Françoise Héritier est décédée le 15 novembre 2017, le jour de ses 84 ans. Quel a été son parcours intellectuel et politique ?
Cette grande intellectuelle a consacré sa vie à l’étude des rapports humains. Elle était à la fois anthropologue, ethnologue, membre du Collège de France et une militante engagée pour les droits des femmes. Dans ses recherches, elle a porté une attention particulière aux mécanismes de la violence.
J’ai eu la grande joie de la rencontrer lors d’un colloque sur la violence aux centres de formation d’assistant·es de service social à Lyon. J’ai le souvenir d’une femme très brillante intellectuellement, une savante simple, sympathique, attentive aux autres. Alors qu’elle abordait en conférence et dans ses écrits, des sujets graves, complexes et durs, elle incarnait une joie de vivre, pleine d’humour et d’espérance. On retrouve ces deux aspects dans ses ouvrages : la complexité et la difficulté dans des écrits comme Exercice de la parenté (1981) Séminaire Violence I et II (1996 et 1999), et la légèreté des choses dans ses derniers ouvrages : Le sel de la terre (2012), Le goût des mots (2013), et son tout dernier publié en octobre 2017, Au gré des jours.
Très jeune elle s’est initiée à l’anthropologie sociale auprès de Claude Lévi-Strauss (qu’elle a remplacé au Collège de France), elle est partie en mission en Afrique, notamment en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) auprès des Mossis, des Dogons et des Samos. Elle s’est intéressée particulièrement aux parentés, aux organisations et aux interdits dans les alliances de mariage.
Mais elle était aussi et surtout connue pour son engagement féministe ?
En effet, dans le cadre de ses recherches anthropologiques, elle a ajouté aux grandes oppositions binaires (cru-cuit, inférieur-supérieur, terre-ciel) étudiées par Lévi-Strauss, celle du féminin-masculin. Elle a mis en évidence que partout et à chaque époque, la suprématie du masculin était présente. Cela est devenu pour elle un invariant anthropologique : un de ces cadres de pensée aux allures d’évidences obligées, qui nous agissent sans que nous en ayons conscience. Elle a montré notamment que le privilège exorbitant des femmes d’enfanter a toujours effrayé les hommes, qui ont de tout temps engagé une véritable épreuve de force pour en assurer le contrôle.
Jusqu’à la fin, Françoise Héritier est intervenue dans le débat public. Aux lendemains de l’affaire Harvey Weinstein, elle s’était ainsi félicitée que les femmes du monde entier prennent enfin la parole : « Je trouve ça formidable, expliquait-elle. Que la honte change de camp est essentiel. Et que les femmes, au lieu de se terrer en victimes solitaires et désemparées, utilisent le »#metoo« d’Internet pour se signaler et prendre la parole me semble prometteur. Les conséquences de ce mouvement peuvent être énormes ».
Françoise Héritier s’est beaucoup intéressée à la violence et à la non-violence également ?
Oui, elle s’est engagée très clairement pour la non-violence, elle faisait partie des 17 personnalités fondatrices de Non- Violence 21 (association qui regroupe toute la mouvance non-violente en France) et était membre du comité de parrainage de la Coordination pour une Education à la Non-violence et à la Paix. Très sensible à la clarification des concepts, elle pensait que la réussite des mouvements non-violents viendrait de « leur capacité à dissocier auprès du public, les notions de violence et de force. La force, notamment celle du droit, peut s’exercer par la contrainte : elle n’en est pas pour autant une violence. La non-violence est un concept qui reste peu connu ou mal compris. »
Pour en savoir plus :
MAN-Lyon, 187 montée de Choulans, 69005 Lyon, www.nonviolence.fr