Répété par les décideurs et complaisamment relayé par les grands médias, le discours de la prise en otage finit par être repris comme un leitmotiv lancinant dans tous les cafés du commerce.
Rappelons que cette comparaison place symboliquement les grévistes au même niveau que des gangsters ou des terroristes et qu’elle assimile les usag·ères de la SNCF gêné·es par la grève à des victimes séquestrées et parfois abattues à bout portant avec des armes.
N’y a-t-il pas un brin d’exagération ?
Ces embouteillages qui bloquent davantage que les grèves
D’autres situations quotidiennes ne font jamais l’objet d’exercices d’indignation collective alors qu’elles ont des effets au moins équivalents en termes d’impacts. Que l’on songe un instant aux bus des grandes agglomérations qui transportent des centaines de milliers de personnes chaque jour de l’année. Le constat est d’une telle banalité qu’on ne le remarque même plus : passé le creux du milieu de journée, les bus se trouvent bloqués dans la circulation automobile. Entre le trajet qu’un bus effectue à minuit et le même trajet entre 15h et 19h, le temps de déplacement peut doubler [1]. Cet état de blocage est dû à l’omniprésence des automobiles qui, en accaparant l’espace urbain, le privatisent à leur profit [2]. Nul préavis de grève et nul discours social ne vient accompagner ce blocage des transports en commun : simplement la petite musique endormante du capitalisme du quotidien.
Une ville où les automobiles seraient rares verrait ses réseaux de bus acquérir une vitesse et une efficacité impressionnantes.
La pollution ne prend pas en otage…elle tue
Nous pouvons extrapoler cette réflexion au-delà de la seule fluidité du trafic des transports collectifs. Considérons les pollutions atmosphériques liées à l’usage de l’automobile en ville. Les victimes de ces pollutions ne choisissent pas de les subir. Des enfants développent de l’asthme à cause des pots d’échappement. 48 000 personnes meurent en France chaque année du fait des émissions de particules fines (dont un tiers environ est dû à l’automobile) [3]. Pourquoi n’entend-on jamais dire que l’air pollué et délétère imposé dans les villes dédaigne de « prendre en otage » mais tue les plus fragiles, par milliers, chaque année ? Les enjeux sanitaires n’ont rien à voir avec une grève à la SNCF, qui jusqu’à preuve du contraire occasionne de la gêne mais ne tue pas. Idem pour les pesticides dans l’alimentation des cantines scolaires. Étrangement ici, nul ne parle de « prise en otage ». Mais il est vrai que la grève, en empêchant les travailleu·ses de circuler, bride le profit à court terme. Alors que l’asthme, les allergies et les cancers relancent la croissance économique.