Les koudous ont, bien malgré elles, ouvert notre regard sur les arbres. Quand on a tenté d’élever ces antilopes, on les a retrouvées intoxiquées par leur menu habituel : les feuilles d’acacia. L’énigme a été finalement résolue par le professeur Van Hoven, de l’université de Pretoria : au moment où les acacias étaient broutés, ils se protégeaient en fabriquant des tanins toxiques et passaient le mot à leurs voisins en émettant un gaz qui, porté par le vent, permettait aux autres acacias d’anticiper l’arrivée des antilopes. Les arbres communiquent : cette découverte révolutionnaire, il y a une trentaine d’années, a stimulé la recherche et, depuis, les arbres ne cessent de nous surprendre.
Les gaz, couteaux suisses des arbres
On sait maintenant que le mode de communication adopté par les acacias est utilisé d’une façon commune par les arbres. Ces gaz, qui font le bonheur de nos narines dans les huiles essentielles, sont de la famille des composés organiques volatils. Ils sont en quelque sorte les couteaux suisses des arbres : leurs usages sont très différents et très nombreux. Ils donnent des messages d’alerte, permettent d’économiser l’eau, repoussent des insectes dérangeants ou en attirent d’utiles. Ils permettent même d’apporter de la pluie ! Parmi ces gaz, les terpènes (1) émis par les arbres, plus particulièrement les conifères, s’élèvent dans les hauteurs de l’atmosphère, où ils contribuent à épaissir les nuages au-dessus des zones boisées, ce qui favorise la condensation des gouttelettes d’eau. Cette fonction spectaculaire mériterait de reconnaître aux arbres le rang de grands gardiens du climat.
Ces composés organiques volatils ont malheureusement une fâcheuse tendance à brûler ; les cyprès l’ont sûrement compris. Francis Hallé (2), brillant ambassadeur des arbres qui en a pressenti bien avant l’heure les facultés étonnantes, explique qu’après de grands incendies, en Espagne, on a découvert que les cyprès ne brûlaient pas. Leur parade est magistrale : sous l’effet de la chaleur, ils se séparent de tous leurs composés momentanément encombrants. Ainsi, ils alertent leurs congénères placés sous le vent, c’est-à-dire dans le sens où avance l’incendie. Ils ont ainsi le temps de bien se préparer et, à son arrivée, le feu rencontre des « sacs pleins d’eau » qui essuient l’incendie sans dommage, tout en ayant bien sûr alerté d’autres cyprès.
Le Conseil de l’industrie forestière du Québec affirme que non seulement les arbres en milieu urbain remplissent des fonctions écologiques et thérapeutiques, mais qu’ils peuvent aussi contribuer à notre confort et notre sécurité, voire jouer un rôle social, esthétique et même économique.
La fonction de purificateur d’air est peut être la plus connue de l’arbre. Mais les arbres participent aussi à l’équilibre psychique des citadins et des citadines, en leur fournissant un endroit à l’abri du stress de la ville, leur permettant le ressourcement, a détente, le retour à leur espace vital.
La présence d’arbres en ville exerce également un effet thérapeutique important, qui a pour conséquence de réduire les risques de certaines maladies comme les malaises respiratoires, les faiblesses cardiaques — grâce à ses fonctions purificatrices —, les coups de chaleur, les cancers de la peau — grâce à son feuillage prodiguant de l’ombre.
Le biologiste japonais Qing Li promeut la sylvothérapie, méthode reconnue comme scientifique depuis 1927, comme un médicament naturel miraculeux. Grâce à des bains de forêts (shirin-yoku), ce professeur a observé chez ses patient·es, entre autres, une diminution du stress, une régulation positive du rythme cardiaque, une diminution de l’arthrose, de l’insomnie, etc. Selon lui, les effets positifs s’observent dès la première heure de balade en forêt.
Dans Du bon usage des arbres, Francis Hallé renchérit en vantant les bienfaits parfois méconnus de l’arbre en ville. Selon les enquêtes qu’il cite, les violences urbaines dépendent en partie de ce que l’on voit depuis son logement. « Le mécanisme impliqué tiendrait à la fatigue mentale : environné par le béton, on est incapable de se concentrer, tandis que [celles et] ceux qui ont la chance de pouvoir flotter sans but sur les frondaisons reposent leurs yeux, échappent mieux à la fatigue mentale et renouvellent leur capacité d’attention. » La connivence entre les arbres et les humains s’avère sans cesse plus riche, comme des souvenirs de nos origines arboricoles qu’il ne faudrait pas malencontreusement enterrer.
Li Qing, Shinrin Yoku, L’art et la science du bain de forêt, éd. First Éditions, 2018, 320 p., 17,95 €
Francis Hallé, Du bon usage des arbres, éd. Actes Sud, 2011, 96 p., 14,20 €
Un réseau souterrain de communication
Depuis la parution du livre de Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres, leur faculté de se relier aussi par les racines est bien connue. Les champignons, dont nous apprécions la partie visible dans nos omelettes, sont surtout constitués de mycélium, un réseau souterrain de filaments qui s’est révélé être un outil de ces échanges. Les racines des arbres sont connectées au mycélium des champignons par des mycorhizes : ce lien permet aux arbres de transporter des nutriments ou des messages chimiques sur de longues distances. Les échanges peuvent se faire entre des arbres d’espèces différentes, comme l’a montré la canadienne Suzanne Simard ; de même, un arbre peut aussi faire preuve de favoritisme envers les individus issus de ses propres graines, ce qu’a montré l’écossais Anthony Trewavas. Les champignons, quant à eux, profitent des sucres fabriqués par les arbres : cet échange de bons procédés enrichit tout le monde.
L’arbre fait aussi preuve de capacités de perception. On sait par exemple qu’il reconnaît certaines couleurs, sent le vent, perçoit son équilibre. Et il s’adapte en tirant les leçons du passé. À tel point que l’on parle aujourd’hui d’intelligence des arbres. Ce mot fait encore controverse, comme à chaque fois qu’on pousse l’analogie entre ces êtres si différents que sont arbres et humains. Ce n’est pourtant qu’une question de définition du terme intelligence, définition dans laquelle l’homme est à la fois juge et partie, comme le souligne Francis Hallé.
La passiflore et le bambou
Francis Hallé nous raconte une expérience qui implique l’existence de ces facultés de perception, de mémorisation et d’apprentissage : quand on place un bambou près d’une jeune pousse de passiflore, celle-ci envoie une vrille vers le bambou pour s’y accrocher. Si on déplace le bambou avant que la vrille atteigne son but, la passiflore décale sa vrille vers le nouvel emplacement du bambou. Mieux : après cinq ou six déplacements du bambou dans la même direction, la passiflore anticipe la manœuvre en modifiant le prochain lancé de vrille, avant même que l’on ait fait bouger le bambou. Bref, si la plante n’est pas intelligente, elle n’est certainement pas stupide !
La sagesse des anciens
Une performance largement méconnue et non moins spectaculaire des arbres est leur longévité. Nous avons tendance à estimer comme anciens des arbres centenaires. À cet âge, pour beaucoup d’espèces, ce ne sont pourtant que des gamins. Un chêne peut vivre plus de mille ans, un olivier ou un ginkgo biloba plus de deux mille ans. Il existe en Californie un pin bristelcone qui dépasse les cinq mille ans. Phénoménal, et pourtant c’est encore loin de ce qu’un arbre peut faire. En se régénérant à partir de ses racines, un peu à la façon d’un bouturage, l’arbre crée des colonies clonales : des ensembles d’arbres issus du même individu, qui utilisent le même réseau de racines tout comme le même génome, remis à neuf chaque printemps. Une colonie clonale de houx royal, en Tasmanie, a été datée d’une façon fiable à 43 000 ans d’âge. Le record appartiendrait pourtant à une colonie clonale de peupliers, espèce dont chaque individu dépasse à peine la centaine. La colonie, nommée Pando, dans l’Utah, avoisinerait les 80 000 ans. Ce chiffre est une estimation délicate : les extrêmes varient entre quelques milliers et… un million d’années. De quoi avoir de l’humilité devant ces êtres incroyables que sont les arbres.
(1) Ce sont des hydrocarbures présents dans les végétaux, dont ils sont souvent les constituants « de senteur » (térébenthine, camphre, menthol, citronnelle). Certains jouent un rôle biologique important (hormones, vitamines).
(2) Francis Hallé, botaniste et biologiste, est spécialisé en écologie des forêts tropicales humides et en architecture des arbres. C’est un fervent défenseur des arbres. Il a notamment publié Éloge de la plante, pour une nouvelle biologie, Le Seuil, 1999 et Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud, 2005, prix « Homme et botanique ».
L’auteur de Titeuf réalise ici une fable écologiste qui s’appuie sur les récentes découvertes faites autour de la communication des arbres. Dans un laboratoire de recherche en Scandinavie, un professeur ayant les traits de Francis Hallé, célèbre biologiste, constate que les arbres évacuent leurs gaz inflammables en cas de détection d’un incendie, pour éviter de brûler à leur tour. De drôles de champignons apparaissent dans les forêts étudiées et les animaux ont des comportements de plus en plus étranges. Le professeur émet l’hypothèse que les dinosaures ont été asphyxiés par les arbres. Et soudain, un autre laboratoire découvre que cela pourrait se reproduire avec les humains qui détruisent les équilibres naturels. Le titre fait allusion à une chanson des Doors que le chercheur écoute à tue-tête.
Prémonition ?
Éd. Rue de Sèvres, 2018, 90 p., 19 €