Quels espaces de sociabilité proposez-vous au travers du jeu ? Quelles sont les rencontres possibles grâce au jeu ?
On accueille un public assez large et diversifié, enfants comme adultes. Les particuliers qui font la démarche de venir dans un lieu dédié au jeu sont très souvent issus d’un certain type de catégorie sociale, souvent relativement aisée. Travailler avec des centres de loisirs, des écoles, des établissements spécialisés, etc. permet d’aller toucher un public plus large. Arrivés sur l’initiative de leur école, plusieurs enfants reviennent par la suite avec leurs parents. On a un brassage social et culturel très intéressant. Des gens se côtoient, voire jouent ensemble parfois. Ils n’auraient pas l’occasion de faire ça ailleurs, ou alors autour d’un bac à sable. Mais souvent, les bacs à sable sont dédiés à certains quartiers.
C’est lié au support proposé, le jeu. Nous, on défend que c’est une pratique culturelle. C’est une pratique plutôt populaire, contrairement à d’autres pratiques culturelles assez connotées socialement. Les barrières culturelles sont moins importantes que dans la musique ou la lecture, on ne se sent pas forcément en difficulté. Nous proposons une gamme assez large, des jeux d’adresse très simple à des jeux plus complexes, et les gens peuvent choisir et évoluent librement.
Depuis de nombreuses années maintenant, nous proposons également des animations à l’extérieur. Quand on pose des jeux sur une place de village ou dans un quartier, on invite les personnes à se mélanger. Il existe un brassage d’individus qui, habituellement, ne se côtoient pas. Il ne faut pas non plus exagérer le sens de ces rencontres, elles ne débouchent généralement pas sur des amitiés. Toutefois, ces personnes ont la possibilité de vivre des choses ensemble en étant proches, liées au plaisir et à la convivialité de jouer ensemble. Et peut-être, on l’espère, de faire tomber certains préjugés ou clichés.
Dans une société où le jeu se veut souvent marchand, compétitif, où les jeux vidéos sont de plus en plus présents, de quels jeux parle-t-on ?
Parfois, par méconnaissance de la pratique culturelle, on attend quelque chose du jeu pour de « mauvaises raisons » qui dénaturent le jeu et sa pratique. Pour nous, est « jeu » tout ce qui a été conçu pour faire jouer, pour faire prendre du plaisir. On écarte de cette définition tout ce qui est « objet ludique d’apprentissage » — ceux-ci ont été créés pour apprendre quelque chose ou pour obtenir un certain comportement. Dans ce cas, l’objectif premier du créateur du jeu n’est pas de donner du plaisir mais d’obtenir certaines choses qui ne sont pas liées directement au jeu. On a fait le choix de ne pas avoir de jeu éducatif et, pour les jeux qui attendent un certain comportement — les jeux de coopération par exemple —, on regarde si le mécanisme du jeu est intéressant.
Les jeux de coopération marchent très bien pour la petite enfance, parce que ce n’est pas un âge où on a envie de se mesurer dans le jeu, on a plus envie de vivre une histoire. Ça permet aussi à des parents de jouer avec leur enfant et de commencer à leur transmettre des notions de stratégie, de logique, sans dénaturer le jeu. Après, à partir de 7 ou 8 ans, il faut que ces jeux soient bien conçus, parce qu’il est plus difficile de se mettre en jeu quand on a pas un adversaire direct. Les jeux de coopération fonctionnent bien avec des adultes qui se sont appropriés ces pratiques culturelles, ces codes, etc.
Coopératif ou compétitif, ce qui est important pour nous c’est le mécanisme de jeu. Après, pour le choix du thème, c’est un peu comme l’humour. Ça ne nous gêne pas que les joueurs jouent les malfrats, à partir du moment où ils ont suffisamment de recul pour savoir qu’ils sont en train de jouer. Dans la vraie vie, ces comportements sont à bannir mais ils sont drôles dans un contexte de jeu. Un acteur qui joue un méchant dans une pièce de théâtre n’est pas un méchant dans la vraie vie. Par contre, ça peut être drôle d’incarner ce personnage…
Mais le jeu présuppose quand même des règles…
Il est important de bien comprendre la nature même du jeu. C’est un espace de liberté dans lequel les joueurs se sont mis d’accord sur un cadre de règles posées. L’important, c’est que quand on joue, on accepte avec d’autres personnes de vivre et d’être soumis aux mêmes règles. Pour des jeunes, construire ensemble leurs règles,
petit à petit, demande énormément d’efforts, de concessions. C’est ça qui est important, intéressant dans l’éducation populaire et l’émancipation : on arrive à se mettre d’accord pour un jeu et après, on peut réinvestir cela dans la réalité pour se mettre d’accord, transformer son quartier ou la société. On joue pour le plaisir de jouer, c’est une attitude d’engagement volontaire. À tout moment, un joueur peut dire : « Ça m’embête, je m’en vais. » Si on veut qu’il y ait jeu et que le jeu dure, il faut arriver à faire du commun, à faire que l’on se sente bien ensemble, et que tous les joueurs, quels que soient leur personnalité et ce qu’ils cherchent dans le jeu, y trouvent leur compte. Ça, c’est assez magique, quel que soit l’âge !
Propos de Claude Carrara, salarié de la Maison des jeux de Grenoble, recueillis par Martha Gilson
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