Face à Trump et Poutine, qui ne cessent d’attaquer l’ordre international et d’entretenir des logiques de guerre, l’Union européenne se doit d’assurer sa défense par ses propres moyens et de peser de tout son poids diplomatique pour arrêter cette nouvelle course aux armements.
Les enjeux de la dissuasion nucléaire sont particulièrement décisifs pour notre défense commune et ne peuvent faire l’économie d’un large débat public. L’UE doit présenter un front commun en faveur d’une dénucléarisation progressive et durable du continent européen, en jouant des rapports de force.
Dans un bras de fer entre la Maison-Blanche et Berlin, les États-Unis menacent en effet de retirer le système de partage des armes nucléaires (nuclear sharing), installé sur le sol européen pendant la Guerre Froide. (1)
Vers une bombe atomique européenne…
En conséquence, nous avons assisté à la levée du tabou de l’Eurobombe, dont l’idée avait été conçue en Allemagne de l’Ouest dans les années 1950. Certaines voix vont même jusqu’à plaider pour l’adoption d’armes de dissuasion nucléaire par l’Allemagne. En effet, le réchauffement des relations entre les États-Unis et la Russie pourrait inciter des pays comme l’Allemagne — ou la Pologne — à développer leur propre système de dissuasion nucléaire. Pour d’autres, le couple franco-allemand ferait un bon candidat pour prendre cette lourde et coûteuse responsabilité, assumée aujourd’hui par les États-Unis. Cette option, qui permettrait à la France de moderniser son arsenal nucléaire sans en supporter le coût exorbitant, pourrait séduire le président Macron et la chancelière Merkel, soucieu·se d’asseoir leurs ambitions européennes.
… Ou vers la dénucléarisation ?
Ces scénarios ne doivent pas nous empêcher de remettre en question l’efficacité stratégique de la dissuasion nucléaire, dont les dispositifs ont contribué à la militarisation permanente de nombreux territoires européens, comme aux Pays- Bas, en Belgique, en Allemagne et en Italie, où sont encore stationnées 150 têtes nucléaires américaines.
Alors même qu’il est question d’imposer de nouvelles armes nucléaires sur le continent, il n’est pas raisonnable que ce type de décisions soit pris exclusivement par les détenteurs de ces armes et non pas par ceux qui paient pour les entretenir, les loger et les conditionner.
Le débat sur le remplacement du parapluie nucléaire américain par une coopération franco-allemande, voire européenne, doit donc être perçu comme une fenêtre d’opportunité historique pour obtenir des États-Unis et de la Russie le retrait des stocks d’armes nucléaires prépositionnées en Europe. Cette stratégie de dénucléarisation préventive avait été esquissée au début de la Guerre Froide, dans le plan Rapacki, pour éviter la nucléarisation de l’Europe Centrale.
Ce débat est un test de crédibilité supplémentaire pour l’autonomie stratégique de l’Union européenne, à condition d’être inscrit dans l’horizon d’un monde sans armes nucléaires, souhaité par le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires, dont l’adoption en juillet 2017 n’a pas encore permis d’infléchir la position de nombreux pays européens, comme la France et l’Allemagne.
(1) Le partage nucléaire désigne le fait qu’environ 150 bombes nucléaires étasuniennes sont positionnées dans certains pays tels que la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et la Turquie, dans le cadre du « bouclier atomique » de l’OTAN. En cas de guerre, ces pays peuvent utiliser ces bombes atomiques avec leurs propres avions, en lien avec l’US Air Force présente sur place (NDLR).