Des mouvements sociaux, on ne retient souvent que ce qui se passe en ville, à Paris tant qu’à faire, où les luttes semblent se passer sur une tête d’épingle. Les campagnes sont pourtant propices à des subversions moins évidentes. L’été venu, les militant·es des années 1970 ont ainsi expérimenté une géographie contestataire hors des espaces urbains. À plusieurs reprises, des femmes se sont rencontrées aux Circauds, lieu communautaire non-violent en Saône-et-Loire.
Deux revues, Combat non violent et La Gueule ouverte, y sont localisées. S’y déroulent aussi des formations en technologie douce, musique, danse folklorique, etc.
Venues de toute l’Europe
En 1976, des femmes du milieu non-violent, des Anglaises, des Scandinaves, des Françaises, se croisent à Copenhague dans les locaux de l’IFOR (International Fellowship of Reconciliation) et ont l’idée d’une rencontre internationale « entre femmes ». Celle-ci aura lieu du 13 au 18 juillet aux Circauds. Environ 80 femmes venant de nombreux pays d’Europe se retrouvent donc dans la campagne brionnaise. Elles ont entre 25 et 30 ans : « Beaucoup étaient des mères de famille, beaucoup aussi avaient fait l’école buissonnière du mariage en vivant en communauté de femmes, en communauté mixte, bref en rupture de famille monogamique ».
Bernadette Ridard, qui est sur place à l’époque, évoque les aspects concrets : les douches à la piscine du village ou aux douches municipales, la projection des films dont La naissance sans violence de Frédérick Leboyer à la salle des fêtes d’un autre village, les repas collectifs, etc. On discute toute la journée entre la préparation des repas. Gail Jones, une Anglaise qui participera ensuite aux luttes féministes et antinucléaires, raconte : « la chaleur sèche de juillet, une danse de la pluie, nues (et ça a marché !), des massages et des ateliers d’auto-examen et des discussions sur la contribution spécifique des lesbiennes à la non-violence ». L’expérience collective et les émotions partagées créent des liens, construisent une communauté transnationale.
« Il y avait du magnétisme dans l’air »
En 1978, l’expérience se reproduit au même endroit avec d’autres femmes. La rencontre est cette fois-ci organisée par quelques habitantes des Circauds dont Catherine Decouan, journaliste à La Gueule ouverte et militante MLF. « Étrange nuit dans la campagne brionnaise, écrit-elle […]. Venues d’ailleurs, des filles, des nanas, des femmes, des mères, des folles, des minettes, des sorcières, des mémés, des vierges et martyres, des femmes battues, des femmes fleurs, des femmes fatales, des bonnes femmes et des femmes femmes, des hystériques, des mal baisées, des bioénergisées, militantes ou pas, mais qui n’avaient pas envie de l’être. Chacune à son rythme, selon ses désirs, on a discuté sous l’arbre, grimpé dedans, ri à table, dansé autour du feu... en cercles, lieux magiques et fusionnels, qui importaient beaucoup plus que la notion de temps ».
Ces rencontres estivales folles et joyeuses ne sont guère évoquées dans les histoires officielles, fussent-elles féministes. Pour les connaître, il faut apprendre à changer d’échelle et regarder ce qui se passe juste à côté de soi.