Cette décision bafoue le parlement et la loi d’août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte. Elle se fonde plus précisément sur un scénario présenté dans la synthèse d’un bilan prévisionnel élaboré par le Réseau transport de l’électricité (RTE), filiale d’EDF montrant l’impossibilité d’atteindre l’objectif en 2025 sans doubler les émissions de CO2.
Or ce bilan, dont le détail n’est pas rendu public, ignore trois importantes possibilités de réduction des émissions de CO2. Ainsi, entaché d’erreurs [2], il n’est pas crédible dans l’évaluation de ces émissions et le renoncement devient non fondé.
Les 3 réductions d’émissions de CO 2 oubliées
1) L’oubli du solaire thermique
Pourquoi le solaire thermique n’est-il jamais cité dans le bilan de RTEalors qu’une politique volontariste de substitution énergétique réduirait considérablement les consommations d’électricité en eau chaude et en chauffage, même en hiver ?
Il est utile de comparer avec l’Allemagne où, en 2014, ont été installés quatre fois plus de chauffe-eau solaires et cinquante quatre fois plus de chauffages solaires qu’en France !
Ces apports solaires réduiraient la pointe de consommation hivernale (la France représente environ la moitié de la pointe européenne) et donc l’importation d’électricité fortement carbonée venant en particulier d’Allemagne. Négliger cette possibilité de réduction des émissions de CO2 ne vise en réalité qu’un seul objectif : bénéficier de la vente d’électricité nucléaire.
2) L’oubli du potentiel d’économies d’électricité réalisable
Les aut·rices du bilan soulignent le facteur temps pour installer des moyens de remplacement de la production annuelle d’un réacteur nucléaire de 900 mégawatts : de 4 ans pour implanter un parc solaire à 10 ans pour réaliser des interconnexions. Ces durées sont en effet importantes et présentées comme des freins pour une évolution rapide du mix électrique avec moins de nucléaire. Or seul le volet production d’électricité est pris en compte et pas du tout celui de la sobriété et de l’efficacité énergétiques.
Pourtant, le premier facteur sur lequel on peut agir, et très rapidement, est la consommation d’électricité, dont près de 70 % se situent dans les bâtiments des secteurs résidentiel et tertiaire. Il y a là un potentiel d’économies considérable sur le chauffage électrique et sur les usages spécifiques de l’électricité (éclairage, électroménager, audiovisuel, informatique). Ces économies proviendraient d’une part des comportements d’usage et d’achat et d’autres part d’équipements plus efficaces [3]. Elles réduiraient forcément les émissions de CO2.
3) L’oubli du volet stockage de l’électricité
Pour stocker la production nocturne excédentaire de ses centrales nucléaires et l’utiliser lors des périodes de forte consommation sur le réseau, EDF dispose de six STEP (station de transfert par pompage turbinage), moyen de stockage largement utilisé dans le monde. Par ailleurs, les renouvelables variables, éolien et photovoltaïque, nécessitent aussi des moyens de stockage. Prenant en compte leur croissance vertigineuse, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) prévoit une multiplication par 3 à 5 des capacités mondiales de STEP à l’horizon 2050 [4]. Il est évident que, pour éviter d’avoir recours en appoint à des centrales au charbon et au gaz, le remplacement du nucléaire par de l’éolien et du solaire doit être accompagné par le développement du stockage massif de l’électricité.
Or EDF, alors que notre capacité de stockage en masse est actuellement d’environ 5 GW (gigawatt), n’envisage, d’ici à 2030, que l’ajout de 1 GW à 2 GW de STEP [5]. C’est-à-dire une augmentation très faible comparée aux prévisions de l’AIE. Plus grave, dans le bilan de RTE ne figure aucun chiffrage de l’augmentation de notre capacité de ce stockage de masse. Alors que la plupart des grands pays ont des projets en cours dans ce domaine, nous n’en avons actuellement aucun.
Il est important de souligner qu’en utilisant simplement certains de nos barrages existants, notre capacité de stockage pourrait être multiplié par 2,8 [6], ce qui nous approcherait de la prévision de l’AIE. Augmenter le nombre de nos STEP nous permettrait de stocker davantage nos excédents, donc de supprimer l’essentiel de la
production d’appoint de nos centrales thermiques d’appoint, et leurs émissions de CO2.
Des oublis bien étranges...
Ces réductions d’émissions de CO2 ayant été négligées, le bilan de RTE surévalue de manière grossière l’impact climatique. Tout porte à croire que ce bilan non objectif a été conçu pour forcer les politiques à se plier aux exigences d’EDF.
Depuis que le problème climatique est devenu d’actualité, EDF se glorifie de produire une électricité bas carbone. Pourquoi alors ne profite-telle pas de l’occasion pour s’engager davantage dans réduction des émissions de CO2 ?
EDF aurait-elle un double langage ?
Parmi les 100 collaborat·rices qui ont élaboré en urgence ces scénarios, aucun·e ne saurait donc concevoir une transition énergétique innovante sans augmenter nos émissions de CO2 ? Nicolas Hulot a-t-il des conseiller·es scientifiques compétent·es ?
Notre surcapacité nucléaire actuelle représente la production annuelle de dix à douze réacteurs. Nous la vendons à l’étranger, tout en conservant la charge des combustibles usagés. Ainsi par exemple, une partie de notre électricité en excédent est stockée en Suisse. Nous l’achetons ensuite plus chère lors des heures de forte consommation. Ainsi, sur douze mois (juillet 2016 à juin 2017), le prix de vente moyen de notre électricité était de 40 €/MWh (euros le mégawatheure), alors que le prix moyen d’achat était de 56 €/MWh [7]. En outre, selon la Cour des comptes, son coût de production est de 62,6 €/MWh [8]. Dans ces conditions, est-ce bien pertinent d’exporter notre électricité nucléaire ? C’est pourtant ce que recommande le "scénario Ampère » du bilan de RTE !
Jean-Louis Gaby,
Ingénieur, ancien artisan solaire
http://perso.wanadoo.fr/solaire2000