En 2011 sort, non sans mal, le film de Mathieu Kassovitz L’Ordre et la Morale sur la prise d’otage de la grotte d’Ouvéa. Pour le grand public, il met enfin des images sur cet épisode sanglant de la lutte des Kanaks pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Exécutés après s’être rendus
En 1988, des indépendantistes occupent une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa dans le cadre d’une série d’actions dans l’archipel. Les choses tournent mal puisque, contrairement aux intentions initiales des militants, plusieurs gendarmes sont tués. Le groupe d’indépendantistes garde alors en otage pendant deux semaines des gendarmes dans une grotte de l’île. L’État français réagit en déployant l’armée en Nouvelle-Calédonie. Comme le film le montre, sans qu’une chance n’ait jamais vraiment été donnée aux négociations, dans le contexte politiquement tendu de l’entre-deux tours de la présidentielle française, l’assaut est finalement ordonné sur la grotte le 5 mai 1988. 19 preneurs d’otages y sont tués, beaucoup d’indices indiquent qu’ils ont été exécutés après s’être rendus. Ce massacre marque le paroxysme des « événements » des années 80, série d’affrontements entre les Kanaks portant la revendication de leur indépendance face aux colons locaux et à l’État français. À la suite, des négociations ont alors enfin lieu, et avec les accords de Matignon-Oudinot, un processus de décolonisation progressif de la Nouvelle-Calédonie est entamé, qui doit aboutir cette année 2018 à un premier référendum d’indépendance.
« Une véritable politique de terreur qui n’est pas sans rappeler la guerre d’Algérie »
Sans surprise, l’armée française dénonce la version présentée par le film en Nouvelle-Calédonie. L’unique diffuseur, aux mains de la famille Hickson, d’ascendance coloniale, en refuse dans un premier temps la projection. En 2008, le Premier ministre de l’époque Michel Rocard avait pourtant reconnu, au détour d’une interview que « des blessés kanaks ont été achevés à coups de bottes par des militaires français dont un officier. Il fallait prévoir que cela finisse par se savoir et que cela aussi soit garanti par l’amnistie » [1].
Mais le film peut aussi être critiqué sur d’autres aspects. Ainsi, il y est peu question des différentes exactions menées par l’armée française pendant la prise d’otage contre les Kanaks à Ouvéa mais aussi au-delà. Une véritable politique de terreur qui n’est pas sans rappeler la guerre d’Algérie a été mise en place : des témoignages de sévices à la matraque électrique, de maisons brûlées, de tirs contre des villages ou de simulacres d’exécutions ont notamment été recueillis par le réalisateur Mehdi Lallaoui [2]. Des membres du FLNKS [3] ont aussi contesté la manière dont le rôle de leur organisation est présenté dans le film.
Néanmoins, comme un représentant du Mouvement des jeunes Kanaks en France le résumait récemment, « ce film a le mérite d’exister ». Il rend accessible au plus grand nombre un pan d’une histoire méconnue en France : celle de la lutte des Kanaks pour leur indépendance. En novembre 2018, ceux-ci auront finalement l’occasion de participer à un référendum local pour leur indépendance. Le moins que nous leur devons c’est de nous y intéresser et l’Ordre et la morale est une bonne entrée en matière.
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