En tant que médiatrices, nous suivons des groupes de cohabitant·es. Nous avons développé cette activité parce que nous possédons des outils facilitateurs de projet et de dynamique de groupe, et aussi par goût pour la création collective et l’action citoyenne. Nous avons édité un livre : Cohabiter pour vivre mieux. Nous y avons consigné des expériences, des récits, donnons des informations pour que les groupes apprennent à se gérer au mieux du point de vue matériel et psychologique. Depuis cette parution, nous avons reçu de très nombreux mails de personnes en recherche de partenaires pour se lancer dans cette grande aventure.
Des énergies plus nombreuses, des écueils spécifiques
La majorité des demandes émane de personnes à la retraite ou proches de celle-ci, en couple ou pas. Attirées par l’idée de vivre dans un environnement humain et social de qualité, elles nous expriment leurs valeurs de solidarité, d’amitié, d’écologie. Mais aussi leurs craintes, leurs inquiétudes. Celles-ci sont tout à fait légitimes. En effet, faire un projet de nouvel habitat représente déjà, en soi, un effort important de temps, d’argent et de mobilisation d’énergie. Or, construire un projet à plusieurs foyers, avec X personnes, offre des aspects positifs indéniables mais ajoute également des difficultés qu’il convient de ne pas minorer afin d’éviter les échecs douloureux. Le positif, c’est l’énergie mise en commun, la créativité, la multiplication des possibilités, des ouvertures, des talents, la joie d’œuvrer et construire ensemble. Quels sont les écueils pouvant venir abîmer voire briser le rêve ?
Attention à l’excès de confiance
L’excès de confiance. Or, l’enthousiasme est fondamental. Nous avons besoin « d’y croire ». Il n’est pas question de devenir des « tueurs de rêves », des propagateurs de peurs. À quel moment risque-t-on de basculer dans un excès de confiance rendant aveugle aux problèmes à venir ?
Voyons quelques exemples pratiques, à l’aide de phrases entendues.
« Faisons confiance, on se lance sans avoir le budget nécessaire mais il va bien se passer quelque chose, si on y croit, il n’arrivera que du positif. » Certes, mais la sagesse voudrait qu’on ajoute à cette sentence : « Cherchons quand même une solution de rechange, au cas où… » Prévoir le pire n’est pas un manque de confiance mais une marque de maturité. La Fontaine nous l’a dit : « Aide-toi, le ciel t’aidera. »
« À quoi bon faire un contrat entre nous ? On verra au fur et à mesure. » Aujourd’hui, tout va bien dans le groupe, on s’apprécie, on s’entend bien, c’est du solide. Mais demain ? Si l’un des couples se sépare ? Si quelqu’un, pour une raison grave et personnelle, change d’avis ? Notre expérience de la médiation nous l’enseigne : quand un problème surgit dans son acuité, les amitiés n’y survivent pas toujours… La solution ? Clarifier les échanges, expliciter les contrats, savoir quelles sont les conséquences financières et juridiques de nos choix. Se faire confiance dans la lucidité.
Anticiper les limitations liées à l’âge
« On est tous en bonne santé, on a une bonne hygiène de vie, il n’y pas de raison que cela cesse. » Ce n’est pas être pessimiste que d’envisager l’apparition, à partir d’un certain âge, de soucis de santé venant contrarier notre vie. Autant s’en parler. Se dire comment on peut compter sur l’autre et surtout, jusqu’à quelle limite, permet d’évacuer cette angoisse. Ainsi, dans un groupe où une dame assez âgée prévoyait pour elle un habitat sommaire avec poêle à bois, les autres membres ont pu lui exprimer leur inquiétude pour le jour où elle perdrait de l’autonomie dans cet habitat nécessitant des efforts physiques. Ce langage de clarté permet de construire des solutions.
Méfions-nous aussi de la surestimation de nos capacités, matérielles et physiques. Un chantier peut épuiser et provoquer des disputes, surtout s’il traîne en longueur. Avoir suivi un stage de construction ne donne pas le savoir-faire pour diriger un chantier ; posséder quelques bribes de droit ne permet pas d’écrire des statuts juridiques ou des contrats ; vouloir à la fois construire, créer, développer, s’investir localement, jardiner, etc., c’est simplement parfois trop d’étapes en même temps. Ainsi, il est recommandé de s’évaluer lucidement, selon notre âge et nos occupations professionnelles et familiales.
Rester modeste et soigner la communication
Méfions-nous encore des comparaisons. On lit, on rencontre, on nous parle d’autres groupes qui font tout « super bien ». Mais nos échanges confidentiels montrent parfois une réalité plus nuancée… Comme dit la sagesse, « tu trouveras toujours plus grand et plus petit que toi ». Un idéal trop ambitieux décourage. Abstenons-nous de l’orgueil, un modeste projet bien ficelé, correspondant grosso modo ce que chacun·e attend, est une réussite dont il faut se réjouir. Apprenons à être souples et à laisser de côté les regrets et la perfection.
Enfin, il est nécessaire de réfléchir à nos façons de communiquer. Le découragement vient de réunions interminables, d’une incapacité à prendre des décisions, de remises en cause incessantes, de prises de pouvoir, d’incompréhensions et de malentendus. La « médiation de projet » peut s’avérer utile dès le départ. Quelques réunions positionnées aux étapes aident à y voir clair, à parler d’argent, à travailler ensemble avec les différences, à lever les malentendus.
Livre : Marthe Marandola, Geneviève Lefebvre,
Cohabiter pour vivre mieux,
Jean-Claude Lattès, 2009, www.aegalite.fr