Silence abordait dans son numéro de mars 2018 (n° 465) l’implication de la France dans la guerre au Yémen via ses exportations d’armement. Quelle est la situation dans d’autres pays ? Dans la plupart des États européens, on constate une augmentation des exportations d’armes en 2016 et en 2017. Le monde se militarise et l’Europe en tire profit. Les ventes d’armes à destination des pays du Moyen-OOrient sont importantes et s’accroissent. [1]
L’Europe s’enrichit grâce aux guerres du Moyen Orient
Ces ventes d’armes nourrissent les deux principaux terrains de guerre actuels de cette région du monde : la Syrie et le Yémen. Les États européens tentent de se dédouaner en s’appuyant sur les déclarations des pays acheteurs qui nient l’utilisation de leurs armes dans les conflits en cours, à l’image des Pays-Bas qui exportent des F16 [2] vers la Jordanie. L’ambassade jordanienne certifie que les F16 utilisés lors de ses interventions au Yémen ne sont pas néerlandais. Ce qui suffit à satisfaire le gouvernement.
Chaque année, des membres du Réseau européen contre les ventes d’armes (ENAAT) se réunissent pour échanger sur les actions réalisées, les constats, les stratégies et les campagnes à mener conjointement. Les 17 et 18 mars 2018, 25 membres (dont 15 femmes) d’organisations issues de 10 pays, étaient réuni·es à Lyon dans les locaux de l’Observatoire des armements.
Souvent, il est difficile de prouver à quoi est utilisé le matériel exporté. C’est généralement à partir du moment où des preuves apparaissent que le débat public émerge. En Finlande et en Italie, une controverse a éclaté sur l’implication dans la guerre au Yémen, respectivement suite aux révélations des médias sur l’utilisation du matériel finnois dans les offensives de la coalition menée par l’Arabie Saoudite, et à la divulgation de photos d’obus italiens utilisés contre les populations yéménites.
Ces compagnies qui contournent les lois
Certains pays ont adopté des législations qui restreignent la possibilité de vendre des armes vers des pays en guerre. Comble de l’hypocrisie, comme s’ils fabriquaient des armes de guerre pour ensuite ne pas les utiliser. L’imagination des industriels pour contourner ces règlements est grande. C’est le cas de l’allemand Rhein Metall qui contourne l’interdiction de vendre des armes à la coalition militaire engagée au Yémen en implantant des usines d’armement en Italie et en Afrique du Sud, pays d’où les exportations sont possibles. Des organisations allemandes lancent une campagne de désinvestissement de la compagnie Rhein Metall et se donnent pour objectif de vérifier que les restrictions imposées aux industries d’armement sont effectivement respectées. Elles sont en lien avec des organisations italiennes pour contester l’implantation d’usines germaniques dans ce pays.
Les stratégies d’opposition aux ventes d’armes sont multiples
Les organisations qui composent le réseau ENAAT sont multiples par leurs histoires militantes et leurs contextes nationaux. Elles ont adopté des stratégies diversifiées pour s’opposer aux ventes d’armes de leurs pays respectifs.
Les attaques en justice contre les irrégularités et le non-respect du droit national ou international par les industries ou les gouvernements, sont utilisées dans plusieurs pays mais le constat est que ce sont des démarches généralement très lentes et très coûteuses, pour des résultats très incertains.
En Belgique, la présence à Bruxelles d’institutions européennes a amené les organisations à s’attaquer au lobby de l’armement (notamment l’Agence de défense européenne) par des perturbations de réunions entre autres.
En Finlande, le moment des élections est mis à profit pour tenter de créer le débat à l’heure où les politiques de Défense sont mises sur la table.
En Suisse, le Groupe pour une Suisse sans armée a réussi à organiser un référendum d’initiative populaire pour interdire le financement de l’industrie d’armement, en réunissant 100 000 signatures. Cette initiative a été rejetée. Il a lancé en 2017 une nouvelle collecte de signatures jusqu’à octobre 2018 avec le même objectif [3].
En Grande-Bretagne, le milieu universitaire a été particulièrement actif ces dernières années. Les étudiant·es de 12 campus ont dénoncé les ventes d’armes et le militarisme de manières variées. En Norvège, les organisations anti-armement ont organisé une grande conférence sur les exportations de drones à l’université d’Oslo.
En Espagne, une campagne s’est attaquée à l’industriel de l’armement Indra et a notamment permis que l’Église catholique catalane désinvestisse de celle-ci
Relocaliser le débat
Si le débat sur les politiques de défense est majoritairement national, plusieurs organisations voient un intérêt à travailler de manière plus locale.
C’est ce qu’a fait durant de nombreuses années l’organisation belge Vredesaktie, qui a organisé des actions de « bombspotting » consistant à occuper massivement et illégalement les bases militaires de l’OTAN basées en Belgique pour y rechercher des bombes…
Les activistes italien·nes ont réalisé de leur côté une carte des industries d’armement par région. « Cela permet de repérer quelles sont les régions qui produisent quelles armes, en quelle quantité, et comment celles-ci sont utilisées. C’est quelque chose qui parle aux gens parce que c’est local, ils se sentent plus facilement concernés », témoigne l’un d’eux.
Des activistes de Norvège ont créé des groupes locaux dans les villes où sont installées les industries d’armement et où celles-ci procurent de nombreux emplois. « C’est difficile » mais le débat qui en résulte est intéressant.
En Espagne, des groupes travaillent à multiplier les « villes libérées de l’industrie d’armement ». Ce statut est purement déclaratif mais a pour les habitant·es une valeur symbolique et souligne leur volonté de ne pas engager leur responsabilité dans ce commerce mortifère.
L’Europe joue aujourd’hui un rôle majeur dans la militarisation du monde à travers la production et le commerce des armes. Les passerelles qui se construisent au niveau du continent ne peuvent que renforcer le combat, pour l’instant hautement inégal, que livrent des organisations en faveur de la paix contre les États et l’industrie d’armement.
■■ ENAAT,
Quaker House, Square Ambiorix 50, 1000 Bruxelles,
tél : +32 2 234 30 60,
http://enaat.org.
■■ Observatoire des armements,
187 montée de Choulans, 69005 Lyon,
www.obsarm.org.
■■ Agir pour la Paix,
35 rue Van Elewyck, 1050 Ixelles, Belgique,
tél. : +3226485220,
http://agirpourlapaix.be.
■■ Groupe pour une Suisse sans armée,
Postfach, 8031 Zürich, Suisse,
tél. : 044 273 01 00,
www.gsoa.ch.