C’est à Lyon, cours Vitton, que s’est installé Prairial, la première coopérative bio de France. Pour y participer, il suffisait d’adhérer pour l’année et d’acheter une ou plusieurs actions. Une fois devenu·e membre, il était possible d’acheter les produits (ensuite accessible à toutes et tous), d’obtenir une voix dans les prises de décisions (quel que soit son nombre d’actions) et surtout de filer un coup de main ! Tout le monde passait un coup de balai, mettait en rayon, fabriquait des sirops et du confit de sésame, ensachait les thés et tisanes, préparait les commandes, accueillait les clients, tenait la caisse…
La coopérative pour idéal
Une vision très politique animait tous les membres, plutôt libertaires, le bio n’étant qu’un prétexte. Le but, c’était “changer la société !”. L’aspect coopératif primait. A sa création, un petit groupe s’était réuni autour d’un homme : Jacques Bonnefond. Il était “relativement idéaliste, assez militant”, se souvient François, coopérateur des premières heures. Il explique que Jacques a vu naître “son bébé” grâce au soutien “d’un petit entrepreneur de Tarare qui avait un peu de sous”. La réclame de l’époque scandait : “Ouvert les jours de ‘fêtes’ militaires et religieuses...M’enfin.” La lutte antinucléaire y avait aussi toute son importance. Prairial a entretenu des liens étroits avec, notamment, le comité Malville de Villeurbanne.
En 1973, la coopérative déménage rue du Dauphiné. Ça tourne bien, trop bien même… Avec au plus fort 1500 coopérat·rices, Prairial est devenue si grosse qu’elle peine à être autogérée. “C’était difficile pour des coopérateurs de réellement s’investir, d’approcher un peu plus des pratiques autogestionnaires. T’avais pas du tout la mainmise ni sur les commandes ni sur rien du tout. […] Pour les militants, c’étaient surtout des tâches de fonctionnement, les petites mains”, explique François, qui a alors quitté la coopérative avec une dizaine d’autres personnes pour créer Alibiobio, une nouvelle coopérative bio à échelle humaine.
“Le mode d’organisation le plus difficile”
Et puis il y a ces tensions latentes, notamment avec Jacques Bonnefond, décrit parfois comme un“leader charismatique”, par d’autres comme un “gourou”… de quoi faire fuir quelques bonnes volontés.
En 1979, le premier poste salarié est créé, amenuisant un peu plus les forces vives. Les bénévoles se reposent sur le, puis les, salarié·es, qui pallient le manque de participation. La coop entre dans un cercle vicieux. Les coopérat·rices amenaient leur force de travail, illes n’amènent plus que de l’argent. Le conseil d’administration accapare le pouvoir politique et dépossède les salarié·es.
Une dualité se crée entre militantisme et contraintes du magasin. Les assemblées générales restent des temps forts mais elles n’ont plus le côté “conférence politique” des premiers temps.
Rebondir sous une autre forme
En 2013, la coopérative est liquidée pour créer la SCOP Prairial II (1). Selon Vincent, son dernier président, “la coopérative est le mode d’organisation le plus difficile”. Le contexte a aussi changé : selon lui, “un basculement” s’est effectué dans les années 1990. La demande de bio augmente, l’offre aussi, Prairial est pris dans la “bataille de la concurrence”. L’important, au départ, était “l’emballage du produit” (la coopérative, le lien social, l’éthique) ; aujourd’hui, la clientèle veut “un produit de qualité à un prix raisonnable”, explique Vincent. Sans oublier une autre difficulté : l’augmentation des règles sanitaires, notamment pour le vrac.
Aujourd’hui, la Scop compte cinq salarié·es. Autour de la table, une équipe jeune et pleine d’espoir et des anciens coopérateurs nostalgiques semblent se faire face. Le fossé générationnel paraît béant. Les salarié·es, se sentant garant·es de son histoire, souhaitent “conserver l’âme” de la coopérative et tendre vers l’autogestion.
Continuer de tendre vers l’autogestion
Sarah, employée-associée depuis 2016, a été “piquée à vie” par ce mode de gestion horizontal et “ne se voit pas revenir dans une entreprise classique”.
Dans ce nouveau marché du bio, qui “n’est plus forcément écologique”, Prairial travaille principalement avec des petit·es et très petit·es product·rices et se rapproche des Amap. La Scop est aussi associée au Groupement régional alimentaire de proximité (GRAP) (2).
Pourquoi une coopérative alimentaire autogérée devrait-elle se réunir à tous moments et pour tous sujets avant de prendre des décisions collectives ? En quoi un ou une membre, ou un groupe de membres, ne pourraient-ils pas prendre des décisions expérimentales quant au fonctionnement général de la structure ? Ouverture des portes, choix des produits, commandes, choix du banquier ou de l’assureur… Il n’est pas certain que les grandes messes collectives soient un espace où “la vérité” s’exprime le mieux.
Pourquoi une assemblée générale serait-elle, de par le nombre, un lieu capable de prendre les bonnes décisions ? Et d’ailleurs, y a-t-il de bonnes décisions ?
Un·e coopérat·rice peut très bien être capable de choisir un produit nouveau pour l’intérêt collectif comme il ou elle peut se tromper, mais une assemblée générale peut également se tromper… Toutefois, une assemblée générale engage l’ensemble des membres dans l’erreur alors que la décision individuelle n’engage que le coopérateur ou la coopératrice. Une décision collective engage un peu tout le monde et personne. Une décision individuelle engage la personne ou le groupe de personnes qui l’a prise.
(1) Société coopérative de production
(2) Cette coopérative rassemble des act·rices de l’alimentation bio locale, de la transformation à la distribution. Son objectif : fédérer confiturerie, brasserie, biscuiterie, boulangerie, chocolaterie, épicerie, etc. dans un périmètre de 150 km autour de Lyon. Elle favorise l’agriculture paysanne, l’agroécologie et les circuits courts, et soutient les terres en conversion.