Si le mot « grainothèque » renvoie à l’appel lancé par Graines de troc [1], l’idée de permettre l’échange de semences dans un lieu défini s’est enrichie dès le départ, en 2014, de rencontres plus ou moins régulières entre les participant·es. Porté à l’origine par quelques personnes motivées issues du tissu associatif local, le projet a très vite fédéré plus largement. Objectif : faire vivre un réseau local de partage de semences libres fondé sur l’interconnaissance et la participation de chacun·e.
Un pour tous, toutes pour une…
Le principe est simple : « Je produis les semences d’une variété dans mon jardin, en suivant certaines règles, puis je les mets à la disposition de l’association. J’ai ensuite accès gratuitement à toutes les semences produites par les autres jardini·ères. » La force du collectif permet ainsi, dans l’absolu, de planter des dizaines de variétés en n’en produisant qu’une ! En 2017, une trentaine de product·rices participent à l’effort commun. Des personnes expérimentées ou disposant d’une grande surface peuvent faire plus, mais l’association encourage à se focaliser sur une ou deux variétés afin de pouvoir y apporter le plus de soin possible. Car produire des semences n’est pas chose aisée, d’autant que les savoirs liés à l’art de leur sélection, leur récolte, leur séchage et leur conservation, largement répandus il y a encore quelques décennies, sont devenus en peu de temps l’affaire de marchands spécialisés, à qui des jardini·ères achètent, année après année, des millions de petites graines.
Apprendre en faisant
Trop souvent, lors des trocs qui fleurissent çà et là, on manque d’information sur la provenance des semences et les techniques utilisées pour leur production… Il est difficile d’avoir confiance en la qualité de ce que l’on y trouve.
L’un des enjeux est donc de réapprendre ensemble à produire des graines de qualité. L’association incite les jardini·ères qui se lancent à parrainer une variété, en observant quelques principes pour que l’essai soit le plus fructueux possible : d’abord, choisir une espèce selon son expérience, les affinités que l’on a avec telle ou telle plante, et les caractéristiques de son jardin. Ensuite, garder un nombre de pieds « porte-graines » minimum afin de garantir une bonne diversité génétique au sein de la variété, et mettre en place ce qu’il faut pour éviter l’hybridation avec d’autres variétés de la même espèce… Les product·rices sont aussi invité·es à consulter les différentes ressources documentaires disponibles sur le sujet [2]. Des exposés sur la reproduction de différentes variétés ont lieu tous les ans au printemps. L’apprentissage a été facilité par la présence au sein du groupe d’une artisane-semencière professionnelle, présidente d’honneur de l’association
Il existe un peu partout en France des dynamiques similaires… sauf là où elles restent à créer !
– Certaines peuvent être regroupées sous le terme « Maison des semences paysannes » et se fédèrent au sein du Réseau semences paysannes (RSP). C’est le cas de la Maison de la semence de la Loire, qui agit plutôt dans le sud du département.
L’affiliation au RSP offre la possibilité de bénéficier de formations sur les aspects techniques et juridiques, mais aussi de s’inscrire à des expériences nationales comme la sélection participative.
– D’autres, sans étiquette particulière, n’en sont pas moins actives, comme l’association La Graine et le Potager, en Côtes-d’Or. Cette association, créée en 2010 autour d’un maraîcher producteur de semences aujourd’hui retraité, regroupe en parallèle un réseau d’échange entre particulièr·es et un autre de maraîchèr·es installé·es en Bourgogne- Franche-Comté. Elle propose des formations pour les deux types de publics aux niveaux local, national et même international.
Il serait prétentieux d’affirmer que toutes les semences disponibles actuellement à la Grainothèque sont dignes d’une confiance aveugle, mais l’importance accordée aux procédés de multiplication va dans ce sens.
Se connaître et se faire confiance
Le lien qui existe entre les participant·es facilite également cette confiance. À la Grainothèque, on peut compléter l’information écrite que l’on trouve en prenant des semences (qui les a produit, quand et où) par tout ce que l’on pourra apprendre, directement ou indirectement, de la personne qui les a fournies. L’échelle choisie est le « roannais », un territoire majoritairement rural qui s’étend sur une trentaine de kilomètres autour de la ville de Roanne, au nord du département de la Loire. Cette échelle permet une certaine homogénéité de climat et de terroir, tout en offrant des spécificités avec lesquelles il est intéressant de composer : altitude allant de 200 m à plus de 1 000 m, types de terrains assez divers, jardins en ville ou parcelles isolées en montagne… La relative proximité offre surtout la possibilité aux personnes de se voir, se croiser, se rencontrer « en vrai ». Roanne est souvent le point central des rencontres mais, tous les étés depuis trois ans, des visites de différentes parcelles de jardini·ères (amat·rices ou pro) ont été organisées. Ces moments riches ont largement contribué à l’interconnaissance au sein du groupe. Ils ont été l’occasion d’accéder in situ à la diversité des pratiques, des philosophies et des situations, et d’associer des visages et des images à nos semences.
Les différentes composantes de cette expérience se sont construites petit à petit, à tâtons et continuent d’être questionnées. Un groupe de membres « acti·ves » d’une vingtaine de personnes se stabilise, les nombreux volets de la production de semences se formalisent, plus de 200 personnes sont informées par mail des événements organisés par l’association [3], et une permanence mensuelle permet de se retrouver et d’accueillir les curieu·ses. Pour autant, il reste beaucoup à construire, et les sujets de discussions sont nombreux : comment associer au sein d’un même réseau jardini·ères et professionnel·les ? Quel équilibre trouver entre la volonté de fonctionner avec un groupe stable de gens qui se connaissent et l’envie de s’ouvrir plus largement ? Faut-il essayer de reproduire le plus de variétés possible pour étoffer la liste des semences partagées, ou se concentrer sur la recherche de quelques variétés que tou·tes pourraient adopter, car bien adaptées aux conditions de cultures locales ? Gageons que l’expérience sera assez durable pour permettre d’y répondre…