Gaspard d’Allens est notamment l’auteur, avec Andrea Fuori, de Bure, la bataille du nucléaire, éd. du Seuil et Reporterre, 2017, 160 p., 12 €. Il est aujourd’hui installé dans le sud de la Meuse et consacre une grande partie de son temps à lutter contre le projet de Cigéo et à habiter et faire vivre ce territoire.
Où en est-on de la validation juridique du projet d’enfouissement de déchets nucléaires porté par l’Andra [1] ?
On est sur des temps assez longs. Le dépôt de la demande d’autorisation de création par l’Andra va être déposée en 2019. Selon le calendrier de l’Andra, la phase de construction du projet devrait démarrer en 2022, et les premiers déchets devraient arriver en 2030. Sébastien Le Cornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, propose un nouveau débat public de septembre à novembre 2018. C’est la carotte, après avoir montré la matraque avec l’expulsion du 22 février. Mais la finalité du débat n’est pas de remettre en cause le projet Cigéo, il vise à « inclure davantage » les riverain·es dans le projet. C’est un dévoiement des procédés démocratiques pour valider le projet avant 2019.
Par ailleurs, en application de la loi Bataille de 1991 [2], l’Andra a déjà construit dans les années 2000 un laboratoire de recherche souterrain. Pour l’instant aucun déchet n’est sur place et il n’y a que 1,6 km de galerie qui a été construit sur les 260 km de galeries prévues. Par contre ce qui est certain, c’est qu’ils ont commencé, sans avoir d’autorisation, des travaux préliminaires sur Cigéo : des forages, des fouilles préventives archéologiques et le défrichement d’une partie du Bois Lejuc. 60 millions d’euros par an sont investis dans le sud de la Meuse pour acheter les consciences de la population, pour préparer l’espace de la poubelle nucléaire et 3000 ha de terres ont déjà été acquis.
Quelles sont les formes de résistance à ce projet ?
À Bure, on essaie de construire une articulation entre différentes pratiques. Les identités sont poreuses, on peut être un·e élu·e et aussi un·e squatteu·se. Les citoyen·nes se mobilisent contre ce projet depuis une vingtaine d’années. Certain·es élu·es se prononcent également contre le projet. Daniel Ruhland notamment, le maire de Montiers-sur-Saulx, se mobilise contre les fausses promesses de l’Andra. Il fait le lien entre la construction du désert nucléaire et la désertification du territoire. Le dernier collège de la région va fermer, et comme le dit le maire : « à quoi ça sert de refaire des trottoirs s’il n’y a plus personne pour marcher dessus ? ». Les élu·es se sont regroupé·es dans une association, EODRA, et sont actuellement rejoint·es par des élu·es nationa·les comme Michèle Rivasi ou José Bové. L’ancien maire de Verdun, Arsène Lux, a lui lancé une pétition contre Cigéo en janvier 2018, qui a déjà recueillie plus de 30 000 signatures.
Forme originale de résistance, il y a depuis juin 2016 une occupation illégale de la forêt pour bloquer physiquement les travaux. C’est la même technique qu’à la ZAD NDDL, des gens s’installent sur place et occupent la forêt en construisant des cabanes. Cela permet d’avoir une prise face à un projet qui est démentiel.
Cette occupation a été le signe d’une montée en puissance de la résistance, avec non seulement l’occupation du Bois Lejuc, mais aussi l’installation tout autour de plusieurs personnes qui ont acheté des maisons, qui ont retapé des granges, loué des appartements… Il y a plus d’une dizaine d’installations avec une quarantaine de personnes dans les villages alentours. Ces personnes décident, au-delà de leur lutte contre ce projet nucléaire, d’inventer d’autres formes de vie plus autonomes dans le sud de la Meuse.
On ne s’est jamais appelé une ZAD. Pour nous, habitant et luttant ici, ça devient de plus en plus une étiquette médiatique, une franchise. On a une culture politique similaire avec la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais il y a une expérience singulière dans le sud de la Meuse et une lutte qu’il ne faut pas masquer. S’il faut impérativement une étiquette, comme l’Andra parle de Zone d’Intérêt pour la Reconnaissance Approfondie pour son laboratoire, nous nous sommes baptisé·es Zone d’Insoumission à la RadioActivité, la ZIRA.
Quel est l’avenir de cette lutte ?
La violente expulsion du 22 février 2018, qui a mobilisé plus de 500 gendarmes, était une opération de communication médiatique. Des personnes continuent à aller dans le bois, à harceler les forces de l’ordre, à circuler, à se promener, à faire des pique-niques et surtout à occuper la forêt. Même si la présence policière est très forte – environ une centaine de gendarmes mobiles mobilisés en permanence. Le Bois Lejuc c’est une première manche dans la bataille contre Cigeo. Ce bois, il y a l’intention de le récupérer, de différentes manières : par des recours juridiques, mais aussi par des manifestations, comme celle qui a eu lieu le week-end du 3 et 4 mars 2018. La répression s’intensifie avec une militarisation du terrain.
On arrivera à gagner cette bataille en articulant différentes manières de résister : recours juridiques, visibilité médiatique, manifestation offensive. Il y a un recours juridique qui n’a pas encore été examiné et qui conteste la propriété de l’Andra sur ce bois. Ce recours revient sur le conseil municipal du 18 mai 2017, où 6 conseiller·es municipa·les contre 5 ont voté pour l’échange du bois, alors que 4 de ces conseiller·es étaient en conflit d’intérêts avec le projet. On attend l’examen de ce recours juridique. Par ailleurs, l’Andra n’a pas le droit de défricher le Bois Lejuc, elle doit faire une étude d’impact et demander une autorisation à la préfecture, ce qu’elle n’a pas fait. L’Andra a donc été condamnée à réhabiliter la partie de la forêt qu’elle a défrichée illégalement en juin 2016. Ces recours permettent de gagner du temps.
La lutte est multi forme, elle n’est pas uniquement axée sur le bois : elle promeut aussi l’ancrage territorial. La Meuse a été choisie parce que c’est un désert social, un territoire peu habité : il y a 6 habitant·es au kilomètre carré. Notre objectif, c’est aussi de récréer une vie joyeuse et collective sur ce territoire, et lutter contre le fatalisme. Il y a des projets de fournils, de fours à pain, de maraîchage, en lien avec des paysan·nes qui sont impliqué·es sur le territoire. Il y a déjà deux hectares de terrain qui servent à faire de la farine puis du pain. 3 tonnes de blé ont déjà été récoltées !
Nous sommes à un moment décisif où il faut que la question de Bure soit sortie d’un enjeu local. C’est une des grandes luttes de territoire. Il y a besoin là aussi de rassembler plus largement, de faire des manifestations à plusieurs milliers de personnes. C’est tout l’objectif de la manifestation du 16 juin, qui doit montrer un mouvement large et déterminé, fait de multiples composantes : syndicales, paysannes, forestières, associatives et puis des collectifs d’habitant·es. Il y a aussi l’objectif de massifier le mouvement, de récupérer la forêt et continuer à s’installer sur place.
Que faire des déchets nucléaires qui existent déjà ?
Il y a trois stades de critique au projet Cigéo. Le premier stade est la critique de l’enfouissement en profondeur, qui comporte des risques intrinsèques à la méthode. Il faut trouver des alternatives pour stocker les déchets radioactifs. Cigéo, c’est une manière d’enfouir le problème : les déchets nucléaires, c’est la question inconnue de la filière nucléaire, qu’elle n’a jamais voulu résoudre. Le projet Cigéofait croire qu’il y a une solution au traitement des déchets, et donc qu’on peut pérenniser la filière nucléaire. C’est cela que l’on attaque. Cigéo, ce n’est pas une solution fiable, on préfère un stockage en sub-surface, à sec et en parallèle lancer de vraies dynamiques de recherche sur ces déchets nucléaires. La loi Bataille dit qu’il y avait plusieurs options qui pouvaient être étudiées, et finalement aucune d’entre elles n’a été examinée.
Le deuxième stade, c’est évidemment la critique du nucléaire. Cigéo est construit, proportionné pour accueillir des déchets dont 40 % ne sont pas encore produits. C’est un pari sur la pérennisation de la filière. Or, nous voulons au contraire d’abord sortir du nucléaire et ensuite se poser la question de la gestion des déchets, nous ne voulons pas travailler bénévolement pour les nucléocrates.
Enfin, le troisième stade est la critique d’une société toujours plus énergivore et inégalitaire. Il faut inventer des formes de vie plus autonomes, où l’on se réinterroge sur notre consumérisme énergétique. C’est pour nous un enjeu très important. Il ne faut pas laisser la critique au stade d’une gestion alternative de l’énergie, mais réfléchir à notre rapport au monde, à la question énergétique, à la démocratie, etc. pour proposer un autre rapport au monde, plus résilient et collectif.
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EODRA - Association des Elus de FRANCE Opposés à l’enfouissement des Déchets RAdioactifs et favorables à un développement durable
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