Ce sont les questions juridiques qui ont médiatisé la thématique semencière auprès du grand public. Avec beaucoup de discours contradictoires difficiles à démêler. Les menaces actuelles montrent un nouveau paradigme dans l’industrie : les plantes deviennent une somme d’informations génétiques que l’on peut bricoler, breveter, vendre… à souhait. Il est donc important de lutter à la fois contre cette approche du vivant et contre le phénomène d’enclosure juridique qui va avec. Mais jusqu’à présent, ce n’est pas exactement la même approche qui a dominé la sélection végétale.
Une réglementation construite pour l’industrie
La réglementation des semences s’est construite avec le système semencier spécialisé et industriel. D’une part, des droits de propriété intellectuelle « protègent » les variétés créées par les obtenteurs comme une innovation qui doit être rémunérée, distinguant les semences — produit de consommation — de la variété dont elles sont issues. Il s’agit donc d’une démarche de propriété intellectuelle restrictive. Le tout ne tient aucun compte des siècles de sélection paysanne qui ont précédé ce travail, ni de l’évolution des plantes année après année. Par exemple, en achetant un lot de semences de blé, on paie pour le travail d’innovation.
Dans la logique du droit actuel, si on ressème sa récolte les années suivantes, on doit payer chaque année des royalties pour continuer de bénéficier de cette innovation.
D’autre part, la commercialisation des semences d’une variété est soumise à son inscription au catalogue officiel, pour laquelle elle doit répondre dans la plupart des cas à des critères de distinction, d’homogénéité et de stabilité. Ces critères sont supposés décrire des variétés mais ils ne correspondent qu’à certaines d’entre elles, industrielles et standardisées. Une variété de blé de pays, population hétérogène et évolutive, ne peut pas répondre à de tels critères ni franchir les étapes d’inscription.
S’organiser pour comprendre le droit
Comprendre ce système juridique n’est pas facile. C’est principalement au sein du Réseau semences paysannes que les collectifs paysans ou amateurs impliqués autour des semences ont pu se retrouver et analyser ce contexte. Cela a permis, d’une part, de trouver les brèches de ce cadre juridique pensé par et pour d’autres producteurs : il est tout à fait légal d’échanger des semences non inscrites au catalogue officiel pour les expérimenter, les conserver ou les sélectionner. En aval, il est également légal de les cultiver, de les ressemer et de vendre les produits qui en découlent. Il a été nécessaire, dans cette dernière décennie, de rappeler sans cesse ces droits, trop peu connus des praticien·nes.
Conquérir de nouveaux droits
D’autre part, se rassembler au sein du Réseau semences paysannes a aussi permis de réaffirmer que le droit est issu d’un rapport de force et qu’il évolue, que l’on peut agir. D’autres réseaux et plateformes plus larges se complètent à différentes échelles. Résultat des mobilisations antérieures ou tout simplement de l’augmentation du nombre d’initiatives sur les semences paysannes dans les fermes : depuis 2016, la loi autorise l’échange de semences de variétés non inscrites au catalogue entre paysan·nes, dans le cadre de l’entraide agricole. Mais il reste bien d’autres points réglementaires trop restrictifs, par exemple sur la commercialisation de semences ou les échanges entre amateurs.
Pour maintenir les droits existants et en conquérir de nouveaux, la première nécessité est de continuer à faire vivre ces variétés paysannes et le savoir-faire qui va avec, dans les fermes et les jardins.