour qu’elle arrive à peser sur une décision politique. Après une première victoire, puisque le projet est abandonné, l’association reprend du service dans les années 1990. Un plan d’équipement en remontées mécaniques du vallon du Lou est proposé, et l’association se mobilise à nouveau pour tenter de conserver le milieu intact. Une réunion publique est organisée, et une pétition est signée par une grande partie de la population de la vallée. Cela suffit pour que la commune stoppe le projet. Selon Aurélie, c’est « grâce à la mobilisation citoyenne que les responsables ont retourné leur veste et que le projet de remontées mécaniques a été abandonné ».
En 2017, troisième grand épisode : la Sevabel, société des remontées mécaniques des Menuires, veut faciliter la connexion avec Val Thorens par le vallon du Lou. Elle projette donc la construction d’un télésiège et d’une piste de ski à l’intérieur du vallon. Ces installations constitueraient un début d’extension du domaine skiable dans le vallon du Lou, zone naturelle jusqu’alors protégée par le plan local d’urbanisme (PLU) et le tout récent SCOT intercommunal (1). Or, le vallon du Lou est inventorié au niveau national en tant que zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1. L’association monte donc au créneau et s’alarme : « En modifiant le PLU, cet aménagement, par le précédent qu’il créerait, serait la porte ouverte à une extension dans tout le périmètre du vallon du Lou et les autres secteurs vierges de la vallée. Mais les élus s’en moquent et contournent facilement ces réglementations. Dans le projet vallon du Lou 2, un tiers du vallon doit être déclassé pour pouvoir être constructible, soit 6 000 ha ! »
« Les habitants ne laissent plus faire ce type de projets absurdes »
La mobilisation redémarre et réussira, non sans mal, à obtenir l’arrêt du projet. L’association a dû porter elle-même le débat contradictoire et apporter les éléments techniques et économiques de réflexion. Le site de l’association le rappelle : « Comprendre le fonctionnement entre commune et aménageurs (contrat de délégation de service public, dossier d’étude d’impact), connaître l’état des ressources naturelles et enjeux associés, voilà ce qui manque aux citoyens de notre vallée pour pouvoir se faire une opinion et s’exprimer. Voilà ce qui manque pour que la démocratie locale puisse fonctionner correctement. »
Demain vivre aux Belleville a donc organisé une concertation locale. L’association a commencé par prendre rendez-vous avec des élu·es. Ces rendez-vous n’ont pas été concluants et, face au manque de documentation, l’association citoyenne s’est transformée en cabinet d’expertise pour fournir des éléments tangibles de réflexion.
Ce travail de documentation s’est accompagné de réunions publiques au printemps 2017. « On a fait salle comble ! s’exclame Aurélie. C’est nous qui avons mené la concertation. C’est à ce moment-là que nous avons lancé la pétition. C’est allé très vite. Nous avons beaucoup de relais localement, chez des commerçants, même si ce n’était pas évident vis-à-vis du maire qui soutenait le projet. » Trois cents personnes ont participé à la réunion publique et la pétition lancée à ce moment-là a recueilli plus de 4 500 signatures. « Nous n’avons jamais eu de réponse des élu·es. En juin 2017, la société de remontées mécaniques a retiré son projet sans que nous ayons plus d’informations. La procédure a donc été arrêtée avant l’enquête publique. Précisons que la préfecture avait émis un avis défavorable sur le projet, qui sous-estimait largement l’impact environnemental. » Des communes voisines se sont impliquées à leur tour pour soutenir la mobilisation. « Les habitants ne laissent plus faire ce type de projets absurdes. Au vallon du Lou comme ailleurs dans les Alpes, aux Deux Alpes ou à Tignes par exemple », conclut Aurélie.
Une autre vision du lien montagnard
Ces projets d’extension visent à garder l’attractivité des stations. Il s’agit de faciliter la connexion entre les domaines skiables ou entre les versants. Mais c’est une autre vision de la communication et du réseau qui se développe à Demain vivre aux Belleville. Le lien se fait ici par le partage, pas par le télésiège. L’association rassemble : elle compte aujourd’hui 125 adhérent·es, sur une commune de 3 000 habitant·es. « Notre association est en constant renouvellement et des jeunes s’en emparent. Il y a des personnes de 25 à 65 ans ! »
Le mouvement ne se réduit pas aux mobilisations citoyennes contre les projets d’aménagements destructeurs. « Au final, on est devenu un groupe de pression. On porte la parole de la population de la vallée. On vit le milieu, c’est grâce à lui qu’on est là, alors qu’il est détruit petit à petit. »
Effectuer un travail de veille environnementale depuis plus de 30 ans suppose que l’on possède des outils réglementaires forts pour s’opposer à ces projets de destruction. En attendant, au quotidien, l’association sensibilise à la fois la population locale et les touristes de passage aux enjeux environnementaux en montagne. « Ce qu’on défend, ce sont des joyaux territoriaux mais aussi des emblèmes de la montagne sauvage, comme la balade familiale. » Elle n’est pas en opposition avec la commune qui, pendant des années, a souhaité garder des vallons vierges de toute expansion, mais elle incarne une sentinelle, un relais sur les enjeux environnementaux.
« Le vallon est un espace de ressourcement »
Demain vivre aux Belleville a permis de préserver l’aspect sauvage du vallon. La valorisation de celui-ci s’est faite autour du caractère brut du territoire. C’est une zone sanctuaire, un tampon écologique entre les domaines skiables. « Le vallon est un espace de ressourcement qui possède un refuge », précise Aurélie. Rénové en 2018, celui-ci abrite des randonneu·ses ou des skieu·ses de fond, loin de l’agitation des stations. « La vallée a des atouts naturels, il faut les garder. La valorisation des vallons sauvages doit être constante et pas uniquement quand elle appuie une communication touristique. » D’autres vallons sont encore menacés aujourd’hui.
Les membres de l’association sont soutenus par une grande partie des habitant·es mais aussi par des touristes. « On ne peut pas être perçu uniquement comme la ‘petite bête noire’. On est un relais pour la préservation et la valorisation de la zone protégée. » Depuis 2012, l’association est notamment relais local et partenaire du conservatoire des espaces naturels de la Savoie pour le site protégé de la tourbière du plan de l’eau des Menuires. « Il est des endroits comme notre vallée où les atouts sont dans le paysage, où le souffle se prend à pleins poumons, les yeux rivés sur les alpages… et en plus, nous pouvons vivre du tourisme. Quelle chance ! L’argent et la renommée nous donnent les moyens de voir grand, mais je rêve d’une vallée où nous aurions la sagesse de nous donner des limites. »
(1) Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) est l’outil de conception et de mise en œuvre d’une planification intercommunale.
Demain vivre aux Belleville
Le Châtelard, chez N. Simond
73440 Les Belleville
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