Article Agriculture Société

L’élevage face aux normes : la résistance s’organise

Martha Gilson

Un petit groupe de personnes à l’origine du Collectif des agriculteurs et agricultrices contre les normes a appelé à des rencontres nationales les 28 et 29 octobre 2017 organisées à Cenves, dans le département du Rhône. Retour sur un week-end d’échanges.

Après quelques lacets bien serrés sur les routes du maconnais, les langues se délient. Les présent·es, environ 150 personnes, viennent de tout le territoire métropolitain : Bretagne, Ariège aussi bien que Saône-et-Loire, certaines se connaissent, d’autres se découvrent. Ce sont principalement des éleveu·ses qui sont là. Le Collectif de paysan·nes contre les normes s’est en effet créé dans un contexte de forte répression contre le petit élevage. Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze, un paysan de 37 ans, a été abattu par des gendarmes à Sailly en Saône-et-Loire, à l’issue d’une traque de neuf jours, suite à un contrôle sanitaire sur son exploitation. Depuis, tous les 20 du mois, un rassemblement est organisé en hommage à l’agriculteur au square de la Paix à Mâcon. Lors de ces rassemblements, l’idée d’une résistance collective a germé.

Un positionnement contre les normes

Le postulat des rencontres est clair : il faut s’attaquer aux normes obligatoires pour lutter contre la normalisation et l’industrialisation de l’agriculture, qui s’incarne en partie dans les contrôles de l’administration. Yannick Ogor revient sur l’histoire et les enjeux de ces normes. Il démontre que celles-ci viennent de l’industrie et servent à contrôler et à réguler le marché. À partir de 1962, avec la mise en place de la Politique agricole commune (PAC), l’État français et l’Union européenne, par le biais de subventions, favorisent la création de fermes-usines concurrentielles sur le marché mondial au détriment d’une agriculture paysanne. La production se transforme en surproduction et l’Union européenne gère la crise sans chercher à l’enrayer. Après 1992, ce système devient moins efficace. Parallèlement les scandales sanitaires (le veau aux hormones, le sang contaminé ou encore la vache folle) fournissent des exemples saisissants des dangers de l’agriculture industrielle. Les normes sanitaires et environnementales prétendent alors répondre aux enjeux de santé publique et de protection de l’environnement. Elles jouissent d’une bonne presse et préviennent les contestations de la société civile en disant garantir une certaine éthique. Or, ces normes dans des faits favorisent l’industrialisation de l’agriculture, qui s’est accompagnée de l’usage massif de produits toxiques. Elles obligent par ailleurs à recourir de plus en plus à du matériel spécialisé et inaccessible pour de petits producteurs et de petites productrices.

Une lutte de terrain pour l’abattage à la ferme

L’absurdité des normes sanitaires imposées se retrouve dans le combat de Stéphane Dinard, qui lutte pour faire reconnaître son droit de faire abattre ses animaux à la ferme. Il s’installe comme éleveur en Dordogne en 2005. En 2008 il décide de refuser d’emmener ses bêtes à l’abattoir et d’installer un outil d’abattage à la ferme. Seulement l’abattage des animaux sur leur lieu de vie est interdit et il risque jusqu’à 15 000 € d’amende et 5 mois de prison ferme. Stéphane Dinard va alors se battre pour continuer d’exercer cette pratique et va créer un collectif, Quand l’abattoir vient à la ferme avec la sociologue Jocelyne Porcher [1] pour défendre une mort digne pour les animaux d’élevage. Stéphane a témoigné de son parcours dans de nombreux endroits, et aujourd’hui à peu près 400 éleveu·ses et autant de consommat·rices ont rejoint le collectif. Ces membres insistent sur l’absurdité de cette norme en prenant l’exemple des chasseurs qui ont le droit de tuer, de découper et de vendre le gibier à des particuliers sans aucune norme d’hygiène. La norme n’est pas là pour protéger l’animal ou le consommateur, mais pour fermer les petits élevages. Aujourd’hui, le but du collectif est de montrer qu’une autre forme d’abattage est possible.

Genuino Clandestino : l’exemple italien

La question de la force collective revient très souvent dans les échanges. Elle est prônée par le Genuino Clandestino, collectif de producteurs et productrices clandestin·es italien·nes, qui a mis en place un réseau parallèle de distribution pour continuer à vivre de ses productions. C’est un mouvement horizontal, sans conseil d’administration. Il s’appuie sur un manifeste qui définit un système participatif pour s’auto-évaluer. Les paysan·nes sont alors collectivement garantes de la production. Le collectif crée donc ses propres normes et refuse les contrôles de l’État. Dispersé sur le territoire italien, il se retrouve lors de rencontres nationales tous les 6 mois pendant 3 jours, lors desquelles un marché est mis en place et les grandes lignes du collectif sont décidées. En dehors de ces rencontres, les producteurs et les productrices s’organisent localement pour faire des marchés en ville, écouler leurs produits et faire du lien.
Résister aux contrôles étatiques, c’est aussi prendre le risque de sanctions financières. Depuis un an, le mouvement a donc mis en place une caisse de solidarité pour payer les amendes sanitaires. Cette réserve de fonds a aussi permis la reconstruction d’une étable qui s’était écroulée lors d’un tremblement de terre et ne pouvait avoir recours aux aides de l’État.

Résister localement : le refus des contrôles

Environ 85 personnes sont restées le samedi soir et le dimanche. Toutes ne sont pas d’accord sur le refus total des normes, mais toutes sont favorables à une organisation collective pour se protéger des contrôles et des sanctions, vus comme des éléments de contrôle et de répression d’une industrie qui cherche à éliminer les petites exploitations paysannes. La solidarité est palpable, et dans les échanges on essaie de prendre en compte le malaise et la pression que subissent certain·es. Les situations sont différentes pour des personnes qui se lancent et des personnes qui sont déjà paysannes et parfois prises dans le cercle infernal des crédits bancaires et des subventions. On parle de collectifs d’auto-défense qui iraient dans les fermes et refuseraient les contrôles à la place des paysan·nes concerné·es pour éviter les sanctions. Filmer peut être un bon moyen pour prévenir les actes d’humiliation et de violence de certains contrôleurs.
La mise en place de marchés pour visibiliser la lutte revient souvent. Les marchés permettent d’étendre la contestation chez les agricult·rices les consommat·rices. Au delà de la vente de produits, les marchés permettent aussi de distribuer et de diffuser des textes, des témoignages autour de cette thématique.

L’importance de la solidarité locale

Le but était de créer du lien et de s’organiser pour la suite localement. Le pari semble (en tout cas pour partie) réussi, car à la suite de ces rencontres plusieurs courriels ont été échangés pour signaler la construction de solidarité locale contre les contrôles, d’échanges d’informations. Des collectifs locaux ont été montés du côté des pays de l’Ouest et de Brocéliande, à l’Est du Morbihan et en Anjou. En novembre 2017, les résistances collectives contre les contrôles de l’administration agricole ont été des réussites sur les fermes de Ganquié et d’Al truc [2]. À Granquié, Nathalie et Laurent refusent le bouclage électronique de leurs brebis, ce qui leur a valu 20 000 euros de sanctions en 2013. Le 22 novembre, 100 personnes sont venues les soutenir pour un contrôle de la direction des services vétérinaires annoncé simplement l’avant-veille. Une semaine plus tard, Adeline et Pierre subissent le même contrôle à la ferme d’Al truc sur la commune de Saint Sulpice. Pierre et Adeline élèvent une cinquantaine de chèvres et fabriquent leurs fromages qu’ils vendent au marché à une clientèle habituée. Rebelote, c’est encore une centaine de personnes qui accueille les contrôleurs, afin de soutenir les éleveurs dans leur refus de poser des puces électroniques RFID [3] aux oreilles de leurs bêtes.
Le collectif est encore en construction, mais ses soutiens sont déjà nombreux et les signes de solidarités déjà concrets. Il n’est pas aisé de mettre un place un réel réseau décentralisé d’entraide, de se mettre d’accord sur des objectifs et des analyses communes. Mais si les désaccords sur l’analyse politique semblent exister, le refus de la normalisation de l’agriculture est unanime.

Pour aller plus loin :
■■ Jean Giono, La Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, éd. Heros-Limite, 2013 (1938)
■■ Yannick Ogor, Le Paysan impossible. Récit de luttes, éd. du bout de la ville, 2017
■■ Xavier Noulhianne, Le ménage des champs. Chronique d’un éleveur au XXIe siècle, éd. du bout de la ville, 2016
■■ Aude Vidal, On achève bien les éleveurs. Résistances à l’industrialisation de l’élevage, éd. L’échappée, 2017

Contacts
Association Justice et Vérité pour Jérôme Laronze
BP 10229
71106 Chalon sur Saône Cedex

Collectif Hors norme

hors.norme@riseup.net

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer

Notes

[1Chercheuse à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), elle travaille sur la relation entre les humains et les animaux d’élevage.

[2Ces mobilisations sont racontées par le collectif Faut pas pucer dans le journal local Le Tarn libre.

[3La technologie RFID utilise les ondes radio pour transmettre des données, et permettent l’identification des animaux. Le puçage est aujourd’hui obligatoire, mais certain·es éleveu·ses le refusent au nom d’une lutte contre l’informatisation et de la machinisation de l’agriculture.

[4Chercheuse à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), elle travaille sur la relation entre les humains et les animaux d’élevage.

[5Ces mobilisations sont racontées par le collectif Faut pas pucer dans le journal local Le Tarn libre.

[6La technologie RFID utilise les ondes radio pour transmettre des données, et permettent l’identification des animaux. Le puçage est aujourd’hui obligatoire, mais certain·es éleveu·ses le refusent au nom d’une lutte contre l’informatisation et de la machinisation de l’agriculture.

[7Chercheuse à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), elle travaille sur la relation entre les humains et les animaux d’élevage.

[8Ces mobilisations sont racontées par le collectif Faut pas pucer dans le journal local Le Tarn libre.

[9La technologie RFID utilise les ondes radio pour transmettre des données, et permettent l’identification des animaux. Le puçage est aujourd’hui obligatoire, mais certain·es éleveu·ses le refusent au nom d’une lutte contre l’informatisation et de la machinisation de l’agriculture.