Et si Mamoudou Gassama, le jeune Malien naturalisé par Macron pour avoir sauvé un enfant pendu à un balcon, avait été soudanais ? Peut-être aurait-il connu les douceurs des services secrets de son pays plutôt que les ors de l’Elysée. Le 12 avril 2018, le New York Times a évoqué le cas d’un dissident politique expulsé de France et torturé à son arrivée à Khartoum, qui affirme avoir reçu la visite en France d’officiers de police soudanais. Or, officiellement, la France n’entretient pas de coopération avec le Soudan, dont le chef de l’État, Omar el Béchir, est toujours poursuivi pour « crimes de génocide » par la Cour pénale internationale.
Le 9 mai 2018, Radio France International a rappelé que, selon une enquête du site Street Press du 1er octobre 2017, ce cas est loin d’être isolé. En effet, la France "collabore activement avec le régime" de Béchir depuis 2014 : "Partage d’informations, accueil d’agents soudanais chargés d’identifier les réfugiés, et même utilisation de bases de données de la police soudanaise par les pandores français…" Interrogées par RFI, des sources élyséennes dénoncent des "fantasmes" et assurent qu’il n’existe aucune forme "de coopération opérationnelle avec le régime soudanais sur ces questions-là". Pourtant en septembre dernier, le ministère de l’Intérieur lui-même avait reconnu la présence en France "d’une mission d’identification du Soudan"...
À qui profite le crime ?
La coopération des pays européens avec le Soudan en matière de répression de l’immigration n’est malheureusement pas une exception. Le rapport Expanding the fortress du 14 mai 2018, réalisé par TNI, une ONG danoise (1), confirme les conséquences politiques de l’externalisation des frontières de l’Union européenne dans les pays voisins, notamment le développement de la coopération avec des régimes autoritaires en dehors de tout contrôle du Parlement européen. Cette collaboration s’accompagne d’une militarisation et d’une brutalisation croissante de la lutte contre les migrant·es et renforce également les tendances criminelles de nombreux régimes contre leurs propres populations. Paradoxe apparent : les ventes d’armes européennes à ces régimes "alimentent les conflits, les actes de violence et de répression, et de ce fait contribuent à l’augmentation du nombre de réfugiés".
Le rapport constate aussi que "l’augmentation des forces militaires et de sécurité européennes dans les pays tiers" et "la pression accrue sur les pays tiers pour qu’ils renforcent leurs capacités de sécurité aux frontières" ont conduit à une croissance du "marché de la sécurité en Afrique". Or, "l’augmentation des dépenses en matière de sécurité des frontières a bénéficié à un large éventail d’entreprises", comme "le géant de l’armement français Thales, qui est également un exportateur incontournable d’armes dans la région". Les contrats de conseil ou de formation profitent également à "un certain nombre d’entreprises semi-publiques et d’organisations internationales" comme la société para-gouvernementale française Civipol. Or "les groupes Thales, Airbus et Safran sont présents au capital de Civipol, qui a rédigé en 2003, à titre de consultant pour la Commission européenne, un document très influent établissant les fondations pour les mesures actuelles d’externalisation des frontières, dont elle bénéficie aujourd’hui". Et la boucle est bouclée...
Une chronique de : Survie, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil, https://survie.org