Dossier Environnement transports vélos

Petit tour des tours militants à vélo

Anaïs Zarkaoui

Quelles sont les raisons qui poussent des mouvements écologistes et des associations à enfourcher leur bicyclette pour s’engager dans une aventure à vélo ? Quels sont les atouts de cette forme d’action collective et quelles sont les difficultés rencontrées ? Silence a mené son enquête auprès de Terre d’Ancrages, la Psycyclette, Alternatiba, Cyclo-biblio et l’AlterTour.

Pour l’AlterTour et Alternatiba, écologistes dans l’âme, militer à vélo est avant tout une question de cohérence. Selon Rémi Donaint, d’Alternatiba, "c’est un super exemple de pratique minoritaire accessible et saine, dont la généralisation contribue à construire un monde plus durable. Pour aller à la rencontre de milliers de personnes engagées contre le dérèglement climatique, le vélo s’est imposé comme le moyen de transport approprié." Pour Mathieu Fromont, coordinateur de l’AlterTour, le vélo est le moyen "le plus cohérent avec nos idées et qui permet de faire beaucoup de kilomètres en peu de temps".

AlterTour
Année de création : 2007
Thématique et objectifs : mettre en lumière des alternatives à un mode de société qui promeut le dopage généralisé : forte dépendance aux énergies fossiles et au nucléaire, intrants chimiques de synthèse et OGM dans l’agriculture productiviste, dopage de l’économie. Aller à la rencontre des personnes qui montrent qu’un
autre modèle est possible : recycleries, personnes qui se regroupent pour produire de l’énergie alternative, écolieux, gens qui construisent des maisons passives. Tout ce petit monde fait la démonstration qu’on peut faire autrement, à l’échelle individuelle ou collective.
Nombre de participants : 330 en 2017 (120 en 2008), dont 58 % de femmes.
Âge moyen : 37 ans, avec des nouveaux-nés et des gens de 79 ans - mais une belle bande de trentenaires.
Prochaine édition : du 14 juillet au 26 août 2018 d’Amiens à Strasbourg.
Contact : www.altercampagne.net

Créer la surprise et attirer la sympathie

L’un des atouts mis en avant est la convivialité. Pour Lara Jovignot, ancienne présidente de la Cyclo-biblio, tour à vélo qui permet à des bibliothécaires de
se rencontrer et de remettre les bibliothèques au cœur de l’agenda politique, le vélo permet "de sortir des bureaux". En outre "l’utilisation du vélo assure la visibilité de l’événement, crée la surprise et attire la sympathie de la population. Si la dimension informelle et collective de Cyclo-biblio en fait son originalité, sa visibilité et sa convivialité assurent un impact maximal sur les publics cibles."
Pour Claire Lejeune, présidente de Terre d’Ancrages, association qui accompagne des personnes migrantes, le vélo est "le moyen de transport le plus écologique, le moins coûteux, le plus sain et le plus propice aux échanges. Un des objectifs de la Caravane Terre d’ancrages qui s’est déroulée en 2016 était de véhiculer une image positive d’un authentique ’vivre ensemble’. Pédaler ensemble crée des liens forts : c’est propice aux longues discussions, il y a des galères au cours desquelles on doit pouvoir compter les un·es sur les autres."
Enfin Michel Lacan, l’un des initiateurs de la Psycyclette qui rassemble personnes en situation de handicap psychiques et encadrant·es, raconte que le tour est né presque par un concours de circonstances, lorsqu’en 2014 un appel à projets a fait suite à une campagne pour que la santé mentale soit déclarée "Grande cause nationale". "Étant à la fois délégué régional à l’UNAFAM Midi-Pyrénées et pratiquant le cyclotourisme, l’idée de coupler ces deux activités pour porter la cause des malades psychiques est venue. J’ai donc proposé un trajet significativement représentatif au plan sportif, reliant Toulouse à Paris en huit jours, ouvert aux malades psychiques avec un accompagnement ad hoc."

La journée type sur un tour à vélo

Il existe deux écoles : le pédalage toute la journée ou du vélo le matin seulement (comme l’Alter-Tour) pour faire autre chose l’après-midi. Mais dans tous les cas, le départ se fait tôt le matin, et des temps de rencontres sont organisés lors des étapes. Les temps d’étapes peuvent prendre des formes diverses : chantiers collectifs après un repas partagé avec l’accueillant·e pour l’AlterTour, temps de plaidoyer pour la Cyclo-biblio (visites de bibliothèques et actions de plaidoyer de rue) ou les Psycyclistes, qui demandent à être reçu·es en mairie. Alternatiba organise des animations et des vélorutions deux fois par jour.

Cyclo-biblio
Année de création : 2014
Thématique et objectifs : La cyclo-biblio est à la fois une conférence informelle de professionnel·les et une campagne de plaidoyer à vélo. Des bibliothécaires visitent les bibliothèques tout en échangeant entre collègues pour enrichir leurs connaissances et comparer leurs pratiques. Ils et elles font la "vélorution" des bibliothèques, pour montrer la valeur de ces lieux. Dans un contexte de réduction des budgets et des effectifs, leur volonté est de remettre la bibliothèque au coeur de l’agenda politique pour lui permettre de remplir ses missions avec des moyens appropriés, d’interpeller des décideurs tout en mobilisant leurs électeurs. L’enjeu est de gagner le soutien de la population.
Participant·es : Selon les éditions, entre 50 et 100 personnes, bibliothécaires ou personnes qui fréquentent les bibliothèques, avec une proportion de 50-50 entre les hommes et les femmes.
Prochaine édition : du 2 au 7 juin 2018 entre Angers et La Rochelle.
Contact : www.cyclingforlibraries.org/cyclobiblio

Le soir, des débats, des animations ou une soirée festive sont organisés sur l’AlterTour et Alternatiba. Cela peut être plus divers ou informel, comme avec Terre d’Ancrages dont les soirées étaient "entièrement différentes selon les étapes : prises de parole, repas souvent bien copieux fourni par la ville ou l’association accueillante, moments de partage et d’échange."

Le temps file et les pentes sont raides !

Parmi les limites et les difficultés rencontrées, Psycyclette et Terre d’Ancrages pointent tous deux le temps, à gérer au mieux. Claire Lejeune confie que cela apporte "un peu de pression, du moins pour l’équipe organisatrice" qui doit "veiller à ce que la soirée ne se termine pas trop tard pour se lever relativement tôt le lendemain, limiter le nombre et la longueur des pauses afin de ne pas arriver trop tard à l’étape du soir". Ce qui lui a parfois donné l’impression "que cela nuisait aux temps de rencontre et de partage".
Les autres équipes témoignent de difficultés différentes. Pour l’AlterTour c’est la frustration de "ne pas pouvoir rencontrer tout le monde (…). On doit faire des choix". Devoir refuser des participant·es est une autre source de frustration : "On a décidé d’accepter 60 personnes par jour, c’est le maximum au niveau logistique."
Lara Jovignot se moque malicieusement des difficultés créées par l’administration française. La gestion de la sécurité est quant à elle soulevée par l’équipe organisatrice de Psycyclette.
L’équipe d’Alternatiba énumère toutes les tâches à assumer : "Pédaler, entretenir les vélos, conduire un fourgon, installer et tenir un stand, assurer la conférence, répondre aux questions, donner des formations, etc". Et confesse que les vélos multiplaces emblématiques du tout à vélo Alternatiba ne sont pas taillés pour le relief. "Quand l’itinéraire quitte le plat, ça devient vraiment dur  !". Glamour mais pas très performant, le quadricycle !

Les effets secondaires de la militance à vélo

Le premier tour à vélo réalisé par Alternatiba en 2015 "a permis de marquer les esprits", estime Rémi Donaint. Mais de nombreuses personnes croyaient que le vélo était la thématique centrale "alors que le vélo est un outil, certes essentiel et efficace, pour mobiliser des territoires et des publics très divers sur le défi climatique".

Alternatiba
Premier tour à vélo : 2015
Thématique  : la justice climatique : comment enrayer le dérèglement climatique et l’empêcher de détruire notre écosystème et d’aggraver les inégalités sociales ?
Objectif  : accélérer et faire grandir ce mouvement, en valorisant des initiatives citoyen·nes (AMAP, monnaies locales, coopératives d’énergie renouvelable…) et les résistances non-violentes aux projets climaticides.
Participant·es  : 120 membres se relaient dans l’équipe de 12 cyclistes, majoritairement jeune et paritaire, à l’image des militant·es d’Alternatiba. À chacune des 200 étapes, le but est d’attirer un maximum d’habitant·es (en 2015, 60 000 personnes avaient participé au total), mais il n’y a pas de “petite” étape : les échanges peuvent être extrêmement riches même en petit comité.
Prochaine édition : du 9 juin au 6 octobre entre Paris et Bayonne.
Contact  : https://alternatiba.eu

Les différentes initiatives ont des vécus différents, mais plusieurs citent au titre des bénéfices apportés par cette forme d’action la rencontre, les mises en lien, le partage. Ainsi pendant la Cyclo-biblio "il y a une remise à plat de la hiérarchie, puisqu’un·e direct·rice de bibliothèque peut dormir avec un·e magasinier·e. Le point relevé par nombre de participant·es c’est vraiment le mélange". En effet, "point important : on est dans la fonction publique, avec des personnes qui ont passé des concours de catégorie A, B ou C".
Relever ce genre de défi apporte aussi un gain de confiance en soi, poursuit Lara Jovignot, "sur le plan sportif, mais aussi dans ce que cela demande pour aller vers les gens dans la rue. En tant que bibliothécaire on est habituellement plutôt une posture inverse : ce sont les personnes qui viennent nous voir, nous solliciter. Là il faut oser aborder les gens pour défendre notre cause." Même discours chez Psycyclette  : "Les gens prennent conscience de capacités insoupçonnées". Mais "on gagne également en confiance dans la relation entre soignant·es et patient·es."
Claire Lejeune, de Terre d’Ancrages, insiste sur les liens noués : "La rapidité avec laquelle les participant·es, qui ne se connaissaient pas et qui viennent de pays et de milieux sociaux très divers, ont créé des liens forts, a également été une source de surprise. (…) les participant·es ont gardé contact après le voyage et prennent l’initiative d’organiser des rencontres, des repas." Pendant l’AlterTour ce sont "les mises en lien entre accueillants au moment de [notre] passage" qui ont surpris. "Des initiatives qui ne se connaissaient pas préparent ensemble notre venue et continuent ensuite à travailler ensemble." Mathieu Fromont met également en avant "les échanges" pendant les chantiers collectifs, qui "sont de vrais beaux moments". Dans les bénéfices concrets, poursuit-il, il y a "les changements de vie des participant·es, petits gestes du quotidien ou vraies évolutions de pratiques (changer de fournisseur d’électricité, rejoindre le supermarché coopératif ou l’AMAP du coin, aller travailler à vélo). Sur le plan professionnel, un certain nombre de participant·es sont devenus paysans boulangers ou encore ont créé des habitats coopératifs".

Psycyclette
Année de création : 2014
Thématique  : Randonnée cyclotouriste avec participation significative de personnes en situation de handicap psychique encadrées par des soignant·es, des aidant·es familia·les et divers partenaires du monde sportif et/ou médico-social.
Objectifs  : faire connaître les troubles psychiques, lutter contre la stigmatisation et faire participer les personnes qui en souffrent.
Participant·es : 600 cyclistes sur quatre parcours différents. 17% de femmes participant à vélo. Parmi les patient·es, essentiellement des hommes de 25 à 52 ans. Le reste de la troupe est composé d’ami·es cyclotouristes et de proches de malades, notamment des adhérent·es de l’UNAFAM
Prochaine édition : 11 au 19 juin 2018, sur 2 parcours : d’Albi à Saint-Dié-des-Vosges et de Nice à Saint-Chamond.
Contact  : UNAFAM, 12 villa Compoint, 75017 Paris, tél. : 01 53 06 30 43, www.unafam.org
Être une étape dans les tours à vélo
Les tours à vélo se basent sur une équipe qui les organise longtemps en amont, assurant le suivi du déroulement et la logistique de l’événement, ainsi que sur des
participant·es enthousiastes. Le troisième élément de cette recette, ce sont les lieux qui accueillent chacune des étapes de ces tours militants à vélo.
Mathieu Fromont, de l’AlterTour, assure que "les chantiers collectifs sur les lieux–étapes sont des moments incroyables. Soixante personnes qui ne se connaissent pas vont ensemble, avec l’accueillant·e, construire un mur, des toilettes sèches, faire la traite des vaches. Les échanges pendant ce temps là sont de vrais beaux moments. Le but d’une structure accueillante est de faire découvrir son activité, et comme on est dans une dynamique d’échange, le coup de main vient en plus. Cela donne aussi du sens à notre présence à nous cyclistes, de voir le résultat de ce que l’on a fait, un mur monté par exemple. Des chantiers en attente depuis un moment, faute de temps ou de main d’oeuvre, sont parfois effectués en quelques heures grâce aux cyclistes".

"C’était surtout un moment festif et de partage"

C’est le cas de Changement de Cap, une recyclerie implantée à Rosières, en Ardèche, s’inspirant de l’accueil inconditionnel d’Emmaüs et de l’agroécologie. Le lieu, qui s’autofinance entièrement, a accueilli une étape de l’Altertour. "Notre projet c’est de construire des lieux de vie et d’accueil, des alternatives ouvertes et solidaires pour répondre à des constats écologiques et sociaux qui nous mettent en colère, raconte Guillaume, salarié. Être une étape de l’AlterTour apporte énormément d’énergie. Ça nourrit de voir d’autres personnes, d’autres visages. Ça abonde en ressources, en liens, en idées. Il est important pour nous de garder cette forme d’ouverture. Et puis c’est génial d’échanger avec tout le monde. C’est juste de l’humain, il n’y a rien à organiser, sauf la logistique du camping. Concrètement, on a proposé comme structure d’accueil un espace de campement, on a laissé le bivouac se poser. Un atelier réparation vélo a été proposé à ceux et celles qui en avaient besoin. Une buvette a été installée et une partie de l’équipe avait cuisiné. Une chorale de Terre et Humanisme est venue chanter pour l’occasion. On a eu un temps plus formel de présentation, puis on a fait la fête, avec notamment un karaoké filmé et déguisé, assez délirant. Une partie de notre équipe a dormi sur place. C’était surtout un moment festif et de partage. Il n’y a pas d’ambition extraordinaire. Les gens disent ’On vient à votre rencontre, on ne demande rien d‘autre que de vouloir discuter avec vous’. On a vu 60 tentes pousser, peuplées de gens qui ont juste envie de se connaître".

Quelques autres tours à vélos :

■■ CyclotransEurope
CyclotransEurope organise cet été sa 18e randonnée de la Transeuropéenne. Chaque année, le parcours sillonne les Eurovéloroutes afin de promouvoir notamment la Scandibérique (section française de l’Eurovélo3).
Départ de Paris le 14 juillet et arrivée à Nantes le 5 août, en passant par Dieppe, Le Havre ou encore Rennes.
32 rue Raymond Losserand 75014 Paris, www.eurovelo3.fr

■■ Écotopia Biketour
Depuis 28 ans, un collectif international organise de manière autogéré un cyclo-tour à travers l’Europe. À chaque étape, vous pourrez découvrir de multiples alternatives écologiques et militantes. Le tour est végan et les décisions y sont prises au consensus. L’édition 2018 est encore en préparation. Elle se déroulera entre mi-juillet et mi-août, de la frontière ouest franco-espagnole jusqu’au Portugal, arrivée à Porto ou Lisbonne. Des informations plus détaillées seront à retrouver sur www.ecotopiabiketour.net
tél. 07 51 06 59 04, info@ecotopiabiketour.net

■■ Les Échappées Belles de l’AlterTour
Sont organisés en parallèle à l’AlterTour, des itinéraires appelés Échappées Belles. Ils regroupent maximum 25 personnes et n’ont pas de véhicule d’accompagnement. Les parcours convergent parfois avec le tour principal et donnent lieu à des rencontres entre les deux groupes afin d’échanger sur les alternatives rencontrées.
Trois Échappées seront organisées cet été :
- en Normandie du 14 au 26 juillet, de Cherbourg à Gonesse ; dans les Vosges du 14 au 18 août, de Saint-Dié à Kingersheim ; et en Allemagne du 21 au 25 août, de Ungersheim à Kolbsheim.
- Du 17 au 26 août, l’AlterTour de l’Ain ira, pour sa première édition, à la rencontre des alternatives de Culoz à Bourg-en-Bresse. Le tour est organisé en partenariat avec la FRAPNA-Ain.
- Pour les amateurs de bière, un tour parallèle, Le BièreTour, est organisé en Lorraine du 6 au 14 août. Le petit groupe, de maximum 40 personnes, devra amener son vélo personnel et porter ses bagages.
Programme à venir sur www.altercampagne.net
Mêmes coordonnées que l’AlterTour : Co / Mathieu Fromont
7 quai de Selestat 54300 Lunéville, Tél. 06 77 59 30 92

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