Article Environnement Pollutions industrielles

La réouverture des mines en France plombée pour l’instant

Danièle Garet, Guillaume Gamblin

Les 25 et 26 août 2018 se tenait à Salau, en Ariège, le festival Stop Mines qui regroupait plusieurs collectifs en résistance contre des projets miniers sur le territoire français. L’occasion de faire un point sur la situation actuelle.

Relancée à partir de 2014 par les ministres de l’Économie Arnaud Montebourg puis Emmanuel Macron, l’idée de rouvrir des mines en France continue à faire son chemin dans le monde politico-économique accro à la croissance. Les métaux rares (tungstène, cobalt, néodyne et quantité d’autres) sont indispensables dans les domaines les plus stratégiques, armement, high-tech et "transition numérique". La dépendance française envers des pays étrangers, Chine en tête, constitue donc un risque géo- politique majeur.

"On peut dire que les ONG ont gagné" (1)

Dès lors, les pressions s’intensifient pour que la France redevienne un "géant minier" (2). Entre 2013 et 2017, une quinzaine de permis de recherche ont été accordés à diverses sociétés. Mais la résistance, de mieux en mieux organisée, continue à s’amplifier et a gagner, comme en a témoigné le festival Stop Mines. Pierre Lapalu, du collectif Stop Mines 23, fait le point sur les permis de recherche en souffrance. "La société australienne Variscan Mines a cédé tous ses permis miniers à la société Appollo Minerals : ses trois permis bretons (Loc-Envel, Silfiac et Merléac) et ses deux permis des Pays de Loire (Beaulieu et Saint-Pierre). Tous sont en pause et le ministère de l’Économie lui a demandé de renoncer à ces cinq permis. Dans la Sarthe, le permis concernant la commune de Tennie est forclos. Au Pays Basque, la prise de position unanime contre le permis de Kanbo [Cambo-les-bains] a conduit au refus de ce dernier. Dans la Creuse, la demande de renou- vellement du permis de la société canadienne La Mancha n’a pas reçu de réponse favorable pour le moment." Sur ces différents terrains, l’opposition citoyenne a donc réussi jusqu’à ce jour à geler les projets miniers.

Cependant, ne pas crier victoire

Sur quelques autres en revanche, les situations sont encore incertaines. Toujours selon Pierre Lapalu, "en Haute-Vienne, la société Cordier Mines entend bien continuer à prospecter le secteur des anciennes mines d’or de Saint-Yrieix. En Ariège, Appollo Minerals se focalise sur le permis de Couflens-Salau (tungstène) et a effectué une demande de permis pour l’or sur le versant catalan de la montagne qu’elle compte exploiter." En dehors de la métropole surtout, la pression des industries minières est forte : "En Guyane, 18 permis de recherche on été accordés, en plus de la trentaine de concessions existantes : c’est sur l’une d’entre elle que le méga-projet minier Montagne d’or se situe, au cœur de la foret tropicale... " (3) Aussi, le temps de crier victoire n’est pas venu. Mais le refus populaire constitue bien le seul obstacle aux ambitions extractivistes, et un obstacle globalement très efficace pour l’instant.

Le cyanure tue !
Campagne pour un moratoire sur l’utilisation du cyanure dans l’industrie minière. Communiqué commun à 30 organisations diffusé à l’issue de la rencontre Stop Mines.
"Le cyanure de sodium, utilisé principalement par l’industrie extractive aurifère, est un composé chimique extrêmement toxique. A tous ses stades de manipulation : transport, stockage, utilisation puis confinement, le cyanure menace sérieusement notre existence. Ses effets sur l’environnement, la santé humaine et la biodiversité, sont catastrophiques et irréversibles.
En cas d’accident, au contact de l’eau, le cyanure de sodium produit de l’acide cyanhydrique, un gaz très inflammable qui provoque la mort par asphyxie (...).
Déversé dans l’environnement, le cyanure provoque immédiatement l’asphyxie de tout organisme vivant et un violent déséquilibre des écosystèmes. Plus de 30 accidents majeurs associés à des déversements de cyanure se sont ainsi produits, de par le monde, ces 25 dernières années. Par ailleurs, les climatologues annonçant une amplification des épisodes pluvieux extrêmes, plus intenses et plus fréquents, une augmentation des ruptures de barrages de résidus est prévisible.

Mépris de l’État français et de la Commission européenne
Malgré ce constat, l’État a répondu favorablement en 2017 aux demandes du lobby minier d’augmenter les normes de rejets cyanurés en sortie d’usine.
Pourtant, interdire l’utilisation des technologies à base de cyanure dans l’industrie minière est aussi une demande répétée du Parlement Européen, via deux résolutions prises en mai 2010 et en avril 2017, votée à la quasi-unanimité (566 voix pour l’interdiction, 8 contre).
La Commission européenne a rejeté cette résolution, prétextant d’abord que cette mesure « ferait peser une charge disproportionnée sur l’industrie européenne » mais aussi « qu’aucune autre technologie plus satisfaisante n’est actuellement disponible à l’échelle commerciale ».
Cependant, un état membre peut choisir d’adopter cette résolution, au niveau national. Trois pays d’Europe, la République Tchèque (2000), l’Allemagne (2002) et la Hongrie (2009) ont d’ores et déjà pris cette décision. Pourquoi pas nous ?

Un moratoire immédiat
Les effets transfrontaliers des accidents dus au cyanure, notamment au regard de la pollution de grands bassins hydrographiques et de nappes souterraines, illustrent la nécessité d’une approche nationale mais également européenne face à la menace sérieuse de l’utilisation du cyanure.
Le collectif Or de Question et ses partenaires européens réclamons, solennellement, à nos gouvernements respectifs, un moratoire immédiat du cyanure dans l’industrie minière, en vue d’aboutir à son interdiction définitive."

Quand les pro-mines se veulent éthiques

D’ailleurs, l’acceptabilité sociale de leurs activités sur le territoire national arrive en tête des soucis des industries minières et fait l’objet de tous leurs soins en matière d’influence politique et de communication. Le projet de charte "mine responsable" (lancé par Emmanuel Macron en 2015) n’a, bien évidemment, abouti à rien.
Sur le même registre de la blague plus ou moins drôle, le nouvel argument des pro-mines n’est pas mal non plus. Il s’agit de l’argument éthique : ne laissons pas les autres pays supporter tout le poids de l’activité extractiviste, prenons en notre part. L’excellent ouvrage Mauvaises mines (4) ne tombe pas dans le panneau : "Si des mines ouvraient en France, qui donc irait fermer celles de Chine ? La magie du commerce mondial et de la course à la production permettra seulement qu’elles s’additionnent, tout simplement."
Pour autant, impossible d’en rester là poursuivent les auteur·es : "Il est facile de bénéficier quotidiennement de métaux extraits hors de nos territoires tout en manifestant une fois de temps en temps avec un panneau "Ni ici ni ailleurs".

Une lutte globale

En effet, les luttes contre les projets miniers ne peuvent faire l’impasse sur une redéfinition de nos besoins personnels en équipements électroniques (entre autres), besoins sans cesse augmentés par la course à "l’innovation" et l’obsolescence programmée. Sortir de l’extractivisme constitue un projet de société (5). Ainsi, pour Maika Mesa Martin du collectif Stop Mine Salau, alors que la charte "mine responsable" se réduit à une "stratégie de communication" et constitue "la porte ouverte aux "permis de pollution", "la vraie charte devrait se faire sur l’industrie du recyclage afin d’assurer la
transition énergétique."
Et en effet, il y a beaucoup à faire en la matière. De l’aveu même de Christian Brabant, DG de la société réunissant les deux éco- organismes agréés de la filière (Eco-Systèmes et Recyclum), le recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEE) en France est "loin de pouvoir subvenir aux besoins croissants". On ne saurait mieux dire.

Métaux stratégiques, lutte anti-forage aussi

Recyclage, écoconception, décroissance, résistance au tout numérique... le combat anti-mine recouvre une pluralité d’enjeux. Il se déroule sur le triple terrain ("les trois batailles" selon Mauvaises mines) : physique (les occupations, blocages et autres actions directes), juridique et politique. Au plan juridique, il s’agit de maintenir la plus grande vigilance sur l’hypothétique réforme du Code minier et de contrer point par point les multiples manœuvres des industries pour s’implanter. Au plan politique, le gouvernement hésite et, selon la formule de Yves Hirbec, Président de Cordier Mines, "envoie des signaux contradictoires". L’envie d’autoriser les pelleteuses le démange, mais le risque de fronde sociale le retient. Il est donc crucial d’entretenir au maximum la mobilisation. C’est ce qu’ont compris les collectifs présents au festival Stop Mines cet été. Plus les mines sont stratégiques pour la poursuite du techno-capitalisme, plus les combattre est stratégique pour une autre vision du monde.

(1) Sébastien de Montessus, PDG de la société minière canadienne La Mancha, cité par le magazine Challenges, 19 juillet 2018.
(2) Ainsi par exemple l’Académie des sciences et l’Académie des technologies publient, en juillet 2018,un rapport commun sur la stratégie d’utilisation des sous-sols français. Il recommande l’exploration des ressources sur tout le territoire, métropolitain, outre-mer et domaine maritime.
(3) Voir l’article "Guyane : mourir sur une montagne d’or ?", dans Silence, n° 463 de janvier 2018.
(4) Mathieu Brier, Naïké Desquesnes, Mauvaises mines. Combattre l’industrie minière en France et dans le Monde, Revue Z, 2018.
(5) Voir le dossier Silence de mai 2016, n° 445, "Extraction minière, ni ici, ni ailleurs".

Contre "l’innovation" et son monde
Les huit chapitres de l’ouvrage Mauvaises Mines dévoilent les menaces de renouveau minier en France métropolitaine et d’outre-mer. Malédiction du drainage minier acide, impossible stockage des résidus toxiques, complicités entre les institutions publiques et les industriels, autorisations d’installations dangereuses, etc. Nous en reproduisons ici un extrait.

Le refus des ravages promis par la mine pourrait nourrir une campagne de contestation de "l’innovation", ce mot- valise mis au service de l’industrie high-tech (1). Incarnation d’un monde illimité, l’innovation draine avec elle les promesses de nouvelles fonctionnalités, de performances décuplées, de propriétés sans cesse renouvelées. Elle est le carburant qui fait courir les inventeurs vers toujours plus de miniaturisation de nos objets électroniques et informatiques, alimentant la logique des alliages complexes : plus les industriels désirent des composants toujours plus petits, plus les alliages seront nombreux et sophistiqués (2). Surtout, afin de rester leader ou innovant sur les marchés, chaque constructeur prend garde à utiliser des alliages différents, dont la composition précise est souvent impossible à connaître – le fameux secret industriel (3). De quoi rendre impossible le recyclage des métaux.

De l’argent public pour détruire les territoires

Au nom de la promotion de l’innovation, combien de start-up et de centres de recherche sont financés par des subventions publiques pour inventer les nouveaux objets qui viendront demain alimenter les besoins en métaux (4) ? L’entreprise Variscan bénéficie par exemple du crédit d’impôt recherche (CIR), grâce aux prospections qu’elle effectue sur le territoire français (5). Une bonne opportunité pour dénoncer le CIR dans son ensemble : dans tous les secteurs, des sociétés empochent de l’argent public pour des recherches qui alimenteront, in fine, une production destructrice.

Halte à l’obsolescence programmée

Ce sont aussi des esprits innovants qui ont imaginé des produits programmés pour ne pas durer –encore une manière de garantir la poursuite de la production. L’obsolescence programmée a bien été interdite, mais les effets de cette mesure gouvernementale restent incertains. Inscrite dans la loi de "transition énergétique pour la croissance verte" en 2015, l’interdiction n’a pas été votée pour aller vers une réduction des activités industrielles. Aucune mesure de contrôle n’a d’ailleurs été prise par l’État pour tenter de faire appliquer l’article 99 de ce texte, qui prévoit de punir une entreprise mettant en vente un produit dont la durée de vie aurait été délibérément réduite. L’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) s’est pourtant emparée de cet artifice législatif pour alimenter la lutte contre les grandes entreprises. Une plainte a été déposée contre les fabricants d’imprimantes Epson, Canon, HP et Brother, et une autre contre Apple qui incite ses client·es à télécharger des mises à jour précipitant en fait la fin de vie de leurs iPhones. De telles poursuites peuvent faire mouvement avec la campagne intitulée #iPhoneRevolt, faite d’occupations de magasins Apple (6), de tribunes dans la presse et d’actions directes sur les publicités. Autant de petites attaques précieuses contre un des clients majeurs de l’industrie minière. Car avec ses dix smartphones différents commercialisés en l’espace de dix ans, la marque à la pomme symbolise bien l’alliance entre innovation et obsolescence.

Livre : Mauvaises mines, Combattre l’industrie minière en France et dans le monde, suivi de La ruée vers l’ordre. Mathieu Brier et Naïké Dequesnes, éd. Les Ami·es de Clark Kent, 2018, 136 p., 8 €

(1) "L’utopie des technopoles radieuses", Celia Izoard, Revue Z, n°9 (Toulouse), 2015.
(2) Selon ISF SystExt, au forum sur "les mobilisations citoyennes face à la relance minière" de septembre 2017 en Île-de-France, et dans son outil interactif en ligne "Des métaux dans mon smartphone ?" (isf-systext.fr).
(3) Idem.
(4) "Les aides à l’innovation", dans l’onglet "Créateur" du site de l’Agence France entrepreneur, consulté le 28 février 2018 (afecreation.fr).
(5) "Receipt of CIR Payment – ASX Announcement ", Variscan, 6 novembre 2017 (variscan. com.au). Dans le cas de Variscan, les recherches
en question consistent probablement surtout à traiter des données récupérées gratuitement auprès du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), et donc récoltées grâce à des fonds publics...double peine pour le contribuable !
(6) "Procès #AppleContreAttac : les multinationales ne nous feront pas taire !",communiqué d’Attac France, 12 février 2018 (france.attac.org).

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