Les femmes qui ont pris les armes au nord de la Syrie pour combattre Daech sont de plus en plus médiatisées. Nous commençons à connaître les YPJ, ces 26 000 femmes assemblées en une organisation militaire kurde créée en 2013 par le Parti de l’Union démocratique (PYD) qui contrôle la Fédération de la Syrie du Nord, une région soustraite à l’emprise du régime d’Assad. Ces organisations sont classées « terroristes » par la Turquie mais soutenues par la coalition internationale dans le cadre de la lutte contre Daech.
Les femmes combattantes kurdes sont de plus en plus transformées en icône dans certains films ou livres – la marque H&M s’était même inspirée de leurs treillis pour dessiner un vêtement en 2014. Pourtant, leur lutte va bien plus loin que la pointe du fusil. Après des années de combat à Kobane, Raqqa ou Deir ez-Zor, après des mariages forcés, des violences conjugales et des viols, quelques dizaines de femmes épaulées par des volontaires internationalistes ont commencé à construire en 2016 un village exclusivement dédié aux femmes : Jinwar (« lieu des femmes » en kurde). Cette expérience nous donne un aperçu du projet politique des femmes du mouvement kurde trop méconnu.
Un village construit par des femmes pour les femmes
Outre un contexte géopolitique très tendu (le hameau est coincé entre la Turquie d’Erdogan, la Syrie d’Assad et les résidus de Daech), la spécificité du village réside dans le fait que les femmes qui le construisent mettent en pratique la « jinéoloji », « la science des femmes » du mouvement de résistance kurde. Jinwar suit les principes du confédéralisme démocratique (théorisé par Öcalan qui s’est inspiré de Murray Bookchin) qui propose un mode de vie autonome et harmonieux avec la nature. Ce n’est pas seulement un lieu de refuge pour les femmes qui continuent à être oppressées quand bien même la constitution de la Fédération impose la parité dans toutes les assemblées et institutions politiques. Jinwar interdit la polygamie, les crimes « d’honneur », et garantit les mêmes droits d’héritage aux femmes et aux hommes. Le mouvement des femmes kurdes a bien conscience qu’il faudra des années et des années de lutte contre le patriarcat pour que les mœurs se transforment et qu’elles puissent concrètement jouir des mêmes droits que les hommes.
Jinwar défriche un espace pour que les femmes puissent se sentir en sécurité (les hommes ont le droit de venir aider en journée mais doivent partir la nuit), panser leurs plaies collectivement, mais aussi étudier et apprendre à vivre en autonomie. Elles construisent des maisons en terre sèche (21 sont déjà terminées), plantent un verger biologique, s’occupent d’un jardin potager. Elles sont même en train de mettre en place une école pour les enfants et une Académie de femmes.
Cette communauté est ouverte aux femmes du monde entier. Pour l’heure, l’objectif est de terminer les premiers travaux le 25 novembre 2018, journée de lutte internationale contre les violences faites aux femmes, soit deux ans après les débuts de l’installation qui avaient commencé symboliquement à cette même date.
Chaque mois, retrouvez dans cette chronique un lieu habité dans un esprit féministe.