Silence : Comment réagissez-vous à la suppression des « petites lignes » et comment analysez-vous différemment les problèmes qui se posent sur ces lignes ?
Jean Sivardière : Selon M. Spinetta, ces « petites lignes » ne servent pas à grand chose et sont un fardeau financier pour la collectivité. Mais à aucun moment il ne s’interroge sur la faiblesse de la clientèle, alors que les routes parallèles sont souvent surchargées : il évoque ainsi ces trains « peu fréquents ET peu fréquentés ». Il fallait remplacer ET par DONC !
La faiblesse de la fréquentation, qui est loin d’être observée sur toutes les lignes régionales, n’a rien de structurel. Elle résulte de la médiocrité de l’offre (fréquences squelettiques, horaires souvent inadaptés aux besoins, correspondances mal organisées), de la vitesse insuffisante (1h10 pour parcourir les 52 km qui séparent Roumazières d’Angoulême), de la dégradation des infrastructures (les trains sont ralentis sur plus de 5 000 km de lignes), de la mauvaise qualité des services (les trains sont en retard quand ils ne sont pas supprimés).
M. Spinetta propose de confier la rénovation des « petites lignes » aux Régions, mais sans moyens financiers nouveaux alors qu’elles doivent déjà financer l’exploitation des TER (et souvent, à la demande de l’État, participer à la construction des LGV [1] ). En clair, ce serait aux Régions d’assumer la responsabilité des fermetures de lignes.
Enfin, force est de constater que, depuis les années 1920, des milliers de km de « petites lignes » ont été supprimés au détriment du maillage du réseau et des facilités de déplacement des habitants concernés, sans rétablir la santé financière du rail.
Selon vous, les conditions de concurrence sont faussées entre le train et les autres moyens de transport. Qu’entendez-vous par là ?
Le rapport Spinetta a isolé le système ferroviaire de son contexte concurrentiel alors que ce contexte joue un rôle fondamental dans les difficultés rencontrées par le rail.
Les conditions de concurrence entre le rail et les autres modes de transport sont très inéquitables. Les routes et la sécurité routière sont financées par l’État et les collectivités territoriales, les voies ferrées et la sécurité ferroviaire par la SNCF ; le kérosène consommé par les avions n’est pas taxé ; le car et le camion ne paient pas leur usage des voiries… La tarification de tous les modes de transport devrait intégrer leurs coûts économiques directs et leurs coûts externes (congestion des infrastructures, accidents, nuisances, émissions de gaz à effet de serre).
Ces conditions de concurrence expliquent largement la faible attractivité, la sous-utilisation et le manque de rentabilité du train : le trafic actuel est très inférieur au trafic potentiel. Si ces conditions de concurrence étaient corrigées, 70 % des liaisons TGV (selon la SNCF) ne seraient pas déficitaires.
Vous approuvez l’introduction de la concurrence, sous forme de délégation de service public (DSP), pour l’exploitation des trains TER, en évoquant l’exemple de l’Allemagne. Que montre la situation en Allemagne et au Royaume-Uni ?
La gestion des TER par la SNCF est catastrophique : en 10 ans, + 25 % de trains et + 50 % de voyageurs grâce aux Régions, mais + 100 % de charges pour les Régions !
Le rapport, comme la FNAUT, préconise une gestion en DSP, formule en vigueur en transport urbain dans la plupart des agglomérations françaises et qui n’a rien à voir avec une privatisation : l’autorité organisatrice conserve la maîtrise de l’offre et de la tarification, l’opérateur – public, semi-public ou privé – est un simple exploitant. Il ne faut pas identifier service public et entreprise publique.
En Allemagne, la gestion des lignes régionales en DSP s’est répandue depuis la réforme ferroviaire de 1994 et a donné des résultats remarquables.
Elle a bénéficié aux contribuables – les coûts de production des opérateurs privés sont très inférieurs à ceux de la Deutsche Bahn (DB) auparavant en situation de monopole, et la clientèle s’est élargie –, aux usagers car la qualité de service s’est améliorée et même aux cheminots, dont l’emploi s’est développé : 500 km de lignes régionales et 300 gares ont été rouverts.
La situation au Royaume-Uni est différente. L’infrastructure ferroviaire elle-même a d’abord été privatisée mais cette erreur initiale a été corrigée par Tony Blair, qui l’a renationalisée. Quant à l’exploitation, le réseau a été découpé en franchises pouvant comprendre à la fois des services régionaux et des services à longue distance, chacune est confiée à un exploitant retenu à la suite d’un appel d’offres, il n‘y a plus d’exploitant national. Depuis l’introduction des franchises, la fréquentation du train a doublé. Cette organisation n’est pas parfaite mais ses défauts sont dus principalement aux déficiences de l’État : les tarifs, trop élevés, n’ont pas été encadrés ; le réseau présente des points de saturation faute d’investissements suffisants ; la durée des contrats passés avec les exploitants est trop courte pour leur permettre d’investir sur le réseau.
Quel impact auront ces réformes sur les conditions de travail des employé·es du rail ?
La FNAUT est une fédération d’usagers des transports, mais elle ne se désintéresse pas du sort des cheminots. L’expérience montre qu’en Allemagne, les conditions de travail et les salaires sont à peu près les mêmes à la DB et chez les opérateurs privés. La principale différence est la polyvalence des tâches, très développée chez les concurrents de la DB, qui ont pu ainsi réduire sensiblement leurs coûts de production.
Le gouvernement ne tourne-t-il pas le dos à l’écologie et au climat en projetant d’affaiblir le train, forcément au bénéfice des solutions routières (cars et automobiles) ?
Le premier souci du gouvernement est de dépenser moins d’argent pour le rail et de favoriser les solutions routières (autocar, covoiturage), moins coûteuses à court terme. Son objectif, malheureusement partagé de longue date par la SNCF et repris dans le rapport Spinetta, est de se débarrasser de plusieurs milliers de km de « petites lignes ».
Son argumentation est très trompeuse. Il est exact qu’un autorail est plus consommateur d’énergie qu’un autocar. Mais si les « petites lignes » étaient exploitées correctement, comme elles le sont en Suisse ou en Allemagne, les autorails seraient bien remplis, même dans des zones de faible densité de population. D’autre part, les autocars qui remplacent les trains sont en général peu remplis, tout simplement parce que le car n’offre pas le même confort et les mêmes performances que le train : en gros, 40 % des usagers du train reprennent la voiture en cas de transfert sur route.
Quelles propositions seraient pertinentes pour développer le train tout en maintenant sa viabilité économique ?
Le voyageur a besoin d’une offre ferroviaire diversifiée : TER pour les déplacements de proximité, TGV et Intercités pour les dessertes à moyenne et longue distance des métropoles et des villes moyennes.
Le rôle du TGV a été reconnu par M. Spinetta, c’est une nouveauté par rapport au discours ambiant. Mais le seuil des 3h de trajet au-delà duquel le TGV ne serait plus pertinent est contestable : le TGV fait encore jeu égal avec l’avion pour des trajets de 4h.
D’autre part, M. Spinetta refuse toute extension du réseau des LGV, au prétexte que la réalisation des LGV a provoqué, en absorbant une trop grande part des crédits disponibles, la dégradation du réseau classique. En réalité, les mécanismes de
financement des LGV et des lignes secondaires sont différents et largement déconnectés : tout grand projet suscite un financement spécifique ; si le projet est abandonné, le financement disparaît et ne peut se reporter sur le réseau classique. C’est avec les routes que les réseaux ferrés régionaux sont en concurrence dans le cadre des Contrats de Plan Etat-Régions : s’ils se sont dégradés, c’est parce qu’on a trop dépensé pour les routes, et non parce qu’on a construit trop de LGV.
Pour qu’il atteigne l’équilibre économique, le train doit être utilisé massivement. Pour cela, un apurement de la dette, permettant de baisser les péages, est indispensable. Et les qualités écologiques du train doivent être valorisées : les autres modes, route et avion, doivent participer à son financement à travers la fiscalité écologique. Il doit aussi être mieux exploité : les coûts de production de la SNCF sont supérieurs de 30 % à ceux des autres opérateurs. Enfin l’exploitant doit être au service de l’usager, alors que la SNCF cherche à le soumettre à ses contraintes techniques ou financières.
Début mars 2018, un Collectif des salariés et usagers de la SNCF pour des transports écologistes, sociaux et gratuits, avec le soutien de l’Observatoire International de la Gratuité (OIG) dont la parole est entre autres portée par Paul Ariès, faisait connaître une liste de 10 contrepropositions au rapport Spinetta sur l’avenir du rail. Faisant valoir que le train représente 10% des trafics de personnes et de marchandises mais seulement 2% de l’énergie consommée par les transports, ils proposent :
1. Le développement prioritaire du fret ferroviaire. Le part du ferroutage est passée sous les 10 % en raison des choix politiques favorables aux transports routiers.
2. Le retour au maillage du territoire. « Nous exigeons l’abandon du projet de suppression de 9000 km de lignes et la réouverture des lignes locales abandonnées et la création de nouvelles ».
3. L’instauration de la gratuité des transports dans les TER. « Car les transports collectifs sont le seul choix écologiquement et socialement responsables, car la gratuité est la seule façon de réussir la transition écologique dans l’égalité. L’augmentation constante des tarifs a abouti en effet à écarter les milieux populaires, déjà victimes de la gentrification urbaine, du ferroviaire, TER compris ».
4. L’abandon du système hypercapitaliste de tarifs variables (yield management : fluctuation du prix des billets).
5. Le retour aux trains de nuit contre la grande vitesse. Les pays du Nord de l’Europe comme la Norvège, la Suède mais aussi l’Autriche prouvent le succès de ces trains. Le train de nuit est la meilleure alternative à l’avion.
6. La démocratisation de la SNCF avec une réelle participation des cheminots et des usagers aux choix d’équipements ferroviaires afin d’avancer vers une société des usagers maîtres de leurs usages.
7. La priorité absolue aux trains locaux sur les TGV. La SNCF doit être un vecteur de la relocalisation nécessaire. Une rame TGV coûte entre 40 et 50 millions d’euros. Une rame TER coûte entre 1,5 et 15 millions d’euros.
8. Le retour du TER au ferroviaire contre l’autobus.
9. Le maintien de la SNCF comme établissement public.
10. La défense des droits des salariés de la SNCF et d’ailleurs, contre la division créée par le pouvoir et la majorité des médias.
Observatoire International de la Gratuité,
vivelagratuite.canalblog.com
FNAUT
Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports
32 rue Raymond Losserand, 75014 Paris
tél. : 01 43 35 02 83
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