Les Etats généraux de l’alimentation qui se sont déroulés du 20 juillet au 21 décembre 2017 sont venus répondre au « coup de pression » mis sur l’exécutif par le syndicat agricole majoritaire FNSEA au sujet du revenu agricole. Sur cette base s’est greffé un second volet environnemental. Le processus, qui a débuté durant l’été 2017, a suscité pour certain·es l’espoir de voir la France effectuer enfin un virage vers une transition écologique dans le domaine de l’agriculture. Les réactions des participant·es aux EGA que nous avons interrogé sont contrastées et ne brillent pas par leur enthousiasme.
Des promesses déçues
« Le bilan est très moyen », estime Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne en charge du pôle élevage et du suivi des États généraux de l’alimentation. Pourtant, estime-t-il, le processus était intéressant : « remettre tous les acteurs de la fourche à la fourchette autour de la table avec comme enjeux la rémunération des paysans et l’objectif d’une alimentation saine sûre et durable ». Mais les résultats ne sont clairement pas à la hauteur des ambitions affichées. Les EGA « ne remettent pas fondamentalement en cause les soucis de rémunération, de répartition de la valeur ni ne sécurisent mieux le consommateur ». Exemples selon lui de cet échec patent : la crise de la salmonelle chez Lactalis qui montre que le risque sanitaire est grand chez les géants de l’agro-industrie et que « l’État ne joue en rien son rôle de garant d’une alimentation saine, sûre et durable ». Ou encore le fait qu’en janvier 2018, « nous pouvons trouver du porc en grandes surfaces à un prix inférieur aux coûts de revient paysan ».
Les États généraux de l’alimentation « sont loin d’avoir tenu leur promesse », confirme Stéphen Kerckhove, délégué général de l’association Agir pour l’environnement. Celui-ci dénonce « un vaste brouhaha totalement inefficace », avec pas moins d’un milliers d’acteurs et d’actrices ayant consacré au total « environ 30 000 heures en réunionite improductive ».
François Veillerette, de l’association Générations Futures, regrette qu’il n’y ait eu que 10% d’ONG et d’associations écologistes présentes lors de ce processus. « Ce n’est pas le Grand Soir. On cherche les miettes. Mais on a du déjà se bagarrer pour les obtenir. Nous sommes très loin d’avoir obtenu ce qu’on voulait sur aucun sujet, mais ces EGA ont pour mérite d’ouvrir la discussion et la dialogue ».
« L’absence criante de portage politique a laissé un espace accru au lobby agro-chimiste qui a pu affirmer et réaffirmer ses positions. Le plan de table a surtout fait une place prépondérante à la FNSEA et à ses multiples faux nez », dénonce Stéphen Kerckhove.
Quelques chantiers sont ouverts
Cependant un certain nombre de petits engagements ont été obtenus de haute lutte, tempère François Veillerette. Reste à voir s’ils auront su être intégrés dans la loi, prévue pour fin janvier 2018, sans être vidés de leur sens par des amendements. Le directeur de Générations Futures cite notamment comme fruits des différents ateliers obtenus au consensus, la séparation du conseil et de la vente sur les pesticides, les coopératives qui vendent ces derniers ne pouvant plus réaliser de conseil agronomique, afin d’éviter les conflits d’intérêt. Ou encore la pérennisation du certificat d’économie sur les pesticides, qui taxe les coopératives ne remplissant pas certains objectifs de réduction de leur usage.
Des chantiers ont également été ouverts et devraient donner lieu à des missions parlementaires ou interministérielles, tels que celui sur la prévention des risques chimiques en lien avec le développement des maladies chroniques, et celui sur la mise en place d’un plan d’action relatif aux substances issues de nanotechnologies dans l’alimentation. François Veillerette note que les conclusions issues de l’atelier 11 font de la polyculture-élevage le modèle de référence et promeuvent l’agroécologie et l’allongement des rotations.
Des mesures contradictoires
Pour autant, Agir pour l’environnement dénonce l’hypocrisie de la politique menée. Tout au long des États généraux de l’alimentation, le ministre de l’Agriculture a en effet multiplié les « décisions scandaleuses ». « C’est le ’mais en même temps’ cher à Emmanuel Macron », ironise François Veillerette. Cela a d’abord été la fin des aides au maintien versées aux agriculteurs biologiques, bientôt suivie d’une baisse drastique des aides à la conversion. Le gouvernement a également laissé les expert·es de l’Agence nationale de sécurité sanitaire environnementale autoriser deux nouveaux insecticides tueurs d’abeilles.
Enfin, sur le sujet très attendu de l’introduction d’aliments issus de l’agriculture biologique en restauration collective, « le ministre de l’Agriculture a soutenu cette mesure… à un détail près, précise Agir pour l’environnement. Il en accepte le principe si l’objectif de 50% est atteint avec des aliments bios OU locaux. Le lait de la ferme-usine des 1 000 vaches ou le porc industriel breton pourront donc être mis à contribution pour atteindre ce seuil de 50 % ». Une nuance qui enlève tout son intérêt à cette avancée.
Au terme d’un processus qui aura vu notamment le départ de plusieurs organisations de solidarité internationale [1], déçues du manque d’ambition affiché dans l’atelier 12 consacré à la lutte contre l’insécurité alimentaire au niveau international, il est difficile de sauver les meubles. On a plutôt l’impression d’avoir assisté à un grand remue-ménage pour faire le plus de bruit possible tout en changeant le moins possible le vieux modèle agricole productiviste à bout de souffle. Les états généraux se sont d’ailleurs clos en l’absence remarquée du ministre de la Transition écologique et solidaire. Tout un symbole.
Le projet de loi qui émerge des EGA fait « la part belle à la grande distribution (relèvement du seuil de revente à perte) et à l’agro-industrie », estime Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. Le seuil de revente à perte est la limite de prix en dessous de laquelle un distributeur ne peut revendre un produit sous peine de pouvoir être sanctionné. Mais le relèvement de ce seuil à 10% au-dessus du prix d’achat n’est assorti d’aucune obligation pour la grande distribution de verser le montant économisé aux agricult·rices, ce qui en enlève l’intérêt. Nicolas Girod plaide pour l’interdiction de la vente à perte : « plus aucun produit ne doit sortir de nos fermes sous nos coûts de production ».
■■ Confédération Paysanne,
104 Rue Robespierre, 93170 Bagnolet, tél. : 01 43 62 04 04,
confederationpaysanne.fr.
■■ Agir pour l’environnement,
2 rue du Nord, 75018 Paris, tél. : 01 40 31 02 37,
www.agirpourlenvironnement.org.
■■ Générations Futures,
179 rue Lafayette, 75010 Paris, tél. : 01 45 79 07 59,
www.generations-futures.fr.