Il y a cinq ans, j’étais allé faire un reportage dans le Sud-Grésivaudan [1]. À l’époque, ils avaient là-bas la chance d’avoir un système « innovant » de collecte des déchets, avec redevance incitative. Le principe, c’est de faire payer la facture en fonction de la quantité de déchets produits : moins on jette, moins on paye. Sauf que ce principe nécessite de pouvoir reconnaître qui jette ses déchets, et donc d’installer des poubelles (qui s’appelaient là-bas des « moloks ») « intelligentes », qui puissent être ouvertes uniquement avec des cartes à puces. Il faut aussi pouvoir punir les mauvais·es « écocitoyen·nes » et donc créer des « brigades vertes » pour traquer les comportements déviants.
En 2012, dans le Sud-Grésivaudan, c’était un échec total. Il y avait plein de sacs à côté des moloks, qui souvent ne fonctionnaient pas. Des déchets étaient même jetés dans les territoires voisins, où les conteneurs étaient normaux. Tout le monde râlait et à part le directeur du Sictom [2], je n’avais trouvé personne pour défendre ce système.
J’avais un peu oublié le sujet, jusqu’à apprendre récemment l’abandon de cette stratégie dans le Sud-Grésivaudan. Et puis la métropole de Grenoble a annoncé son « schéma directeur déchets 2020 - 2030 », où il est également question de redevance incitative.
Compost, vrac et recycleries
L’objectif : aboutir à deux fois moins de déchets en 2030. La Métropole va casquer : 238 millions d’euros d’investissement, dont 170 pour moderniser le centre de tri, le centre de méthanisation, l’usine d’incinération.
Le reste va servir à « mobiliser les citoyens ». Promotion du compostage, installation de bacs « déchets alimentaires », promotion de l’achat de produits en vrac et d’un système de verre consigné, construction de recycleries, incitation à l’utilisation de couches lavables dans les structures collectives de la petite enfance, mise à disposition de broyeurs de déchets verts : il y a d’abord une série de mesures difficilement contestables. Et puis après, il y a la fameuse « redevance incitative ».
Pucer les poubelles
La Métropole va racheter toutes les poubelles (dites « bacs ») de la cuvette [3]. Ensuite « on va pucer ces bacs », c’est-à-dire installer un système pour qu’ils ne soient ouverts qu’avec une carte magnétique. Au passage, remarquons que cela nécessitera sûrement de jeter tous les anciens « bacs » (dans quelle poubelle ?) [4].
Une fois ces bacs pucés mis en place « sûrement autour de 2020 ou 2021 », la « facturation sera calculée en fonction du nombre de fois où le bac a été vidé dans l’année, ou en fonction du poids de déchets produits ». Les « bonnes pratiques » permettront ainsi de « faire des économies ». Bon en fait, pas tant que ça : sur la facture de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la « part incitative » est minime quand la « part fixe » représente au moins 60 % de la facture totale. [5]
Quid des immeubles et des bacs utilisés par des dizaines de personnes ? Ce sera à chaque copropriété de choisir sa façon de faire. Soit la part incitative sera équitablement divisée entre habitant·es, quelle que soit la quantité de déchets déposés (ce qui promet une certaine ambiance entre « bon·nes » et « mauvais·es » écovoisin·es). Soit la copropriété devra s’équiper de poubelles encore plus intelligentes, capables de calculer le poids de chaque sac posé, et donc facturer à chacun·e le juste prix incitatif (surtout, ne rendez pas service à votre voisine âgée en descendant sa poubelle !).
« Avant de vider un bac, l’agent chargé de la collecte contrôlera que le contenu est conforme aux consignes de tri. Un bac mal trié sera notifié via un boîtier numérique reliant les bacs au contrat de son utilisateur et sera surfacturé. » Pour les bacs utilisés par plusieurs personnes, cette surfacturation promet également de mettre une certaine ambiance dans les « habitats verticaux ».
Une « nouvelle police de l’environnement »
Pour contrôler tout ça, une « nouvelle police de l’environnement » et une « nouvelle brigade de propreté » vont être mises en place afin de « contrôler la bonne application du règlement de collecte » et de « lutter contre les dépôts sauvages ». Alors forcément, il est un peu emmerdé, Oudjaoudi [6], de mettre en place des mesures potentiellement « répressives » : « Moi non plus je ne suis pas un fan de la police. Le but n’est pas d’engranger des amendes, mais d’arrêter les mauvais gestes. Et je suis obligé de constater que la démarche pédagogique ne suffit pas. » Notamment « parce que ça se fait déjà ailleurs, à Parme, à Milan, et que ça marche très bien... ». Seuls les résultats comptent (et tant pis pour les convictions politiques).
Dans la communauté de communes de Vinay dans le Sud-Grésivaudan, des courriers ont circulé disant « Écoutez, vous avez déposé zéro sac depuis six mois, ça nous paraît un peu bizarre donc il y a un petit souci là-derrière : ça veut dire que forcément cette personne là, si elle est résidente, elle pose ses sacs ailleurs ».
C’est le genre de situations qui arrivera obligatoirement avec des poubelles intelligentes et la redevance incitative. Suspicions et rancoeurs entre voisin·es, traque et stigmatisation des « mauvais·es » écocitoyen·nes, intrusions dans la vie privée (par la fouille de poubelles) : ce système développe un tas de mauvais réflexes pourrissant les relations sociales et ciblant les responsabilités individuelles, plutôt que les modes d’actions collectifs.
Pendant ce temps-là, nombre d’industriels développent quantité de produits en programmant leur obsolescence rapide. Ces industriels, par ailleurs, continuent à vendre des produits avec quantité d’emballages inutiles (donc de déchets) sans trop de contraintes. Mais comme tout est bien qui finit bien, tous ces déchets peuvent aussi permettre à d’autres industriels (ou les mêmes), de faire du business dans la « valorisation des déchets ».
Cet article est extrait d’un texte publié dans Le Postillon, média indépendant grenoblois.
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