Pour tendre vers l’autonomie dans la cuisine, on peut se passer de nombreux gadgets — pardon : appareils électriques —, ou les remplacer par leur version manuelle. Bouilloire, moulin à café, cafetière, mixer, grille-pain, ainsi que les accessoires d’un robot ménager (râpe, mandoline, etc.) peuvent fonctionner à l’huile de coude. Mais pour les tâches qui requièrent beaucoup de force ou de temps, comment remplacer la connexion au réseau électrique ? Le groupe électrogène est une « solution » en cas d’accès à l’électricité difficile ou intermittent. Mais on dépend alors d’énergies fossiles, au coût économique et environnemental non négligeable.
Produire de l’électricité à la force des mollets : une fausse bonne idée
Lorsque l’on évoque les énergies renouvelables, on pense soleil, vent, mais rarement force des mollets. On peut pourtant, en pédalant, faire fonctionner des machines, voire générer de l’électricité (un petit peu) : on connaît le système de la dynamo (en réalité un alternateur). Comme l’indique son nom complet, la machine dynamo-électrique transforme notre « dynamisme », de l’énergie mécanique, en énergie électrique, qui alimente l’éclairage d’un vélo. Ce procédé peut être adapté pour alimenter d’autres équipements. Ces dernières années ont ainsi vu fleurir des sortes de vélos d’appartement dans les halls de gares. On peut donc maintenant, en attendant son train, recharger son portable en pédalant.
Il serait toutefois illusoire de ne vouloir alimenter un foyer français moyen [1] qu’avec ses seuls muscles – à moins de cohabiter avec Lance Armstrong. La puissance nécessaire est en effet énorme et les déperditions, notamment par frottement, sont importantes. De ce point de vue, il n’est donc absolument pas rentable de pédaler. Les cyclistes ayant participé à une vélo-projection (des volontaires pédalent pour alimenter un vidéoprojecteur) pourront témoigner : il faut appuyer fort sur les pédales ! On peut cependant, avec ce principe, charger une petite batterie, suffisante pour allumer quelques ampoules.
Pédaler pour actionner
Pour atteindre l’autonomie énergétique à coups de pédales, une méthode bien plus efficace consiste à utiliser cette force directement : après quelques ajustements, le pédalier d’un vieux vélo entraîne des appareils, au moyen d’une courroie, les faisant ainsi fonctionner sans électricité. Dans une cuisine ou ailleurs, différents ustensiles pourront être adaptés sur ce vélo devenu machine d’où le nom de bicimáquina (bicymachine) utilisé dans les pays hispanophones.
On pourra par exemple, à la seule force de ses petites jambes, faire fonctionner un blender, ce robot à bol haut dans lequel on peut faire la soupe, dont il fera tourner les lames. Sur certains stands de marché sont apparues des machines rigolotes, grâce auxquelles on obtient à coups de pédales un bon jus de fruits frais. À Châlon, Laval ou Privas, des associations exposent, lors des foires écologiques et sur les stands écomobilité, leurs modèles de vélo-blender ou vélo-smoothie. Ou comment faire à la fois le plein de vitamines et (un peu) d’exercice. Encore plus fort, le lave-linge à pédales ! Si, en 2016, un modèle de vélo d’appartement a défrayé la chronique car il permettait de laver son linge tout en brûlant des calories, ce prototype inventé par des étudiants chinois n’a en réalité rien de révolutionnaire. Les bricoleurs savent déjà qu’il n’est pas difficile de bidouiller un vélo et de le relier au tambour d’une machine à laver désossée, entraîné par une courroie. Le lave-linge est un must des appareils actionnés à coups de pédales. Il est d’ailleurs aisé de trouver des plans pour le construire. Le programme d’essorage n’atteindra peut-être pas les 1000 tours/ minute, mais le lave-linge étant, avec le réfrigérateur, un gros poste de consommation électrique, il est intéressant de le remplacer, écologiquement et économiquement.
Faciliter la vie quotidienne en l’absence d’électricité
Fabriqués à partir de vieux vélos et de pièces détachées, ces biclous un peu particuliers peuvent ne sembler qu’une lubie d’écolo ou un défi d’autonomie là où l’électricité est omniprésente. Ils changent pourtant la vie des familles dans les pays où le quotidien est épuisant de labeur manuel. Pour ôter les écorces et broyer le café, les noix, le maïs, dans les régions où ce sont des aliments traditionnels, ces drôles d’engins remplacent les petites mains. Au Guatemala, l’ONG Maya Pedal a même développé un cursus de formation pour penser, construire et entretenir des bicyclettes qui améliorent les conditions de vie dans les villages. Sans recours au réseau électrique ni à aucun combustible, les communautés voient certaines tâches quotidiennes grandement facilitées. Les femmes passent ainsi moins d’heures à décortiquer puis broyer le maïs pour préparer les tortillas, ces galettes de maïs consommées à tous les repas en Amérique centrale [2]. De même, à la saison du café — source principale de revenus pour des petits producteurs, mais synonyme d’harassantes journées —, la bicy-égraineuse permet d’ôter l’écorce des grains, jusqu’à 25 kg par heure. Autre utilisation possible : la bicy-pompe peut actionner une pompe à eau, pour la consommation ou l’irrigation. Passant de la cuisine à l’atelier de bricolage, le vélo-machine met en mouvement des meuleuses ou des petites scies, ce qui permet à des artisans du bois de travailler de petites pièces plus facilement et rapidement. Au Brésil ou au Mexique, comme en France au siècle précédent, on voit des rémouleurs de rue penchés sur leurs pierres à affuter tout en pédalant. Les déclinaisons de mécanismes à adapter sur un vélo sont multiples. Économique par rapport à sa version électrique, plus facile que la version manuelle : lorsque le vélo se fait moulin, c’est une véritable révolution !