De son balcon, Toumani peut apercevoir la fenêtre de l’appartement qu’il louait lorsqu’il était tout jeune. Il est heureux de ne plus enrichir un rentier. Afin ne pas payer un loyer toute sa vie, il avait envisagé de devenir propriétaire, mais il n’avait pas davantage envie d’enrichir un banquier ni de contribuer à la spéculation immobilière. Il a finalement intégré Maintenant, la « coopérative immobilière » à laquelle son logement appartient. Toumani lui verse une redevance mensuelle – qui ne constitue pas un loyer, mais une contribution mensuelle aux charges collectives de la coopérative – dont le montant est sans commune mesure avec les loyers du quartier ! En contrebas, il aperçoit dans la rue Evan et Sayat, également coopérat·rices de Maintenant. Propriétaire accédante de son logement, Evan remboursait encore son emprunt, jusqu’à ce que Maintenant rachète son crédit. Cela a permis de prolonger la durée du prêt et donc de baisser ses mensualités, qu’elle verse désormais à la coopérative. Elle est soulagée de pouvoir en mutualiser les coûts d’entretien et les travaux d’isolation. Père de famille, Sayat habite un logement plus grand que Toumani, dans un quartier plus cher, mais paie néanmoins une redevance moindre à la coopérative, car celle-ci est indexée sur leur revenus respectifs. Suite à une mutation, Toumani déménage bientôt dans une autre ville. Il a repéré un logement qui lui convient, et c’est Maintenant qui l’a acheté pour qu’il puisse s’y installer.
Fictif aujourd’hui, ce récit pourrait devenir réalité avec le projet de coopérative immobilière en cours de création à Lyon, qui promet que « demain, on loge gratis ».
Entretien avec Baptiste Mylondo [1], à l’initiative du projet.
Silence : Parler de logement gratuit, n’est-ce pas un peu démagogique ?
B. Mylondo : C’est une accroche, mais l’objectif est bien d’instaurer une quasi-gratuité du logement. Une fois qu’un logement a intégré le pot commun et que le coût de son acquisition a été amorti, il n’y a plus de raison de faire payer son occupation. Et il en restera ainsi désormais puisque le bien n’a pas vocation à être revendu. C’est à ce titre que l’on parle de gratuité. Maintenant, le principe est que les coopérat·rices acquittent tout de même mensuellement une redevance qui permet de mutualiser les coûts d’entretien du parc immobilier de la coopérative, de provisionner les risques de perte de revenu des coopérat·rices en cas d’accident de la vie et de financer, soit l’agrandissement de la coopérative, soit l’acquisition de logements supplémentaires.
En constituant un parc de logements éparpillés géographiquement, et en laissant de côté les relations de voisinage et le partage d’espaces communs, ne passe-t-on pas à côté de ce qui fait la substance même de l’habitat coopératif ?
Je ne crois pas. Cet aspect « relationnel » de l’habitat partagé est même plutôt un frein pour certain·es. J’ai rencontré de nombreuses personnes que les logiques spéculatives et inégalitaires du marché immobilier révoltent, mais pour qui l’habitat partagé ne constitue pas pour autant un projet de vie. Les projets d’habitat partagé consistent le plus fréquemment en la construction de nouveaux logements, alors que la finalité d’une coopérative immobilière est plutôt d’extraire du marché un maximum de logements existants. Et ainsi de suivre les coopérat·rices tout au long de leur parcours résidentiel, et de leur vie ! Ce que ne permettront pas les coopératives d’habitant·es tant qu’elles seront aussi peu nombreuses. Maintenant, le projet n’est pas limité à l’immobilier résidentiel. La coopérative immobilière pourrait très bien intégrer d’autres types de biens, tels que des locaux commerciaux en pied d’immeuble, par exemple. Ce pourrait être une autre façon de produire des espaces de vie mutualisés.
Quels sont les premiers défis qui attendent ce projet de coopérative ?
Le projet est relativement simple dans son principe. Sa mise en oeuvre est plus complexe. Plusieurs aspects techniques, mais aussi éthiques et politiques sont à débattre avec les fondat·rices [2]. Certains arbitrages engendreront nécessairement
des conflits, voire des départs. Pour acquérir les premiers logements, il faudra notamment attirer des propriétaires de plein droit, et probablement souscrire un emprunt bancaire ou intéresser des investisseurs qui ne seront pas directement bénéficiaires du projet, mais dont il faudra rétribuer l’investissement. C’est-à-dire jouer selon les règles du système que l’on souhaite abattre. Ce projet est une vraie remise en cause du marché immobilier, de sa logique inégalitaire et concentrée, et partant, des intérêts de celles et ceux qui en bénéficient. Il faut sans doute s’attendre à un risque de « contre-lobbying » [3] et que les banques et les grands propriétaires fassent pression pour maintenir un cadre législatif et réglementaire contraignant.
C’est un véritable projet anarcho-libertaire en fin de compte...
Complètement. La philosophie sous-jacente à ce projet, l’horizon poursuivi, est très clairement la rupture avec la propriété individuelle et lucrative. Et in fine, la « coopérativisation » de la société par l’extension de la coopérative immobilière à un maximum de nos activités économiques et pratiques quotidiennes : alimentation et consommation, production de biens et services, travail, etc.
Si la coopérative devait se limiter au logement, ce ne serait pas un échec, mais j’ai le sentiment que l’on passerait à côté de quelque chose. À quoi bon révolutionner notre manière de se loger, si c’est pour continuer à faire tout le reste pareil ?
www.maintenant-coop.info
Demain on loge GRATIS !
Ne payons plus le logement
Pourquoi continuons-nous à payer (acheter ou louer) des logements qui ont déjà été remboursés plusieurs fois ? la constitution d’un vaste pot commun de logements, payés une fois pour toutes, permettrait aux coopérateurs d’accéder à des logements gratuits et de circuler au sein de cette coopérative immobilière comme on circule aujourd’hui au sein du parc locatif ou du marché immobilier, mais sans aucune barrière financière
et mutualisons l’entretien