Ladite « dissuasion nucléaire », avec son invraisemblable cortège de bombes, est fondée sur un ensemble d’impostures à la fois historiques et stratégiques. Elle ne peut être ni acceptée, ni rejetée, ni comprise selon une approche rationnelle. Il existe cependant, enfin, un espoir pour en sortir grâce à une nouvelle approche de ce mal et à une meilleure compréhension de ses racines.
La menace de barbarie ultime comme prétendue garantie de sécurité
La France, qui continue à se fourvoyer avec une nouvelle loi de programmation militaire 2019-2025 qui prétend accroître encore la menace nucléaire pour des décennies malgré ses engagements internationaux au désarmement, peut et doit jouer un rôle majeur dans cette rémission. Cet appel à la plus extrême violence, cette menace de barbarie ultime comme prétendue garantie de sécurité et de paix concerne l’ensemble de l’humanité, qu’il s’agisse de chacun·e de nous, de nos sociétés, de la civilisation, de notre espèce. Ladite « dissuasion nucléaire » est née à la suite d’un immense traumatisme qui fait suite à l’usage compulsif et inutile de bombes atomiques sur des populations civiles, alors que venait à peine d’être découverte la possibilité de déclencher le feu nucléaire. Les plaies restent encore ouvertes et cette tragique « stratégie » a pris la forme d’une mystique dont les manifestations contradictoires peuvent s’apparenter parfois à des troubles psychosomatiques.
Cette fausse « stratégie » est en effet construite comme la rationalisation posttraumatique du crime nucléaire originel refoulé dans l’inconscient collectif de l’humanité : falsification de l’histoire, puis construction de milliers de bombes atomiques de plus en plus puissantes, précises, projetables en tout point du globe en quelques minutes, dont l’usage de quelques-unes serait garant d’un suicide collectif d’ampleur mondiale et de destructions irréversibles de notre planète.
Simulacre de puissance
Selon l’expression d’Edgar Morin, il ne s’agit bien que d’un simulacre de puissance que la presque totalité des États a pourtant convenu d’éliminer. Les États dotés de ces armes entravent cependant cette transition et continuent à faire peser sur nous cette épée de Damoclès. Ladite « dissuasion nucléaire » qui en réalité ne dissuade rien se construisit donc sur un déni, véritable « tentation psychotique ». Pour en guérir, nous devons rechercher les fondements de cette menace, prétendue salvatrice, qui se place au sommet de toutes celles qui pèsent sur l’humanité et qui entrave lourdement leur résolution. Nous devons aussi en imaginer une thérapie adaptée. Avec l’ONU, une grande majorité de nations viennent de présenter, en 2017, un traité qui exige l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires, mais les États dotés résistent encore, au mépris de la volonté du plus grand nombre. Une autre démarche devra donc suivre, avec un véritable projet collectif de transition qui exigera que nous fassions tous le deuil de Hiroshima et de Nagasaki. Un projet sur lequel chacun·e de nous devra s’engager. La « dissuasion nucléaire » est une psychose dont nous pouvons guérir.
Annick Suzor-Weiner est professeur émérite à l’Université Paris-Sud, Vice-Présidente de Pugwash-France, membre du bureau d’IDN (Initiative pour le Désarmement nucléaire).